Externaliser le développement ?

Lancement du Rapport 2014 de SW.

Le Rapport de Social Watch « Moyens et fins » a été lancé le 10 juillet dernier au siège de l'ONU à New York au cours d'un évènement parallèle au Forum pour la coopération en matière de développement. L'événement a permis de présenter certaines des principales conclusions du rapport et a abordé les questions stratégiques de l'actuel débat sur la coopération en matière de développement, tel que le « recours au levier financier » de l'aide publique au développement (APD) et sa redéfinition, l'accès des entreprises à des fonds de l'APD et l'architecture financière globale. 

À l'ouverture du débat, Barbara Adams de Social Watch et du Global Policy Forum a dit que les conversations en cours sur les « partenariats » sont en train de changer le paysage de la coopération pour le développement dans l'une des multiples associations informelles non-transparentes et qui échappent à tout contrôle avec des sociétés comme acteurs principaux.

Jeroen Kwakkenbos, chercheur de l'Eurodad, a expliqué que même si l'APD est le flux financier le plus scruté et transparent, l'idée que ces caractéristiques pourraient être transférées à d'autres flux est « naïve ». Le soi-disant « recours au levier financier » de l'APD, l'utilisation des fonds publics pour mobiliser d'autres ressources à des fins de développement n'a pas de base empirique.

Il a expliqué que les pays développés encouragent leurs partenaires à laisser les investisseurs en portefeuille venir acheter leurs titres et, dans le même temps, ils disent qu'il n'est pas possible d'avoir des contrôles de capitaux. Alors que, lorsque ces capitaux spéculatifs sortiront précipitamment du pays, ils auront laissé une dette dont un certain soulagement sera peut-être possible d'obtenir à la fin, mais pour la plupart, ce seront vos enfants et les enfants de vos enfants qui continueront à payer.

La question -il a dit- n'est pas comment faire que les investisseurs institutionnels investissent dans le développement des infrastructures dans les pays pauvres, mais de savoir comment faire en sorte que les pays aient le contrôle sur les finances qui affectent leurs objectifs de développement. Ceci n'est pas seulement pour les pays en développement mais aussi pour les pays développés où la pauvreté et les inégalités sont des problèmes croissants. Le taux de malnutrition aux États-Unis, un pays riche où il ne manque pas de ressources financières, est de onze pour cent.

Kwakkenbos a cité le rapport du secrétaire général de l'ONU sur la coopération pour le développement comme « une description précise des véritables défis : la responsabilité, l'impact sur le développement, l'additionnalité ».

Roberto Bissio, du secrétariat de Social Watch, a expliqué les résultats obtenus par plus de 50 coalitions nationales comprises dans le rapport et la dynamique entre les « fins » (les objectifs convenus) et les moyens pour les mettre en œuvre, qui est au cœur de tous les débats de la coopération pour le développement. Dans les conversations en cours, les « fins » sont réduites de telle manière qu'aucun effort de coopération supplémentaire ne serait nécessaire. Si l'éradication de la pauvreté, définie par des revenus en dessous de $ 1,25 par jour, par exemple, devient l'objectif principal pour 2030, cela impliquerait qu'aucun changement transformationnel ne sera nécessaire, car les projections actuelles indiquent que cette réduction est ce qui va se passer de toute façon si les tendances actuelles se poursuivent.

En 2004, lors de la onzième session de la CNUCED à Sao Paulo, le secrétaire général Rubens Ricupero a mis les pays en développement en garde quant à libéraliser les comptes de capital, comparant une telle mesure avec le fait de rejoindre la mafia. Si les bénéfices attendus ne se matérialisent pas après un certain temps, ce n'est pas possible d'envoyer, tout simplement, une lettre de démission !

Beaucoup de pays, de trop nombreux pays, ont essayé la libéralisation financière et maintenant ils se rendent compte qu'elle n'apporte pas les bénéfices escomptés, mais ils ne peuvent pas y échapper.

Ce qui est nécessaire est un « programme de protection des témoins » pour les pays qui tentent de sortir de la libéralisation extrême des finances et des investissements, protégé par un réseau de traités bilatéraux d'investissement qui pénalisent les changements dans les règles que les investisseurs n'aiment pas. Un tel programme ne peut venir que de l'ONU, mais actuellement il y a très peu d'aide dans le système de développement des Nations Unies pour les pays qui veulent récupérer leur autorité sur leurs propres politiques de développement.

La semaine prochaine, à Fortaleza, au Brésil, les BRICS vont lancer leur propre banque de développement et un fonds monétaire, avec un capital de cent milliards de dollars chacun. Et cela se produit à un moment où le FMI a épuisé ses fonds avec le dernier prêt à l'Ukraine. Quatre-vingt dix pour cent des fonds du FMI sont actuellement déployés en Europe et le Congrès américain a opposé son veto à une augmentation des droits de tirage spéciaux (la « monnaie » du FMI) ainsi qu'à l'augmentation du droit de vote des pays en développement, même si les deux mesures avaient été adoptées par le G20 en 2010 et le droit de veto des États-Unis ne serait pas remis en cause.

« Nous risquons d'entrer dans une nouvelle guerre froide avec le monde divisé en deux blocs plus ou moins aussi puissants », a soutenu Bissio, « ou nous pouvons entrer dans une nouvelle ère de collaboration réelle et authentique. Voici le véritable programme de coopération en matière de développement de l'avenir ».

Jens Martens, du Global Policy Forum, a fait valoir que « les partenariats multipartites sont la saveur du jour ». Ils s'appuient sur l'idée que les gouvernements ne seront pas en mesure de résoudre les problèmes mondiaux par eux-mêmes. Le commerce est vu comme le principal moteur du développement, de la croissance et la création d'emplois - ce qui mène à la recommandation formulée par le Pacte mondial de créer des plates-formes mondiales « dirigées par les entreprises » alignées aux défis spécifiques de durabilité ».

Les Partenariats multipartites, en effet, provoquent un certain nombre de risques et d'effets secondaires, a dit Martens. L'influence croissante du secteur des entreprises dans le discours politique et la fixation de l'agenda est l'un de ces risques. Les critiques craignent que les initiatives de partenariat permettent aux sociétés transnationales et leurs groupes d'intérêt d'avoir une influence croissante sur l'établissement de l'agenda et la prise de décision politique par les gouvernements.

En outre, choisir le mauvais partenaire pourrait nuire à la réputation de l'Organisation des Nations Unies. Il est particulièrement problématique pour l'ONU de collaborer avec des partenaires dont les activités contreviennent à la Charte des Nations Unies et les règles et les normes de l'ONU. Cela est particulièrement vrai des partenariats avec les sociétés transnationales accusées de violer les normes relatives aux droits environnementaux, sociaux ou humains.

Les partenariats publics-privés liés au projet entre les organisations internationales et les entreprises individuelles, en particulier, sont généralement exclusifs, et ils peuvent fausser la concurrence, car ils fournissent un avantage d'image aux sociétés concernées, et ils soutiennent aussi celles qui sont impliquées dans l'ouverture des marchés et les aident à accéder aux gouvernements. Le choix des partenaires est également problématique dans de nombreuses initiatives multipartites. Souvent, l'initiateur d'un partenariat, plutôt que de groupes d'intervenants respectifs, nomme des représentants aux organismes de partenariat.

La fourniture de biens publics devient de plus en plus privatisée, elle deviendra dépendante de canaux volontaires et, finalement, imprévisibles de financement à travers des individus bienveillants ou des fondations philanthropiques privées.

Au lieu de considérer les initiatives de partenariat comme complémentaires aux processus intergouvernementaux, elles sont souvent promues en remplacement des accords intergouvernementaux.

Afin d'éviter la « capture d'entreprise» de l'ONU et l'influence indue des acteurs économiques sur l'agenda pour l'après 2015, les Nations Unies et les États membres devraient établir un cadre intergouvernemental pour la responsabilité de partenariat dans l'agenda pour l'après 2015.

Le Forum politique de haut niveau (HLPF) et le Forum pour la coopération en matière de développement (DCF) pourraient devenir la plaque tournante pour le contrôle et la surveillance de partenariats dans le programme de développement pour l'après-2015.

De nombreux gouvernements ont soutenu le rayonnement de l'ONU pour le secteur des entreprises tandis que d'autres ont gardé le silence, même s'ils ne sont pas à l'aise avec les développements récents. Le moment est venu pour les États membres de s'exprimer sur le rôle qu'ils envisagent pour le secteur des entreprises dans l'agenda pour l'après-2015 et le système des Nations Unies dans son ensemble, et quels sont les risques que les pratiques et les attitudes actuelles peuvent présenter. L'initiative récente menée par l'Équateur (et soutenue par plusieurs États membres) au Conseil des droits de l'homme pour faire avancer un instrument contraignant pour réglementer les sociétés transnationales peut être le signe que le discours se déplace vers une reconnaissance plus forte des responsabilités professionnelles envers les droits humains.

See here the complete minutes of the event.