Les OMD : un objectif très lointain

Društvo Humanitas
René Susa

La crise mondiale a montré que si la Slovénie veut survivre sur la nouvelle scène internationale, il faut qu’elle fasse des changements dans les paradigmes sociaux, politiques et économiques. En ce qui concerne l'aide au développement, le pays ne possède pas de stratégie de coopération pour le développement ni de système pour évaluer l'efficacité de l'aide. Il sera difficile que la Slovénie puisse maintenir ses engagements dans le contexte actuel où les compressions budgétaires se produisent dans presque tous les secteurs. En même temps, malgré le succès documenté de leurs projets communautaires, les organisations de la société civile sont encore considérées comme des acteurs mineurs dans l'arène du développement.

En 2007, l’élection à la présidence de l'ancien Secrétaire général adjoint aux affaires politiques des Nations Unies, M. Danilo Türk, semblait indiquer que la Slovénie commençait à comprendre l'importance de la dimension internationale, notamment de la coopération internationale, pour avoir atteint certains des objectifs les plus ambitieux de l’actualité. Pourtant, trois ans plus tard, cet espoir est virtuellement épuisé. Les problèmes mondiaux occupent une position extrêmement secondaire dans l'agenda politique, la Slovénie ne respecte pas ses engagements internationaux et le manque de sensibilisation du public sur ces questions, y compris sur les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), est alarmant, surtout chez les jeunes.

La période de « crise » a prouvé que s’il veut survivre dans le nouvelle scène mondiale, le pays doit réaliser des changements radicaux de paradigmes sociaux, politiques et économiques. Une équipe d'experts dans de différentes disciplines (notamment, l'économie, la philosophie et la protection de l'environnement), en collaboration avec l’ancien médiateur de la république et membre du Cabinet, a préparé un document au titre provocateur : « Où va-t-on après la crise ? » [1], qui réclamait précisément un changement de ce type. Alors que l'article a attiré tout l'intérêt des médias et obtenu l'approbation du Premier ministre et d’une proportion considérable de la population, il a été quasi complètement ignoré lors de la préparation d’une nouvelle stratégie de développement pour la période 2010-2013.

Les paroles et les actions provenant d’une même source fonctionnent rarement en tandem dans la sphère politique de Slovénie, et c’est précisément pour cela que la concrétisation des OMD est si difficile à imaginer. Il semble que le pays n'a tout simplement pas compris qu’il fait partie d’un monde plus vaste et interconnecté.

Coopération pour le développement : pas de stratégie

En 2004, la Slovénie s’est engagée à fournir une assistance internationale. Le fait d’avoir été promue à la catégorie de bailleurs de fonds par la Banque mondiale et son incorporation à l'UE ont eu un impact durable sur la politique d'aide étrangère de la Slovénie. Même si les chiffres ne sont toujours pas très encourageants - en 2009, le pays a consacré 0,15 % du Produit intérieur brut (PIB) à l'Aide publique au développement (APD)[2] – on perçoit clairement une tendance positive au cours de ces dernières années (Figure 1).

Par rapport à 2003, le montant de l'APD en 2008 a augmenté et représente plus du double. Il est à noter qu'une partie considérable de l'APD est constituée de contributions au budget de l'UE : 18,57 millions d'euros en 2007[5]

Vraisemblablement, la Slovénie atteindra l'objectif ciblé de 0,17% du PIB en 2010 et de 0,33% du PIB en 2015, selon les engagements pris dans le cadre du Consensus de Monterrey et du Consensus européen pour le développement. Ces objectifs sont également inclus dans la Résolution sur la coopération internationale pour le développement jusqu’à 2015 (adoptée par l'Assemblée nationale le 11 Juillet 2008) et la Loi de Coopération internationale pour le développement[6]. Toutefois, cet engagement sera difficile à maintenir dans le contexte actuel, vu les compressions budgétaires effectuées dans pratiquement tous les secteurs.

Le montant des aides est aussi important que sa qualité. Des experts d’AidWatch et de l’Inštitut Ekvilib estiment qu’entre 13 et 20% de l'APD est artificiellement gonflé[7]. Les principales critiques sur la qualité de l'APD se référent au manque de transparence dans les processus de prise de décisions, au faible niveau d'inclusion des acteurs de la société civile dans les pays bénéficiaires et à l'absence de projets à long terme, notamment en ce qui concerne les ONG (réaliser des projets sur deux ans n'a été possible qu’en 2010). En outre, le mécanisme destiné à surveiller l'impact de l'APD est insuffisant et la Slovénie ne possède pas encore de plan stratégique pour la coopération au développement. À l'exception de certaines affiliations politiques et historiques, les critères de sélection des pays et des groupes cibles sont pratiquement inexistants.

Eva Marn, présidente de SLOGA (plate-forme de l’ONG slovène), met en exergue plusieurs lacunes importantes dans la coopération pour le développement en Slovénie. Elle signale que ce domaine est relativement nouveau dans la politique slovène et que depuis le début il a été abordé selon une perspective peu professionnelle. Il n'existe aucune agence de coopération au développement, et ce sont des diplomates au ministère des Affaires étrangères (MAE) et non pas des spécialistes du développement qui se consacrent à ce sujet [8]. Pendant ce temps, les diplomates se succèdent et aucun système n’est établi pour mesurer l'efficacité de l’aide.

Alors que l'aide multilatérale a lieu principalement à travers l'UE et les institutions des Nations Unies, l'aide bilatérale est essentiellement axée sur les pays des Balkans et le sud-est de l'Europe. La Slovénie a négocié des accords avec l'Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine, la Moldavie, le Monténégro, la Serbie et l’Ukraine et actuellement elle est en train d’élaborer un accord avec la République du Kosovo[9].

Projets de développement et société civile

En 2008 la Slovénie a été témoin du premier appel public pour présenter des propositions de projets de développement gérés par des ONG. Huit projets ont été sélectionnés pour une valeur totale de EUR 100.000.
On a procédé à un appel similaire en 2009 avec 14 projets approuvés pour un total de EUR 265.000 [10]. Pour la période 2010-2011, EUR 789.868  ont été versés pour 33 projets d’ONG. La plupart des activités (12 d'entre elles) auront lieu en Afrique sub-saharienne, neuf projets auront lieu dans la région occidentale des Balkans, trois en Ukraine et en Moldavie et deux dans d'autres régions du monde. Le MAE a également prêté son soutien à six projets d'éducation globale en Slovénie[11]. C’est la première fois qu'un appel de ce type a été lancé dans des régions hors d'Europe.

Comme nous l’avons mentionné ci-dessus, en 2006, une Loi sur la coopération pour le développement et une résolution ultérieure ont été adoptées, mais n’ont pas encore été mises en œuvre. Bien que la société civile, représentée par SLOGA, était d’abord partiellement impliquée dans le processus, à l’heure actuelle ce n'est plus le cas. Une des conséquences de cette situation est que la situation des ONG n'est pas précisément définie, comme ne l’est pas non plus l’éligibilité pour le financement, qui souvent n’est pas encore appliquée de façon transparente, sujet qui a également été soulevé par les experts de l'Organisation pour la coopération et le développement économique[12]. En outre, le financement pour le développement n’est pas placé sous la même autorité et il n’y a pas de trésorerie disponible pour arriver aux chiffres promis. Les ONG slovènes travaillant sur les questions de développement se sont également plaintes et ont signalé que le MAE ne tient pas ses engagements quand il s'agit de lancer des appels pour présenter des propositions, signer des accords et verser des fonds à temps. Cette absence de réponse entrave un grand nombre de projets.

Les projets des ONG soutenus par le MAE représentent moins de 2% de toute l’APD slovène, ce qui montre que les ONG sont encore considérées comme des acteurs secondaires dans les questions de développement, malgré le succès documenté de leurs projets communautaires.

OMD: une perception très limitée

La Slovénie n'a pas de stratégie claire dans le domaine de l'éducation pour le développement et les questions internationales ne sont pas bien intégrées dans les programmes et dans le calendrier scolaire. Tandis que les ONG et d’autres acteurs clés (les enseignants, les directeurs et les experts) participent activement dans ce domaine, leurs efforts ne sont pas coordonnés. Il est difficile de réussir à inclure ces questions lorsque l’attention est centrée sur des sujets académiques et que l’on ne peut pas compter sur le soutien des institutions compétentes, notamment le ministère de l'Education et des sports[13]

En 1994, la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement a recommandé qu'au moins 3 % de l'APD soit consacré à l'éducation sur les questions globales. La Slovénie est loin derrière, avec environ 0,13 % (EUR 60.000) consacré à cet objectif, ce qui est particulièrement préoccupant en raison des récentes conclusions d'une enquête auprès des jeunes (15-24 ans) menée par les ONG Društvo Humanitas et Zavod Voluntariat sur les OMD[14]. Les résultats ont montré que 83 % des jeunes n’ont jamais entendu parler des OMD, ce qui situe la Slovénie très près de la moyenne européenne de 82%. Ces résultats sont très décevants parce qu’il s’agit d’une population qui est encore à l’intérieur du processus éducatif. Plus des deux tiers des participants au sondage ont également répondu négativement lorsqu’on leur a demandé si les OMD seraient atteints en 2015[15].

Les chercheurs ont souligné le manque considérable de communication entre les jeunes, les ONG et le Gouvernement. L'intérêt potentiel des jeunes à coopérer avec les ONG sur les questions de développement communes demeure inexploité. Les faibles taux d'inclusion des jeunes dans les projets et le travail des ONG représentent des obstacles importants à la généralisation de l'intérêt et à la contribution populaire à la concrétisation des OMD.

Selon l'expert en éducation au développement Franci Iskra  - de Društvo Humanitas - une meilleure communication entre tous les niveaux (gouvernement, ONG et la population jeune) pourrait promouvoir un progrès significatif au moins en ce qui concerne la connaissance basique des OMD[16]. Les fonds des ONG slovènes sont limités et leur personnel est insuffisant pour faire face à ce problème de manière efficace. Un autre facteur limitant est la fragmentation des ONG, qui se spécialisent généralement dans un ou deux domaines. Leurs activités sont très diverses et dans de nombreux cas ne contribuent qu’indirectement à la réalisation des OMD. Le Gouvernement a aussi des problèmes semblables à ceux du secteur des ONG dans la mesure où chaque section travaille dans son domaine sans adopter une approche intégrée.

Une autre question essentielle qui se pose est la cohérence des politiques. Cette dernière laisse beaucoup à désirer, pas seulement au niveau de l'UE, où le terme est devenu un mot à la mode, mais aussi à l'échelle nationale. Cela est particulièrement évident si l'on considère la réalisation de l'objectif 7 : assurer la durabilité environnementale. Selon le Dr Dušan Plut, un expert en protection de l'environnement, les niveaux actuels d'émission de gaz à effet de serre et d'épuisement des ressources naturelles[17] en Slovénie sont entre deux et quatre fois supérieurs à ceux considérés comme acceptables au niveau international. En général, le pays continue à accroître sa pression sur l'environnement et son développement économique est partiellement basé sur l'épuisement du capital environnemental. Cependant, malgré les avertissements répétés des principaux spécialistes de l'environnement, des ONG et des évaluateurs externes, le pays continue à opter pour des technologies obsolètes qui sont coûteuses et d’un point de vue énergétique, inefficaces.

Par exemple, une nouvelle centrale thermique fonctionnant au charbon est actuellement prioritaire sur l'agenda politique comme un des piliers des nouvelles sources d'énergie en Slovénie ; ce projet controversé est présenté comme une solution « amicale envers l’environnement ». Ceci est très préoccupant étant donné que le pays a déjà reçu de sérieux avertissements et des sanctions économiques en raison de l'augmentation des émissions de CO2 et du manquement aux accords de Kyoto. Le coût total des sanctions est estimé à EUR 80 millions, c'est-à-dire environ le double du montant de l'APD slovène[18].

 

[1] Matjaž Hanžek et al, Kam po krizi (Liubliana, 7 décembre 2009).Disponible (saisi le 3 mai 2010).

[2]2 Aleš Verdir, “Challenges of international development policies”, (Enjeux des politiques internationales de développement) présenté dans un débat public, ministère des Affaires étrangères (MAE), Liubliana, 16 avril 2010.

[3] MAE, Mednarodno razvojno sodelovanje Republike Slovenije 2002–2004, Liubliana, 2005. Disponible (saisi le 26 avril 2010); MAE, Mednarodno razvojno sodelovanje in humanitarna pomoč, 2009. Disponible (saisi le 26 avril 2010).

[4] Robin Dewa, Priročnik o uradni razvojni pomoči (Liubliana: SLOGA, 2009. Disponible (saisi le 26 avril 2010).

[5] MAE, Proračun EU za programme razvojne pomoči Disponible : <www.mzz.gov.si/si/zunanja_politika/mednarodno_razvojno_sodelovanje_in_humanitar

[6]na_pomoc/proracun_eu_za_programe_razvojne_pomoci/> (entré le 26 avril 2010).

[7]6 Uradni list št.73, Resolucija o mednarodnem razvojnem sodelovanju do 2015 (18 juillet 2008). Disponible sur :  <www.uradni-list.si/_pdf/2008/Ur/u2008073.pdf> (saisi le 26 avril 2010).
Ekvilib Inštitut, Slovenija – AidWatch poročilo in priporočila 2009: Uradna razvojna pomoč Slovenije, Liubliana, 2009. Disponible sur : <www.ekvilib.org/clovekove-pravice-in-razvojno/slovenija-2> (saisi le 26 avril 2010).

[8] Eva Marn, communication personnelle, 2 mai 2010.

[9] MAE, Mednarodno razvojno sodelovanje in humanitarna pomoč ,2009, op cit.

[10] MAE, Izjava za javnost o rezultatih javnega razpisa za sofinanciranje mednarodnih razvojnih in humanitarnih projektov nevladnih organizacij v 2010 in 2011 (2010). Disponible sur : <www.mzz.gov.si/nc/si/splosno/cns/novica/article/141/26654/> (saisi le 27 avril 2010).

[11] MAE, “Rezultati javnega razpisa za sofinanciranje mednarodnih razvojnih in humanitarnih projektov nevladnih organizacij v 2010 in 2011”, 2010. Disponible (saisi le 27 avril 2010).

[12] Ekvilib Inštitut, op. cit.

[13]Johannes Krause, “DE Watch, Annex I – Country profiles,” document inédit, 2010.

[14] Maja Dolinar in Franci Iskra, “A.W.A.R.E. Grid Local report Slovenia,” document inédit, 2010.

[15] Ibid.

[16] Franci Iskra, communication personnelle, 2 mai 2010.

[17] Dušan Plut, Trajnostni razvoj med mavrico teorij in skromno prakso (2010). Disponible sur : <www.planbzaslovenijo.si/upload/trajnostni-razvoj/plut-besedilo.pdf> (saisi le 2 mai 2010).

[18] Keith Miles, “Osemdeset milijonov je evrov težka obdavčitev Slovenije ni pravična”, Finance 150, 2009. Disponible sur.