Aide au développement sans directives claires

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Network of East-West Women / NEWW-Polska
Agnieszka Nowak
Monika Popow

Après avoir été un pays récepteur d’aide pour le développement la Pologne est devenue aujourd’hui pays donateur et participe à la réduction de la brèche du développement mondial. Cependant, malgré son nouveau rôle  sur la scène politique internationale, la Pologne doit encore faire face aux effets secondaires de la transition vers une économie de marché. D’autre part, les répercussions de la crise financière mondiale se font sentir au niveau de l’économie nationale et, par conséquent, au sein des foyers.

Au début de la transition économique de 1989, le Produit intérieur brut (PIB) de la Pologne a brusquement chuté et le taux de pauvreté s’est élevé de façon significative. L’Office national de statistiques estime que le taux de pauvreté extrême en 2008 est descendu à 5,6 %, alors qu’il était à 6,6  % en 2007. Le taux de pauvreté relative était de 17,3 % en 2007 et de 17,6 % en 2008. Le pourcentage de personnes vivant dans un logement et ayant un indice de consommation inférieur au seuil de la pauvreté était de 10,6 % en 2008 et de 14,6 % en 2007[1].

Cependant, les différences entre les groupes sociaux se creusent. Il est très probable que la diminution actuelle des revenus familiaux entraîne l’appauvrissement accru des classes moyennes et ouvrières. L’exclusion sociale toujours grandissante se répercute sur le processus démocratique : seulement 25 % des Polonais considèrent qu’ils peuvent avoir une influence sur l’État ;  72 % affirment qu’une telle influence dépasse leurs capacités[2].

Les familles pauvres, les mères célibataires, les enfants orphelins, les personnes handicapées ou atteintes de maladies chroniques et les personnes âgées constituent les groupes de risque d’exclusion sociale les plus importants. Étant donné que les mères de famille sont celles qui assument la plus grande responsabilité du soin des enfants, ainsi que des membres de leur famille, vieillards ou handicapés, on peut considérer que la pauvreté affecte plus directement les femmes que les hommes[3].

Selon l’Office national de statistiques, le taux de chômage enregistré atteignait 8,5 % fin 2009 : 8,2 % chez les hommes et 8,8 % chez les femmes[4]. Il convient d’ajouter que la Pologne manque de moyens efficaces pour stimuler l’embauche des femmes, particulièrement de celles de plus de 50 ans, et d’une réglementation qui combatte la discrimination à l’égard des femmes sur le marché du travail, comme par exemple le manque de disposition à leur offrir un travail en cas de maternité.

Éducation

La Pologne présente des niveaux de scolarisation élevés dans tout le système éducatif. L’accès universel à l’éducation est garanti et les taux d’alphabétisation atteignent pratiquement 100 %. Parmi la population de plus de 16 ans, les femmes présentent un niveau éducatif plus élevé que celui des hommes : 19,5 % des femmes a suivi des études secondaires et 9 % des études supérieures (contre 16,4 % et 14,8 % des hommes, respectivement)[5].

Cela dit, le système éducatif polonais reste cependant discriminatoire en fonction du sexe, surtout dans le secteur tertiaire. Les femmes constituent la moitié des élèves, parfois même plus, mais elles ne participent pas dans le processus des prises de décisions. Par ailleurs, les écarts entre les sexes se creusent en ce qui concerne les salaires, les promotions, les conditions de travail et le niveau académique. Qui plus est, les études supérieures ne tiennent pas compte de la problématique que pose l’équilibre entre la vie de famille et la carrière professionnelle. La discrimination des femmes scientifiques est facilement discernable puisque, malgré le fait que 65 % des diplômés soient des femmes, leur participation aux études de plus haut niveau diminue après l’obtention de la licence. Au niveau du doctorat, 49 % des diplômées sont des femmes et le nombre de professeurs femmes aptes à enseigner en faculté atteint 35 %. Pourtant, seulement 16 % d’entre elles obtient une chaire[6].

La santé

Le système sanitaire est financé par des fonds publics. Bien qu’il existe des organismes publics et privés qui coopèrent avec l’État dans l’administration des soins, le système ne compte toujours pas sur les ressources nécessaires. Les patients doivent payer certains services à part. Seul un petit nombre de personnes a les moyens de payer l’assurance maladie, qui est chère, et la grande majorité de la population n’a pas accès à un système de santé de bonne qualité.

Il existe un grand déficit en matière de droits sexuels et reproductifs en Pologne. L’accès limité aux contraceptifs, ainsi que le manque d’orientation en matière de planification familiale et de soins qualifiés avant, pendant et après la grossesse pour toutes les femmes, constituent une violation des droits humains. Le pays a reçu plusieurs blâmes en ce sens de la part des agences internationales. Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW, selon son sigle en anglais) a décidé que la Pologne devait mettre en œuvre des mesures favorisant l’accès des femmes aux soins de santé et a recommandé de faire des recherches sur l’ampleur, les causes et les conséquences de l’avortement illégal et de ses effets sur la santé des femmes[7].

D’autre part, des services tels que l’assistance médicale pendant l’accouchement ou l’anesthésie épidurale libre sans ordonnance médicale doivent être payées à part et comptant. Les femmes doivent assumer le coût élevé de l’accouchement si elles désirent que leur partenaire y assiste, ou pour avoir droit à une anesthésie autre que l’habituelle, ce qui fait que l’écart entre les riches et les pauvres se creuse encore plus.

L’immigration

Par rapport à d’autres pays de l’Union européenne, la Pologne a une histoire relativement courte en matière d’immigration. Pendant longtemps les politiques migratoires de la Pologne se sont davantage centrées sur les sorties que sur les entrées de migrants. Au cours de la période 1989-2004, les politiques sur l’immigration sont devenues plus réactives, au fur et à mesure qu’avançaient les préparatifs d’entrée au sein de l’UE. On parlait de l’immigration surtout au sujet des droits humains et de la protection des réfugiés, de la protection des frontières et du rapatriement des Polonais ethniques en provenance des pays de l’ex-Union Soviétique, plus que du point de vue des politiques sociales ou économiques[8].

La Pologne étant un pays relativement pauvre, les autorités ont sous-estimé les problèmes de l’immigration. Du point de vue théorique la Pologne vise une politique d’intégration basée sur les modèles européens ; du point de vue pratique, les étrangers qui arrivent à s’intégrer ne doivent leur réussite qu’à leur propre détermination et à leur façon d’agir[9].

L’incorporation à l’UE en mai 2004 a supposé l’inclusion de normes et de règlements de l’UE dans la législation nationale, et le développement de la capacité institutionnelle dans ce domaine. En juin 2004, la Loi pour la promotion de l’emploi et des institutions du marché du travail est entrée en vigueur. Cette loi spécifie qui peut bénéficier d’un permis de travail, d’un permis de séjour temporaire,  de l’autorisation de « séjour toléré»  ou bénéficier d’une « protection temporaire » . Malgré les remaniements institutionnels et législatifs effectués pour s’ajuster aux normes européennes, la Pologne n’a pas encore élaboré une politique d’immigration incluant l’intégration des étrangers. En revanche, les politiques se sont centrées sur les réfugiés, sur le rapatriement des Polonais ethniques et sur le cas des conjoints étrangers des citoyens polonais[10].

Il n’existe pas de structures autorisant les immigrés à prendre part aux  décisions politiques à quelque niveau que ce soit. Il n’y a pas non plus d’organes consultatifs ni de partis d’immigrés. De plus, ni le Gouvernement, ni les partis politiques, ni les ONG, ni les migrants eux-mêmes n’analysent le sujet du droit de vote local pour les non ressortissants[11]. Jusqu’à ce jour, la participation civique active des immigrés se borne aux activités destinées à améliorer la situation sociale et économique des communautés d’immigrés et à préserver leur identité ethnique, religieuse et culturelle.

Aide au développement

En 2008 l’Aide publique au développement (APD) apportée par la Pologne a atteint PLN 900 millions (USD 272,6 millions), soit 0,08 % du PNB. En 2006 l’APD a atteint PLN 922,2 millions (USD 279,3 millions), ce qui veut dire que le niveau de l’APD polonaise a baissé pour la première fois depuis que la Pologne a intégré l’UE. En 2008 le pays n’a pas pu garantir une augmentation constante des fonds pour l’APD, alors que selon l’objectif prévu pour 2010, l’APD polonaise doit atteindre 0,17 % du PNB et augmenter à 0,33 % en 2015[12].

L’APD polonaise est composée d’aide multilatérale (offerte à travers les organisations internationales) et d’aide bilatérale (offerte sous forme directe à travers les institutions, les organisations et autres organismes polonais). L’aide multilatérale repose sur des paiements versés sur le budget de l’UE et de différentes organisations  internationales, ainsi que sur des fonds tels que ceux des agences de l’ONU, du Fonds européen de développement (FED), de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international (FMI), de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) et la Banque européenne d’investissement (BEI). L’aide bilatérale est coordonnée par le ministère des Affaires étrangères, mais elle comprend également des paiements effectués par d’autres ministères polonais, tels que le ministère du Travail, ou celui de l’Éducation entre autres. Ces fonds sont affectés à travers des projets cofinancés et dirigés par des organismes de l’administration publique et des ONG[13].

Les canaux par lesquels s’effectue l’aide étrangère de la Pologne  consistent en : aide alimentaire, bourses, aide financière, aide technique et aide humanitaire. En 2006 le pays a ratifié la Convention relative à l’aide alimentaire, bien que jusqu’à présent il n’ait offert aucune aide alimentaire à l’étranger dans le cadre de la coopération pour le développement.

Une large part de l’APD polonaise est affectée aux bourses destinées aux étudiants de pays en développement et de pays en transition. Le programme de bourses K. Kalinowski, institué par le premier ministre Kazimierz Marcinkiewicz en mars 2006, s’adresse aux étudiants de Biélorussie expulsés des universités biélorusses pour avoir défendu les valeurs démocratiques.
Ce programme est mis en oeuvre en coopération avec le ministère de l’Éducation et des sciences et il est coordonné par le Centre de recherches sur l’Europe de l’Est de l’Université de Varsovie[14]. Selon les informations fournies  ces dépenses constituent des APD. Or, elles ne remplissent pas les conditions requises par l’OCDE-CAD[15].

Le but de l’aide technique est d’offrir son appui au renforcement des capacités des ressources humaines, et d’accroître la formation et la capacité technique et productive des pays en développement. Ce genre d’aide revêt plusieurs modalités, comme par exemple le renforcement des capacités, les délégations d’experts, les voyages d’études, les bourses d’autres activités qui sont réalisées dans le cadre de projets mis en œuvre par des organismes administratifs du Gouvernement, des gouvernements locaux et des ONG.

L’aide humanitaire provient des réserves du budget national prévues à cette fin, qu’administre le Service de Coopération au développement du ministère des Affaires étrangères. Ces aides se basent sur les principes de Bonnes pratiques pour l'action humanitaire et le Consensus européen sur l’aide humanitaire. Les pays prioritaires des donations humanitaires de la Pologne sont le Soudan, le Tchad et l’Irak. Simultanément, Varsovie coopère souvent de façon directe avec des organisations humanitaires qui fonctionnent  au niveau local quand des catastrophes se produisent, ainsi qu’avec des ONG locales.

Depuis 2008 l’armée polonaise s’est employée à la distribution d’aide au développement, surtout en Afghanistan. Selon certaines critiques émises par des ONG, « choisir les militaires comme acteurs de la mise en oeuvre des activités d’aide ne contribue pas à l’efficacité de la coopération au développement, qui dépend en grande partie de l’angle de vue, de la motivation et des objectifs des responsables de la mise en oeuvre de cette aide »[16].

Les objectifs de l’APD polonaise

Les principaux objectifs de l’aide étrangère polonaise visent la réduction de la pauvreté et l’accomplissement des autres Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) dans les pays qui reçoivent l’aide de la Pologne, ainsi que la garantie de la démocratie, de l’État de droit, du développement de la société civile et du respect des droits humains en Europe de l’Est.

Les pays prioritaires recevant l’aide étrangère offerte par la Pologne sont l’Ukraine, la Moldavie, la Biélorussie, l’Afghanistan, l’Irak, la Géorgie, l’Angola, le Vietnam et l’Autorité palestinienne. L’aide bilatérale offerte aux pays prioritaires s’adresse principalement aux Nouveaux États Indépendants (NEI): l’Arménie, l’Azerbaïdjan, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, le Turkménistan et l’Ouzbékistan.

Les prémisses de l’APD polonaise sont conséquentes avec les OMD et les politiques de développement de l’Union européenne. Parmi ses objectifs principaux figurent « l’aide à la croissance économique durable, le respect des droits humains, de la démocratie, de l’État de droit et de la  bonne gouvernance, la promotion de la sécurité et de la stabilité mondiales, le transfert d’expérience dans le domaine de la transformation politique polonaise, le développement des ressources humaines, l’aide au développement de l’administration publique et des structures locales, la protection de l’environnement et la prévention de problèmes environnementaux, et l’offre d’une aide humanitaire et alimentaire d’urgence [17]».  

La coopération de la Pologne pour le développement et la mise en oeuvre de ses programmes d’aide étrangère sont de nouveaux domaines de politique étrangère qui n’ont pas encore été couverts par une législation intégrale. Par ailleurs, les données ne sont pas ventilées par sexe. Le procédé habituel du ministère des Affaires étrangères consiste à résumer les montants de l’aide étrangère polonaise et à les annoncer par pays et non pas en fonction des actions spécifiques réalisées.

L’aide étrangère polonaise n’est pas assez clairement définie à la base. Une bonne coordination au niveau de l’aide au développement doit absolument être garantie (conformément aux exigences requises par l’UE), ainsi que la mise en place de mécanismes financiers efficaces et efficients, et la création d’un cadre institutionnel et légal précis. Il est nécessaire de mettre en oeuvre et en pratique des solutions qui ont déjà fait leurs preuves dans d’autres pays développés afin d’assurer la continuité des politiques polonaises de développement et l’aboutissement effectif des objectifs tracés.

[1] Office national de statistiques. Situation des ménages en 2008 à la lumière de l’enquête sur les budgets des familles. Disponible sur : <www.stat.gov.pl/cps/rde/xbcr/gus/PUBL_wz_sytuacja_gosp_dom_2008.pdf>.

[2] Centre de recherches sur l’opinion publique. Disponible sur : <www.cbos.pl/SPISKOM.POL/2009/K_020_09.PDF>.

[3] Fondation Feminoteka. La femme en Pologne pendant la transition 1989-2009. Disponible sur : <www.feminoteka.pl/downloads/raport_20lat_www.pdf>.

[4]  Office national de statistiques. Le contrôle du marché du travail. Information trimestrielle sur le marché du travail. Disponible sur : <www.stat.gov.pl/cps/rde/xbcr/gus/PUBL_pw_kwartalna_inf_o_rynku_pracy_4k_2009.pdf>.

[5] Office National de Statistiques. Les revenus et les niveaux de vie de la population. Rapport élaboré à partir de l’enquête UE-ECV de 2007 et 2008. Disponible sur : <www.stat.gov.pl/cps/rde/xbcr/gus/PUBL_wz_dochody_i_warunki_zycia-rap_2007-2008.pdf>.

[6] Andrea Rothe et al., Gender Budgeting as a Management Strategy for Gender Equality at Universities (Prévisions budgétaires concernant la parité en tant que stratégie de gestion pour l’égalité des sexes dans les universités), Munich, 2008, 22.

[7] Agnieszka Nowak, “Women’s status in Poland: a permanent crisis,” in Beijing and beyond: Putting gender economics at the forefront (“La situation de la femme en  Pologne : une crise permanente”), Social Watch, 2010. Disponible sur : <www.socialwatch.org/node/11595>.

[8] K. Iglicka, Poland: Waiting for immigrants. But do we really want them? (“La Pologne :  en attendant les étrangers. Souhaitons-nous vraiment les recevoir ?”),Centro Studi Di Politica Internazionale. Disponible sur : <www.cespi.it/WPMIG/Country%20mig-POLAND.pdf>.

[9] Ibíd.

[10] Voir .

[11] Iglicka, op. cit.

[12] Groupe Zagranica, Polish Development Assistance 2008 (“Aide polonaise au développement”). Rapport indépendant des ONG. Disponible sur : <www.trialog.or.at/images/doku/polish-oda-2008-ex_summary_eng.pdf>.

[13] Voir : <www.polskapomoc.gov.pl/The,Ways,of,Providing,Polish,Foreign,Assistance,166.htm>.

[14] Aide Polonaise. Voir : <www.polskapomoc.gov.pl/Scholarships,179.html>.

[15] Groupe Zagranica, Polish Development Assistance 2008 (“Aide polonaise au développement”), op. cit.

[16] Ibid.

[17] Justification de la Loi relative à l’aide polonaise au développement. Voir : <globalnepoludnie.pl/New-strategy-for-Polish-foreign>.