L’Investissement direct étranger et le respect des droits fondamentaux

»

Women for Change
Lucy Muyoyeta

Depuis les années 90, l’Investissement direct étranger (IDE) a renforcé son rôle dans l’économie du pays, revitalisant l’industrie du cuivre et encourageant la production et l’exportation de produits et de services non traditionnels. Cependant cet investissement n’a pas été utilisé de manière efficace pour promouvoir le développement ni pour réduire la pauvreté. Bien au contraire,  il contribue à l’érosion des droits des personnes, parmi eux les droits au développement, à l’alimentation, à l’éducation, à un environnement propre et à la participation de la femme dans la prise de décisions politiques.

Actuellement 63 % de la population vit dans des  zones rurales ; les gens gagnent majoritairement leur vie grâce à l’agriculture. La pauvreté est bien plus grande dans les zones rurales : 83 % des habitants (5,9 millions de personnes) sont pauvres et 71 % sont extrêmement pauvres[1]. Beaucoup de personnes parmi les plus pauvres vivent dans des ménages dirigés par une femme. En 2000 19,5 % des ménages ruraux (1.241.500) avaient une femme comme chef de famille[2].

Malgré le besoin urgent d’aborder ces questions, on a négligé le secteur agricole. En réalité l’introduction des politiques économiques libérales a obligé les petits agriculteurs à retourner à l’agriculture de subsistance ;  beaucoup d’entre eux doivent faire  un grand effort pour satisfaire leurs besoins alimentaires. Ils font face à d’énormes problèmes de production et de commercialisation. D’autre part, l’introduction de politiques de marché dans l’acquisition de terres met en danger leur capacité à  garder leurs parcelles.  Les grandes entreprises achètent d’immenses étendues de terre pour produire des biocarburants ainsi que pour l’exploitation  minière et pour l’agriculture. Les pays riches ayant peu de ressources agricoles ou un plus grand besoin d’importer, comme l’Arabie Saoudite et la Chine, achètent d’énormes étendues de terre dans d’autres pays pour garantir l’approvisionnement alimentaire dans une période de marchés volatils. Le Rapporteur spécial de l’ONU sur le Droit à l’alimentation a identifié les investissements transnationaux  à grande échelle comme l’une des nouvelles tendances issue de la crise alimentaire mondiale en 2008 et qui n’a pas été abordée de façon adéquate par la communauté internationale ; il a également mentionné la Zambie comme l’un des pays devant faire l’objet d’une grande attention. Par conséquent pour la plupart des zambiens pauvres, le régime foncier est en danger.

Insécurité alimentaire

Depuis les années 90 la négligence à l’égard de l’agriculture a mené également à la propagation des maladies du bétail. Auparavant, le Gouvernement garantissait la prise de mesures de prévention telles que les bains antiparasitaires pour protéger le bétail contre les maladies. Lorsque l’économie s’est libéralisée, pendant les années 90, ces services ont été suspendus et des maladies apparues dans des pays voisins ont traversé les frontières et se sont propagées dans de grandes zones du pays, causant la mort de presque la moitié du  bétail. Cela a touché les petits producteurs agricoles autant que ceux qui possédaient des troupeaux, car beaucoup de fermiers dépendent des animaux de trait pour préparer le sol aux cultures et de leur fumier comme engrais. Beaucoup d’entre eux souffrent donc d’insécurité alimentaire chronique.

C’est ainsi que la hausse du prix du maïs et d’autres produits de base en 2007 et 2008 a porté un coup dur aux zambiens qui souffraient déjà d’insécurité alimentaire, aussi bien dans les zones urbaines que dans les zones rurales isolées connaissant la pénurie d’aliments. En juin 2008 le taux annuel d’inflation des aliments est monté à 15,6 %, ce qui révèle un contraste frappant par rapport à l’année précédente, lorsque le taux avait été de 4,8 %. En 2010 le taux d’inflation a montré une décélération de 10,2 % au  mois de mars à 9,2 % au mois d’avril, d’après le Bureau Central des Statistiques[3].

Une série de facteurs contribue à l’insécurité alimentaire des ménages, parmi lesquels  se trouvent le niveau de leurs revenus, l’âge, l’éducation, le sexe, la taille et la structure du foyer, les contraintes de travail pour cause de mauvaise santé et les effets du VIH et du Sida, les niveaux de production, les prix des aliments et la distance des marchés.

L’insécurité alimentaire constitue un précurseur important de la malnutrition. Un indicateur clé du manque d’accès à une nutrition adéquate est la prévalence d’enfants (de moins de cinq ans) ayant un poids inférieur au poids normal. En 1991 le taux de prévalence était de 22 % ; en 2007 il était tombé à 14,5 %.  Cependant entre 2003 et 2008, 45  % des enfants de moins de cinq ans souffrait d’un retard  léger ou grave dans la croissance. La malnutrition des enfants a des effets à long terme et elle affecte souvent la capacité d’apprentissage de l’enfant.

Chances inégales pour les filles et les femmes

L’inscription des petites filles et des garçons à l’école primaire s’est améliorée, car en 2002 l’enseignement de base gratuit a été institué. Depuis lors le taux de décrochage scolaire est demeuré stable et proche de 1,0 %. Cependant celui de l’enseignement secondaire a chuté entre 2003 et 2006[4]. Les mesures de promotion  des femmes dans quelques universités et écoles normales ont contribué à augmenter le chiffre d´inscriptions dans l’enseignement supérieur. Pourtant  dans tous les niveaux du système éducatif le taux de décrochage des femmes est toujours plus élevé que celui des hommes. Dans les cours, entre les niveaux 1 et 9, le taux de décrochage est de 3 %  contre 2,1 % pour celui des hommes.  Entre le dixième et le douzième, il est de 1,98 % contre 1,25 % pour les hommes[5].

Ce que ces chiffres ne montrent pas,  c’est le nombre d’enfants qui restent hors du système scolaire, estimés à 1,2 million fin 2010. Il y a beaucoup d’enfants qui, sans être orphelins, appartiennent à des familles touchées par le VIH et par le Sida et ne peuvent pas aller à l’école. Les chiffres ne laissent pas voir non plus la qualité de l’enseignement que les enfants inscrits reçoivent. En Zambie le VIH et le Sida ont eu de graves conséquences sur l’éducation. Le nombre d’orphelins est monté en flèche au cours de la dernière décennie. En 1966 on a estimé à 400.000 le nombre d’orphelins en âge scolaire qui n’allaient pas à l’école. En 1988 ce chiffre avait doublé. Ces enfants ne pouvaient pas se permettre d’aller à l’école en raison de leur pauvreté ou du besoin de soigner leurs parents ou leurs tuteurs malades, ou parce qu’ils devaient remplir des activités leur assurant des revenus ou encore en raison d’un mariage précoce (notamment pour les jeunes filles).

La qualité de l’éducation en Zambie a été compromise à cause de la pénurie d’enseignants, spécialement dans les zones rurales, et de  l’existence d´une infrastructure, d´un équipement et de matériel éducatif peu adéquats, ainsi que du harcèlement sexuel et de la violence contre les filles dans les écoles.

Sur le plan politique, les attitudes patriarcales qui continuent de bafouer les droits des femmes dans tous les domaines ont empêché que la Zambie réussisse à s’approcher du but établi dans les protocoles de la Communauté de développement de l’Afrique australe et de l’Union africaine : la représentation paritaire des femmes dans la prise des décisions. Le pourcentage des femmes qui exercent une poste électif dans le Parlement national et dans le Gouvernement local a augmenté, mais très lentement. En 1991 seulement 6 % des représentants législatifs étaient des femmes. Le pourcentage est monté à 12 % en 1996. Il est resté à ce niveau en 2001 et a légèrement augmenté à 14 % en 2006 après les dernières élections. Le pourcentage des femmes élues conseillères est toujours de 7 % seulement.

L’Investissement direct étranger

Le Gouvernement augmente les revenus pour financer le développement de trois sources générales : les revenus nationaux, l’Aide publique au développement (APD) et les emprunts nationaux et internationaux. Les revenus nationaux proviennent de diverses taxes telles que la taxe sur les revenus des entreprises, la taxe de redevance sur l’exploitation minière, les taxes douanières et sur les activités économiques qui découlent de l’Investissement direct étranger (IDE). Depuis 2004, excepté 2006, plus de 70 % des recettes du Gouvernement provenaient des revenus nationaux. Cela coïncide avec la période pendant laquelle le flux d’investissements en Zambie s’est notamment  accru.

On considère que l’IDE est une contribution importante au développement apportant capital, technologie, connaissances en gestion, postes de travail et accès à de nouveaux marchés. Bien des gouvernements, dont celui de la Zambie, ont développé des politiques pour inciter l’IDE.

 

En 2002 les nouveaux investissements arrivés en Zambie ont atteint USD 121,7 millions. Par la suite leur flux a  considérablement augmenté atteignant USD 334 millions en 2004[6]. La plupart de cet argent est acheminé vers le tourisme, le secteur manufacturier, le bâtiment, les télécommunications et l’exploitation minière. La Chine est l’investisseur à plus forte croissance[7] mais les capitaux provenant du Canada et du Royaume Uni restent les plus importants.

La Zambie offre un milieu très libéral pour les investissements. Actuellement la loi de l’Agence pour le développement de la Zambie de 2006 règlemente l’IDE et n’établit pas d’exigences de contenu local, de transfert de technologie, d’équité, d’emploi ni d’usage de sous-traitance, bien qu’on encourage les investisseurs étrangers à s’engager avec un certain degré de participation locale. La loi permet aux investisseurs le libre retour dans leur pays d’origine de tout investissement de capital, gain, dividendes, intérêts et émoluments. Elle permet également que les citoyens étrangers renvoient à l’étranger les salaires gagnés dans le pays.

A partir des années 90 l’IDE a joué un rôle de plus en plus important dans l’économie zambienne en contribuant à une plus grande arrivée de capitaux et d’investissements tout en revitalisant l’industrie du cuivre et en augmentant  la production et l’exportation de produits et de services non traditionnels. Cependant la Zambie ne s’est pas servie de l’IDE de manière efficace pour promouvoir le développement et réduire la pauvreté[8]. L’un des objectifs du Gouvernement en incitant l’IDE a été la diversification de l’économie pour réduire la grande dépendance des exportations de cuivre. Pourtant le cuivre domine toujours, en partie à cause de la majoration considérable du prix du minerai sur le marché mondial depuis 2004. Pour l’instant l’IDE n’a pas eu non plus d’effets sensibles sur la pauvreté. L’incidence de ceux qui vivent dans l´extrême pauvreté est à peine descendue de 58 % en 1991 à 51 % en 2006. Ces chiffres ont connu des fluctuations considérables pendant les années intermédiaires.

Le progrès économique s’est vu limité par l’échec du Gouvernement à se centrer sur la capacité du secteur privé national et sur les facteurs freinant son développement. Ceci a conduit à la désindustrialisation de certains secteurs de l’économie, ce qui a réduit les possibilités des entreprises nationales de se mettre en rapport avec des investisseurs étrangers. En outre, les politiques libérales d’investissement n’exigent pas que les entreprises étrangères se mettent en rapport avec des producteurs ou des fournisseurs locaux et ne les incitent pas non plus à le faire.

L’IDE n’a pas eu l’effet multiplicateur  souhaité chez les acteurs nationaux. De plus, les incitations fiscales aux investisseurs étrangers gênent la gestion des acteurs nationaux. La faiblesse du secteur privé national réduit considérablement les bénéfices éventuels de l’IDE  par les connexions et les retombées. Un secteur privé national fort attirerait davantage  l’IDE faisant voir l’existence d’un milieu économique favorisant l’investissement.

Loi Économique des citoyens

En 2006 le Gouvernement a approuvé la Loi Economique des citoyens et a établi par la suite un Comité d’Autonomisation économique des citoyens  (CEEC en anglais) ayant la faculté d’encourager une participation large, significative et effective des citoyens dans l’économie contribuant ainsi à une économie durable. Il reste encore à voir quels sont la performance et l’impact de cet effort pour renforcer les capacités du secteur privé national.

Quelques études sur l’exploitation minière du cuivre (le principal bénéficiaire de l’IDE) dévoilent les raisons pour lesquelles l’augmentation de l’IDE n’a pas été un outil plus important dans le développement ou dans la réduction de la pauvreté.  Entre autres[9] :

  • La signature d’Accords de développement unilatéraux. Gardés secrets en général, ces accords libèrent les entreprises qui investissent de différentes obligations parmi lesquelles le paiement de la plupart des taxes et l’application de nombreuses lois nationales, par exemple celles portant sur la pollution. Ils assurent également la protection de la prochaine période législative jusqu’à la fin de la « Période de stabilité  » de 15 à 20 ans.
  • Précarisation de la main d’œuvre. On a créé de nouveaux postes de travail, mais leur qualité s’est considérablement détériorée. On estime que 45 % de la main d’œuvre existant dans les mines n’a pas pu obtenir d’emploi permanent générant le droit à la retraite. La plupart des travailleurs ont des contrats à durée déterminée dans des conditions bien moins avantageuses que celles des emplois réguliers.
  • Pollution. Quelques investisseurs n’ont pas suivi les lois nationales qui leur sont encore appliquées. Les périodes de mauvaise gestion de l’environnement ont nui à la santé de la population locale. Les trois problèmes les plus fréquents et les plus graves sont les émissions de dioxyde de soufre provenant des fonderies, les effluents contenant des métaux lourds qui sont déversés dans l’eau potable, et l’obstruction des rivières par des sédiments.

Conclusions

L’une des principales raisons pour lesquelles l’IDE ne contribue pas autant qu’il le devrait au développement durable est le caractère réduit des recettes fiscales du Gouvernement. Un détail du budget pour 2010 montre que les plus grandes contributions sur le revenu sont le Pay as you earn (taxe sur les salaires) de 19 % et la Taxe sur la valeur ajoutée de 18 %[10]. La taxe sur les revenus des entreprises contribue avec 8 % et la taxe de redevance sur l’exploitation minière, avec 2 %. Lorsque les prix des métaux sont montés en flèche après 2004, on a établi une taxe sur les bénéfices extraordinaires en 2007 ; cependant, après de fortes pressions des propriétaires d’exploitations minières, cette taxe a été abrogée en 2009.  Elle aurait pu  rapporter bien plus au fisc.

Les incitations pour attirer  l’IDE se centrent de manière exagérée sur l’économie. Le Gouvernement n’investit pas en formation de la main d’œuvre en soutenant des secteurs tels que l’éducation et la santé, ce qui réduirait bien davantage la pauvreté. D’autre part, selon les politiques actuelles,  l’IDE diminue dans les faits les droits des gens, par exemple le droit à l’alimentation et à un environnement propre  et sans les efforts conjoints des garants de ces droits, il fera peu ou rien du tout en faveur des droits des femmes.

 

[1] IFAD, Rural poverty in Zambia. Disponible sur : <www.ruralpovertyportal.org/web/guest/country/home/tags/zambia>.

[2] Central Statistical Office, Zambia: 2000 Census of Population and Household, novembre 2003.

[3] Chiwoyu Sinyangwe, “Zambia’s inflation falls by 1%”, The Post Online, 30 avril 2010.

[4] UNDP, Zambia – Millennium Development Goals Progress Report 2008Disponible.

[5] Ibid.

[6] Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (UNCTAD), Investment Policy Review – Zambia, New York et Genève, 2006. Disponible sur : <www.unctad.org/en/docs/iteipc200614_en.pdf>.

[7] Peter Kragelund, “Opening the black box of China-Africa relations: the magnitude and composition of Chinese investments in Zambia,” Danish Institute of International Studies, 2008.

[8] UNCTAD, Investment Policy Review – Zambia, 2006, op cit.

[9] Alistair Fraser  and John Lungu, “For whom the windfalls? Winners and losers in the privatization of Zambia’s Copper Mines”. Disponible sur : <www.minewatchzambia.com/reports/report.pdf>.

[10] Deloitte and Touche, 2009, Zambia Budget 2010 - Keeping the right balance.