Les négociations à l’ONU sur le financement du développement: quels devraient être les résultats de la Conférence d’Addis-Abeba en 2015?

2015 sera une année cruciale dans la lutte contre la pauvreté à l’échelle mondiale: trois grandes conférences internationales auront lieu au cours d’une période de six mois. Une des questions centrales qui sera débattue lors de ces trois conférences est, comment réformer concrètement le système financier et le commerce international pour qu’ils contribuent à la réalisation des objectifs mondiaux de développement durable ? Les propositions de réforme devraient être fondées sur le droit au développement pour tous les pays et le respect des droits économiques et sociaux de tous les individus. Nous avons suffisamment de ressources financières pour garantir le respect des droits de l’Homme, abolir la pauvreté et atteindre les objectifs mondiaux de développement durable. Ce dont nous avons besoin, ce sont des décisions politiques en faveur de changements structurels et systémiques afin de rendre ces changements possibles. La Troisième Conférence sur le Financement du Développement (FdD) des Nations Unies(ONU) qui aura lieu en juillet à Addis-Abeba jouera un rôle majeur en ce sens.

Ce document résume les changements concrets que nous recommandons d’adopter à Addis-Abeba.

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Il est structuré autour des six chapitres thématiques du consensus de Monterrey auquel un septième a été ajouté, portant sur d’autres questions importantes :

1. La mobilisation des ressources domestiques. Une véritable coopération à l’échelle mondiale est nécessaire pour lutter efficacement contre l’évasion fiscale et la fraude fiscale au niveau international. En l’absence d’un programme commun, tous les gouvernements subissent un manque à gagner de recettes fiscales considérable. Or, ces ressources auraient pu servir à financer le développement durable. Des normes internationales en matière fiscale sont actuellement développées au sein de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE), dans le cadre d’un processus qui se déroule à huis clos et qui exclut 80% des pays du monde entier.

Nos recommandations sont les suivantes :

  • Créer un nouvel organisme intergouvernemental de coopération internationale sur les questions de fiscalité et attribuer suffisamment de fonds à cet organisme pour lui permettre de fonctionner de manière adéquate.
  • Définir le mandat de ce nouvel organisme de manière large, en y incluant les problems d'érosion des bases d'imposition fiscale, le transfert des bénéfices, les accords fiscaux et les traités d’investissement, les incitations fiscales, l’imposition des industries extractives, la transparence sur la propriété réelle des entreprises, le reporting pays par pays et l’échange automatique de renseignements fiscaux.

2. Les investissements directs à l’étranger et autres flux de capitaux privés. Il est necessaire d’adopter une approche beaucoup plus nuancée sur la question des financements extérieurs privés, en admettant que ce type de financement comporte des risques qui doivent être gérés de manière prudente par les pays en développement. Ces risques sont de deux sortes. D’une part, ces flux présentent des risques macro-économiques importants, notamment car ils sont très volatiles comme c'est le cas des capitaux à court-terme. D’autre part, la nature des investissements à plus long-terme et les conditions associées à ces Investissements Directs à l’Étranger (IDE) sont également préoccupantes. Nos recommandations sont les suivantes :

  • Reconnaître que le contrôle des mouvements de capitaux constitue un instrument de politique économique crucial pour tous les pays et supprimer toutes les clauses des accords commerciaux et d’investissement qui font obstacle à la mise en œuvre de ces politiques.
  • Enoncer clairement les problèmes posés par l’utilisation de fonds publics et l’appui d’institutions publiques pour mobiliser des financements privés.

3. Le commerce international. Les politiques commerciales devraient donner une marge de manœuvre suffisante aux pays en développement pour qu’ils puissent notamment mettre l´accent sur les effets de ces politiques sur l’emploi, l’égalité entre hommes et femmes, le développement durable et les personnes vulnérables. Ces politiques ne devraient pas préconiser la libéralisation des échanges comme une fin en soi. Le commerce international joue un rôle fondamental dans le processus de développement et les pays en développement peuvent utiliser les politiques commerciales pour soutenir les industries nationales qui créent le plus de valeur ajoutée et pas uniquement les producteurs de matières premières.

Cependant, le régime commercial multilatéral actuel a poussé les pays en développement à ouvrir leurs marchés, par le biais de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et des accords commerciaux et d’investissement bilatéraux et régionaux. Cette libéralisation a réduit la capacité des pays en développement à répondre à leurs propres besoins de développement. Elle a par contre eu un impact très limité sur les politiques commerciales des pays riches qui ont des effets de distorsion sur les échanges considérables. Nous recommandons les mesures suivantes :

  • Examiner de manière approfondie l’ensemble des accords commerciaux et des traités d’investissement, afin d’identifier les clauses qui peuvent restreindre la capacité des pays en développement à : prévenir les crises et à les gérer si elles surviennent, réguler les mouvements de capitaux, protéger le droit des populations à disposer de moyens de subsistance suffisants et d’avoir accès à des emplois décents, appliquer un régime fiscal plus juste, fournir des services publics de base et garantir le développement durable.
  • Passer en revue les régimes des droits de propriété intellectuelle mis en place dans les pays en développement à travers les Accords de Libre-Échange (ALE), afin d’identifier quels sont leurs effets négatifs, notamment, en termes de santé publique, protection de l’environnement et développement technologique.

4. L’Aide Publique au Développement (APD) et autres ressources publiques pour appuyer le développement. Il est nécessaire que les gouvernements renforcent leur engagement à fournir des ressources publiques de qualité et en quantité suffisante aux pays en développement, que ce soit sous la forme d’APD ou de tout autre nouveau financement public venant s’ajouter aux budgets de l’APD. Des mécanismes de suivi plus rigoureux devraient être mis en place pour assurer le respect de ces engagements. L’APD représente encore une source de financement du développement primordiale, en particulier pour les pays les plus pauvres. L’incapacité des pays développés à atteindre l’objectif de l’ONU de consacrer 0.7% de leur Revenu National Brut (RNB) à l’APD porte sérieusement atteinte au potentiel de l’APD. De même, les progrès en matière d’efficacité de l’aide restent limités par rapport aux engagements pris à Paris, Accra et Busan. Or ceux-ci visaient précisément à mettre fin aux mauvaises pratiques en matière d’APD qui décrédibilisent tant l’APD.

Les financements publics innovants peuvent apporter les ressources supplémentaires dont le secteur du développement à grand besoin. Nos principales recommandations sont les suivantes :

  • Mettre en place des calendriers à caractère contraignant afin d’atteindre l’objectif de consacrer 0.7% du RNB à l’APD.
  • S’assurer que l’APD occasionne de véritables transferts de ressources pour les pays en développement, notamment en : mettant un terme à l’aide liée, déduisant les dépenses réalisées dans les pays donateurs et les annulations de dette, fournissant cette aide principalement sous forme de dons et réformant les conditions de prêts concessionnels de manière à ce qu’elles reflètent les coûts réels pour les pays partenaires.
  • Prélever une taxe sur les transactions financières réalisées par les institutions financières et affecter les revenus issus de cette taxe au financement du développement durable.

5. La dette extérieure. L’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) a récemment adopté une résolution2 visant à établir «un cadre juridique multilatéral sur les restructurations de dette souveraine». Cette résolution constitue une opportunité à ne pas manquer pour mettre en place des mécanismes internationaux de prévention et de résolution des crises de la dette. Ces crises risquent en effet de balayer tous les progrès de développement accomplis dans le monde sur une période de plusieurs décennies. Même dans les pays qui ne sont pas touchés par de très graves crises de la dette, le remboursement du service de la dette reste problématique. Dans un contexte de budgets publics limités, les remboursements de dette se font au détriment du financement du développement. Le système de prévention des crises et de gestion de la dette promis à Monterrey n’a toujours pas été établi. A l’heure actuelle les crises sont traitées trop tard et trop lentement. Nos recommandations sont les suivantes :

  • Se réengager à parvenir à un accord sur la création d’un cadre juridique multilatéral sur les restructurations de dettes qui serait placé dans une enceinte neutre. S’assurer que ce cadre : inclut l’ensemble des parties prenantes, applique une approche de la viabilité de la dette fondée sur les droits humains, oblige les créanciers et le débiteurs à répondre de leurs actes irresponsables, et donne la possibilité à chaque acteur d’être entendu.
  • Organiser des audits indépendants de la dette qui examineront minutieusement l’état de la dette au regard des principes d’investissement responsable et évalueront sa légitimité. Les acteurs impliqués dans ces audits devraient s’engager à annuler les dettes déclarées illégitimes.

6. Les problèmes systémiques : pour une réforme en faveur d’une gouvernance mondiale et d’un système monétaire international plus efficaces et ouverts à tous. Une refonte du système de gouvernance économique mondiale est nécessaire afin de : permettre aux pays en développement de participer de manière juste et équitable aux décisions des organisations internationales et des institutions financières, renforcer la transparence et la responsabilité au sein de ces instances, et traiter les problèmes internationaux majeurs tout en laissant une marge de manœuvre suffisante aux pays en développement. La transformation de l’enceinte de coopération économique du G8 en G20 pour refléter le pouvoir des pays émergents a constitué un changement positif. Le G20 s’avère pourtant être un mécanisme de coordination mondiale inapproprié et inefficace. Quant aux instances plus légitimes au sein de l’ONU, elles n’ont ni le mandat ni les fonds suffisants pour assurer cette coordination. Le système monétaire international fondé sur le dollar américain n’est pas viable. Le statut de monnaie de réserve internationale du dollar devra progressivement être amené à disparaitre tandis que les réserves de change des pays en développement devront augmenter pour renforcer la stabilité du système. Nos recommandations sont les suivantes :

  • Initier un débat sur la création d’un Conseil de coordination économique mondial de l’ONU qui serait chargé de mener les débats sur ce sujet.
  • Emettre 250 milliards de dollars de Droits de Tirage Spéciaux (DTS) par an, en les affectant en priorité aux pays en développement.

7. Autres problèmes importants. Parmi ces problèmes importants, quatre méritent une attention particulière:

  • L’ONU devrait prendre au sérieux le besoin d’adopter de nouvelles approches pour mesurer le progrès. Ces approches devraient permettre de mesurer la performance économique sur le court-terme, tel qu’avec l’indicateur du Produit Intérieur Brut (PIB), mais d’aller au-delà, en mesurant également le bien-être dans ses dimensions sociale et environnementale et le niveau des inégalités, notamment entre hommes et femmes.
  • L’ONU pourrait regrouper l’ensemble des initiatives et des propositions existantes en matière de normes de financement responsable au sein d’une nouvelle initiative, qui veillerait par ailleurs à la bonne application de ces normes.
  • La question des droits des femmes doit former partie intégrante des négociations sur le FdD. Il est en effet de plus en plus admis que chaque type de financement comporte des risques et des opportunités différents pour les femmes.
  • Le programme de réforme du secteur financier et de régulation financière, mis pour la première fois sur la table en 2009 à l’occasion de la Conférence de l’AGNU, doit également être élaboré davantage.

Les chapitres qui suivent présentent de manière détaillée les recommandations résumées ci-dessus.

Les éléments qui les illustrent montrent à quel point ces questions fondamentales devraient être au cœur des débats lors de la Conférence d’Addis-Abeba.

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