Il est nécessaire d’affiner les politiques sociales

Centro Interdisciplinario de Estudios sobre el Desarrollo – Uruguay (CIEDUR)
Centre interdisciplinaire d’études sur le développement – Uruguay (CIEDUR)
Alma Espino

Tout comme les autres pays d’Amérique Latine, L’Uruguay a affronté la crise financière mondiale de 2008 dans de meilleures conditions qu’ à d’autres moments de son histoire. Son économie a continué à croître et ses indices de pauvreté et d’indigence se sont sensiblement améliorés, grâce à des politiques sociales qui ont su profiter du moment, en subordonnant les orientations macroéconomiques aux nécessités sociales. Toutefois, il reste des défis à relever tels que les pourcentages élevés de pauvreté et d’indigence au sein des afro - descendants et la féminisation croissante du rôle de chef de ménage dans les foyers les plus défavorisés. Les inégalités des sexes et/ou de race doivent prendre une place intégrale dans les politiques économiques.

Bien qu’elles paraissent évidentes, les principales questions à se poser pour instaurer des politiques économiques devraient être: quel est l’objectif de l’activité économique ? Quel est le rôle des inégalités sociales et de genre dans le modèle de croissance et les modes de consommation actuels ? Si l’objectif de l’économie consiste à procurer et conserver une vie digne, il faut penser à une économie au service des personnes, c’est-à-dire, un développement centré sur les personnes. Il est clair que le marché n’est pas capable de connaître et d’évaluer la diversité des besoins et des intérêts de la communauté et de combler les fossés qui se creusent dans différents domaines de la vie courante.[1].

Les politiques macroéconomiques doivent s’intégrer correctement aux autres domaines de la politique économique et sociale, en s’insérant dans une stratégie de développement plus large et en contribuant ainsi directement à la croissance sur le long terme. La macroéconomie a une dimension sociale : il faut donc établir de solides bases d’un point de vue du développement humain, de la justice et de l’équité[2]. C’est pour cela que les responsables des politiques économiques doivent prendre en compte les implications sociales et de genre des politiques macros. Cela veut dire qu’il ne faut pas laisser des questions telles que l’inégalité des sexes et/ou de race dépendre exclusivement des politiques sociales pour amortir et compenser les effets négatifs des politiques économiques.  

La région et la crise

On a souligné que l’Amérique latine se trouvait, de manière globale, dans de meilleures conditions qu’au préalable pour faire face à la crise de 2008. Bien que cela soit vrai  dans la mesure ou nos pays présentent une série de traits similaires, ils possèdent néanmoins d’importantes spécificités. Dans ce sens, les différents canaux de transmissions de la crise font varier son importance relative et par conséquent ses impacts. L’Uruguay, tout comme d’autres économies de la région, a traversé une étape de croissance économique et d’amélioration de ses indicateurs sociaux.

L’économie uruguayenne a maintenu sa croissance jusqu’en 2008, ce qui s’est traduit par une augmentation de 8,9 % du PIB cette année-là. Cette croissance se doit à l’expansion de la demande interne (consommation et investissement) et de la demande externe. Cependant, sous l’influence de la crise économique et financière internationale, certains signes de décélération se sont manifestés fin 2008. Mais en 2009 le PIB a augmenté  de 2,9 %. Selon l’Institut de l’économie, entre 2005 et 2009 la croissance a atteint un taux cumulatif annuel de 6,1 %.

Les canaux de transmission de la crise dans les économies de la région se sont  traduits par une diminution de la demande externe, qui s’est exprimée par la baisse des importations  provenantes des pays développés, la chute du tourisme et des prix des matières premières, la diminution des envois de fonds des uruguayens émigrés et par le recul des flux de l’investissement étranger. Dans le cas de l’Uruguay, la chute des principaux produits d’exportation a eu un fort impact et, en dépit de la diversification des destinations de ses exportations, la diminution de la demande s’est répercutée sur le fonctionnement du secteur externe.

Forces et faiblesses  

Au cours des deux derniers mois de l’année 2008, la tendance à la hausse des exportations s’est inversée et les importations ont plus augmenté que les exportations, même s´il y a eu une décélération  pendant les derniers mois de l’année. Cela a creusé le déficit du compte courant en 2008 à hauteur de 3,5 % du PIB, à cause fondamentalement du déficit commercial élevé[3].  En 2009, les exportations en dollars ont chuté de 8 % bien qu’elles aient augmenté en terme de volume physique. De toutes manières, ce sont les exportations qui ont eu le plus d’incidence sur la croissance. L’investissement privé, de son côté, a reculé et le secteur public s’est maintenu stable.  Le flux touristique a augmenté en 2008 après plusieurs années de diminution et en 2009 les devises liées à ce secteur ont atteint USD 1,3 milliards, soit  19 % de plus que l’année précédente qui avait générée USD 1,05 milliards[4].

Les endettements externes, aussi bien bruts que nets, ont continué à diminuer en 2008 et ont représenté respectivement 37,3 % et 14,1 % du PIB. Ceci est dû à ce que le pays a continué à cumuler des réserves qui ont atteint USD 2.2 milliards cette année-là[5].

Le comportement général du marché du travail en 2009 a été globalement positif. La création d’emplois a contribué à la réduction du chômage, alors que la population active s’est maintenue presque au même niveau qu’en 2008. Ces résultats indiquent que de manière générale la crise internationale n’a pas eu d’impact direct sur le marché du travail uruguayen durant la période 2008-2009. Cependant, si l’on regarde de plus près, on voit que certains secteurs de l’activité économique, tels que ceux qui dépendent davantage du marché externe, ont eu du mal à garder leurs travailleurs fin 2008 et début 2009. Ceci s’observe par la chute du taux d’emploi dans l’industrie et par la croissance des inscriptions enregistrées à l’assurance chômage de la Banque de Prévision Sociale durant les derniers mois de 2008[6].

Les mesures du Gouvernement

Afin d’essayer de faire face aux changements de la scène internationale, la politique économique a dû subir quelques modifications durant les quatre derniers mois de l’année 2008. De manière particulière, la gestion du taux d’intérêt comme objectif opérationnel de la politique monétaire a été abandonnée en faveur d’une plus grande attention au contrôle de l’évolution du type de change, afin que celui-ci se transforme en  «  stabilisateur automatique  »   du système et qu’il contribue à amortir le choc externe[7].

En décembre 2008, comme dans le reste des économies de la région, des politiques anticrise ont été mises en place, et l’on a annoncé la création de paquets de mesures visant à octroyer des liquidités aux entreprises, à améliorer leur capacité d’exportation et à augmenter la viabilité de nouveaux investissements. L’expansion des dépenses et la diminution du recouvrement des impôts ont élevé le déficit fiscal à 1,7 % du PIB en 2009, mais en 2010 une amélioration a commencé à se faire sentir[8]. Comme dans la plupart des économies, le secteur public a eu un rôle prépondérant dans la croissance de l’investissement et de la consommation ; en dépit des époques où ses recettes ont diminué, le Gouvernement a maintenu le rythme de croissance des dépenses publiques.

L’engagement envers l’éradication de la pauvreté

La période à laquelle on fait référence montre également l’amélioration d’autres indicateurs tels que celui de l’évolution de la pauvreté mesurée selon le revenu. L’indigence ou pauvreté extrême est passé de 1,2 % du total des foyers uruguayens à 0,8 % en 2008[9], pourcentage qui se maintient en 2009[10]. Cependant, il est important de souligner que les foyers indigents dirigés par une femme constituent 1 % alors que ceux qui ont un chef de famille masculin représentent 0,7 %. Même si ces chiffres reflètent en moyenne une amélioration, il faut noter qu’ils confirment  le changement de tendance observé depuis 2005, c’est-à-dire une plus grande incidence de l’indigence dans les foyers dirigés par des femmes. Il faut prendre en compte que les foyers dans l’indigence sont généralement associés à une structure familiale monoparentale ayant plusieurs enfants (dans les étapes initiales du cycle de vie familiale) et un nombre réduit de sources de revenu. En conséquence, ces foyers sont socio-démographiquement vulnérables, ils ont plusieurs personnes à charge, disposent de peu de sources de revenu et sont souvent maintenus par des femmes[11].

En ce qui concerne l’incidence de la pauvreté, on observe une chute de l’indicateur aussi bien pour les foyers que pour les personnes, toutes régions de l’Uruguay confondues. Tout au long de l’année 2009 et dans l’ensemble du pays, les foyers pauvres sont estimés, selon l’Institut de l’économie, à 14,3 % ce qui signifie une réduction de 3,6 points par rapport à 2006[12].  En ce qui concerne les individus, la pauvreté a atteint en 2009, 20,9 % dans tout le pays[13].

Les processus de pauvreté et d’indigence affectent de manière différente les personnes selon leur âge, sexe et race. L’incidence de la pauvreté selon la catégorie d’âge continue à se concentrer sur les mineurs, principalement sur les moins de 6 ans[14].

La tendance de l’incidence de la pauvreté est décroissante aussi bien au sein des foyers dirigés par des hommes que dans ceux où les femmes sont chef de famille, passant de 23,3 % à 13,2 % en 2003 et 2008 respectivement chez les hommes, et de 17,2 % à 14,5 %  chez les femmes. Comme on peut l’observer, dans ce cas aussi l’incidence est plus importante chez les femmes mais il faut souligner que la tendance s’inverse à nouveau : même si entre 2003 et 2006 l’incidence était plus significative dans les foyers dirigés par des hommes, en 2007 les chiffres sont similaires (16,9 % et 16,6 % respectivement), en 2008 la situation s’inverse (13,2 % et 14,5 % respectivement), : l’incidence est alors plus élevée dans les foyers dirigés par des femmes[15]. Ces pourcentages sont en 2009, de 13,9 % et 14,8 % respectivement, selon les estimations de l’Institut de l’économie.

D’un autre côté, il faut souligner que les clivages les plus profonds ont été observés auprès des populations afro-descendantes. Leur niveau d’incidence de la pauvreté dans tout le pays est pratiquement  multiplié par deux par rapport aux blancs. En 2008, la pauvreté chez les blancs était de 19,4 % alors que chez les afrodescendants, elle était de 43,1 %. En somme, presque la moitié des personnes qui se déclarent afrodescendantes vivent sous le seuil de pauvreté. Il est alors évident que la race constitue un des facteurs pouvant expliquer l’inégalité sociale.

La diminution de la pauvreté est due à la croissance de l’emploi et des revenus des foyers alors que l’on constate une amélioration de la distribution du revenu en 2008. En ce qui concerne l’indigence, les raisons de sa diminution résident probablement dans les politiques sociales, en particulier les allocations familiales qui ont été spécifiquement assignées à cette population.  

Macroéconomie et inégalités

Cette révision de certaines des caractéristiques de la situation économique et sociale du pays, bien que brève et incomplète, met en relief la nécessité de considérer les enjeux à relever au moment de tenir les engagements pris. Même si d’importants efforts ont été faits pour développer les politiques sociales qui recherchent l’équité et luttent contre la pauvreté - avec déjà quelques succès obtenus - les résultats donnent l’alerte sur certains aspects.

Bien que les indicateurs témoignent des progrès réalisés dans le domaine de l’égalité des sexes, celle-ci continue à présenter des défis énormes et le plus important est peut être celui de la représentation dans les sphères de décisions politiques et économiques[16]. Dans ce domaine il y a eu également un recul, si l’on compare la présence des femmes dans le Gouvernement précédent par rapport à l’actuel qui a pris ses fonctions en 2010. A cela s’ajoute la nouvelle et lamentable tendance à la féminisation des chefs de famille en situation de pauvreté et d’indigence.

[1] Alma Espino, Rapport sur la Conférence de Doha sur le financement pour le développement ainsi que les conclusions de la réunion sur la crise mondiale convoquée par le Président de l’Assemblée Générale (26 - 29 mai 2009). Communication réalisée lors du séminaire "Analyse de la crise économique et financière selon une perspective de genre - impact sur la pauvreté et le travail des femmes". UNIFEM-CEPAL-INSTRAW-SER-Instituto de las Mujeres. Mexique, juillet 2009

[2] José Antonio Ocampo et Rob Vos, “Policy space and the changing paradigm in conducting macroeconomic policies in developing countries” dans New financing trends in Latin America: a bumpy road towards stability. BIS Papers, 36. Février 2008.

[3] Institut de l’économie, 2009.

[4] Institut de l’économie, 2010.

[5] Institut de l’économie, 2009.

[6] Institut de sécurité sociale.

[7] Institut de l’économie, 2009.

[8] Institut de l’économie, 2010.

[9] La ligne de pauvreté a été créée par l’Institut national de statistique (INE)  basée sur l’Enquête nationale des dépenses et des revenus des foyers en 2005-2006.

[10] Les données pour 2009 sont le résultat des estimations de l’Institut de l’économie, FCEyA, UDELAR, basées sur le traitement des micro-données de l’Enquête continue des foyers en 2009.

[11] INE, 2009.

[12] Ibid.

[13] Institut de l’économie, 2010.

[14] INE, 2009.

[15] Ibid.

[16] Programme des Nations Unies pour le Développement, 2008.