Sécurité alimentaire: l’enjeu pour une aide efficace

Coordinación de ONG y Cooperativas (CONGCOOP)
Norayda A. Ponce Sosa
Helmer Velásquez

L’insécurité alimentaire est un fléau national qui demande des mesures urgentes, coordonnées, effectives et durables, et la société civile doit pouvoir participer à sa planification et à son exécution. Déclarer l’État de calamité publique, tel que le Gouvernement l’a fait en septembre 2009, n’est pas suffisant. Il faut rompre le cycle de la faim comme premier pas pour réduire la pauvreté et atteindre le développement économique et social. Pour cela, les politiques nationales, le financement et l’aide internationale doivent être coordonnés, en priorisant les besoins urgents de la population guatémaltèque. Si cela n’est pas pris en compte, les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) resteront des objectifs inaccessibles.  

L’insécurité alimentaire et nutritionnelle au Guatemala continue à entraîner des indices élevés de morbidité et de mortalité, une croissance et un développement inappropriés pendant l’enfance, des difficultés d’apprentissage scolaire et une faible productivité chez les adultes. La population la plus affectée est celle d’origine pauvre, rurale, analphabète et indigène.

Parmi les principales causes de cette insécurité alimentaire nous pouvons citer d’un côté, des aspects sociaux, entre autres la pauvreté et l’extrême pauvreté, les mauvaises conditions de logement, la faible scolarisation, des logements et des infrastructures sanitaires médiocres, la migration interne et externe. D’un autre côté, des aspects économiques tels que l’accès et la possession des terres, l’inéquité de la répartition agricole, le chômage, la hausse des prix du panier de la ménagère, le manque de ceréales de base, la crise économique internationale. Et finalement, des aspects environnementaux tels que le changement climatique, la désertification et les phénomènes du « Niño » et de la « Niña ».

Quelques chiffres

  • Le Guatemala occupe la 122ème place sur 182 pays selon l’Indice de développement humain (IDH). Il est considéré comme un pays à revenu moyen avec une distribution inégale de la richesse[1]. Près de 20 % de la population concentre 60 % du revenu national.
  • Sur les 14 millions d’habitants, dont 50 % sont indigènes et 54 % ruraux[2] , la moitié ( 7 140 000 hab.) vit en situation de pauvreté (un peu plus de cinq millions de personnes sont pauvres et quelques deux millions vivent en situation d’extrême pauvreté)[3]
  • La diminution des envois de fonds, qui s’est accentué cette année, a fait augmenter le nombre de personnes susceptibles de tomber sous le seuil de pauvreté et d’extrême pauvreté. Actuellement il existe 850 000 personnes risquant de tomber sous le seuil de pauvreté et 733 500 courent le risque de tomber dans l’extrême pauvreté.
  • Dans certaines régions du pays la malnutrition atteint 75 %, un des indices les plus élevés au monde.
  • Selon le Programme alimentaire mondial (PAM), le Guatemala occupe la première place en Amérique latine en malnutrition infantile (1 enfant sur 4 de moins de 5 ans)[4]. D’un autre côté, bien que la malnutrition chronique infantile soit de 43 %, dans le « couloir sec », la région orientale du pays la plus affectée par la sécheresse de 2009, elle est passé de 1 % à 10 % chez les enfants et à 14 % chez les jeunes mères.
  • Entre 1994 et 2004, plus de 500 000 enfants de moins de 5 ans sont morts de malnutrition (77 % aurait survécu s’il n’en avait pas souffert)[5].
  • Selon le Secrétariat de la sécurité alimentaire (SESAN), près de 145 000 familles ont perdu leurs récoltes en 2009 à cause du manque de pluies et ont besoin aujourd’hui d’aide alimentaire.

 
Actions du Gouvernement

Le cabinet du Gouvernement conjointement avec le Conseil de cohésion sociale[6], remplissent un rôle important dans la définition et l’exécution des programmes et projets destinés à garantir la Sécurité alimentaire et nutritionnelle à travers les fonds sociaux et les programmes d’assistance tels que : Bolsas Solidarias (Bourses solidaires), Mi Familia Progresa (Ma famille progresse) et Mi Familia Produce (Ma famille produit). Ces institutions ont élaboré le Plan opérationnel annuel intersectoriel de sécurité alimentaire et nutritionnelle 2010. Le programme se compose de 5 objectifs stratégiques et possède un budget de 2,2 milliards de GTQ (environ USD 272 millions ). Il existe quelques instances participatives telles que la Table sectorielle SAN[7] et la Commission nationale de sécurité alimentaire et nutritionnelle[8].

Le 11 septembre 2009, le Gouvernement du président Álvaro Colom a présenté le Plan d’intervention pour garantir la SAN dans les régions prioritaires du couloir sec, dans les départements de El Progreso, Baja Verapaz, Zacapa, Chiquimula, Jutiapa, Jalapa et Santa Rosa, qui affectera USD 17,5 millions  à la livraison immédiate d’aliments, le développement de projets productifs et la réalisation de journées médicales de révision et de suivi des groupes vulnérables. Dans le département de Guatemala, 50 000 Sacs solidaires sont octroyés à autant de famille dans les zones urbaines marginales.

Pour remplir les Objectifs du Plan stratégique de sécurité alimentaire et nutritionnelle (PESAN) durant 2009, la projection budgétaire a été de USD 269,2 millions, y compris USD 2,82 millions destinés au renforcement des capacités pour combattre l’insécurité alimentaire[9].

L’aide internationale ne résout pas les problèmes structurels

Les programmes et projets envisagés dans le PESAN 2009, ont été financés de la manière suivante :

  • Fonds exécutés par la SESAN : USD 1,62 million, provenant de la Banque interaméricaine de développement (BID), l’UNICEF et l’UE.
  • Fonds gérés et coordonnés par la SESAN : USD 32,48 millions, provenant de l’Agence pour le développement international, la FAO, l’UE, le PMA, la Banque mondiale, l’Organisation panaméricaine de la santé et le système des Nations Unies.

En réponse à l’urgence provoquée par les phénomènes du Niño et de la Niña, quelques institutions financières internationales ont destiné des ressources pour investir dans l’agriculture, l’éducation, la santé, l’amélioration de la situation de l’enfance et des femmes en âge de procréer, la sécurité alimentaire, la nutrition et la dotation d’aliments. Entres autres :

  • Le système des Nations Unies (USD 34,1 millions).
  • Le Fonds central d’intervention d’urgence de l’ONU (USD 5 millions).
  • L’Organisation panaméricaine de la santé, l’Organisation mondiale de la santé et le Fonds des Nations Unies pour la population (USD 5,7 millions).
  • La FAO (USD 5,4 millions).
  • La UE (USD31,4 millions).
  • Le PMA (200 tonnes d’aliments).
  • Le Fonds pour la réalisation des OMD, que le programme Alianzas (Alliances) a soutenu pour améliorer la situation de l’enfance, la sécurité alimentaire et la nutrition.

Durant la période 1990-2008, un total net de USD 5.064 millions d’Aide publique au développement a été reçu (APD), particulièrement pour les programmes de développement rural. Près de 85 % de cette aide provient de pays de l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE), les pays de l’UE en ont apporté 54 % , l’aide multilatérale a représenté 15 % et 5 % a été octroyé par le système des Nations Unies. 

Bien que la coopération internationale ait contribué à combattre certains problèmes sociaux, elle n’a pas attaqué les problèmes structurels qui se manifestent fondamentalement dans l’inégalité de la distribution de la richesse et du revenu. Ainsi, son impact a été très faible, particulièrement en ce qui concerne la stratégie de réduction de la pauvreté, l’agenda de la paix et la réalisation des OMD.
Cela empêche donc le combat effectif contre la famine qui continue à constituer une violation systématique des droits humains dans le pays. 

La situation critique au Guatemala montre la nécessité de mettre en place des mécanismes effectifs de dialogue intersectoriel permettant un débat critique avec une large participation et des propositions pour aborder le sujet de la Coopération internationale au développement.  Le financement du développement continue à être unilatéral et prend en compte les intérêts des donateurs. Dans le cas de la coopération bilatéral, celle-ci prend usuellement en compte les intérêts du Gouvernement au pouvoir et non pas les politiques d’État, laissant de côté les organisations de la société civile.

Un autre problème concerne l’établissement des calendriers pour l’octroi de l’aide car ils obéissent aux priorités des donateurs et non pas aux besoins spécifiques de la population guatémaltèque.

La nomination du Conseil de coopération internationale[10] est le résultat de la Déclaration des réunions de haut niveau célébrées en 2008 entre le Gouvernement du Guatemala et le Groupe de dialogue du G13[11]. Le Conseil a la responsabilité de développer un plan conjoint qui permette de coordonner les programmes et projets de coopération avec les plans nationaux, en accord avec la Déclaration de Paris[12] et le Plan d’action d’Accra (2008), spécialement en ce qui concerne le soutien budgétaire et l’approche sectorielle, avec un accent sur la santé, l’éducation et la sécurité-justice. Jusqu’à présent, on ne connait pas les progrès réalisés dans ce sens.

L’OMD 1, qui se rapporte strictement à la sécurité alimentaire, stipule l’éradication de l’extrême pauvreté et de la famine. On estime que réduire de moitié le nombre de personnes qui vivent dans la pauvreté pour 2015 exige des mesures urgentes et transformatrices qui permettent à la population du pays (et spécialement à la population indigène) de diminuer le pourcentage d´ extrême pauvreté s’élèvant à 29 %, que l’on retrouve dans 32 % de la population rurale, spécialement à Alta Verapaz et El Quiché, où 8 personnes sur 10 sont pauvres.

A 5 ans  de l’échéance  du délai établi pour l’accomplissement des OMD (2015), l’OMD 1 est très loin d’être atteint:

  • L’incidence de l’extrême pauvreté continue à révéler des disparités importantes.
  • La malnutrition globale (chez les enfants de moins de 5 ans ayant un poids  inférieur au poids normal pour leur âge) s’est réduite de 34 % à 24 % entre 1987 et 1998 en termes globaux, mais il a augmenté dans le nord-est du pays de 27 % à 28 % durant la même période. En 1998, il atteignait dans le nord-est 33 % et dans la région métropolitaine 19 %.
  • On observe, en termes généraux, un progrès inégal dans l’avancée vers l’accomplissement des 8 OMD, dû fondamentalement à l’inégalité, l’exclusion et la distribution inégale du revenu, qui limite la capacité de consommation de la grande majorité de la population.

Le gros enjeu

Tant que la disponibilité d’aliments au niveau local et national sera limitée, situation qui pourrait s’améliorer à travers le stockage dans des silos ou des caves, il sera très difficile pour la population en situation de pauvreté ou d’extrême pauvreté d’avoir le contrôle sur les moyens de production et l’accès adéquat aux aliments disponibles sur le marché. Cela limitera sa consommation et sa possibilité pour profiter des services minimums lui permettant de mener une vie digne.

Le Gouvernement, les organisations de la société civile et la coopération internationale n’ont pas été efficaces en ce qui concerne l’harmonisation des mesures pour garantir progressivement le droit à l’alimentation de la population la plus vulnérable. Les réponses du Gouvernement continuent à être à court-termistes, assistancielles et cherchant davantage le sensationnalisme que l’effectivité, comme dans le cas du décret d’État de calamité publique[13].

Bien que la moitié de la population soit indigène, le financement international a négligé les questions ethniques ou les autres différences d’ordre social, culturel ou économique, en partie par omission du Gouvernement lors de l’assignation de l’aide. Finalement, l’amélioration de l’effectivité de l’aide continue à constituer un enjeu. Il est impératif de se compromettre davantage avec les finalités sociales de l’aide pour que celle-ci ne réponde pas uniquement aux intérêts économiques ou géopolitiques (qu’ils soient du Gouvernement ou des donateurs) qui n’ont pas grand chose à voir avec le développement véritable.

[1] Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), Rapport National sur le Développement Humain 2009. Superando barreras : Movilidad y desarrollo humanos (Guatemala : PNUD, 2009) (Outrepassant les barrières: Mobilité et développement humains). Disponible sur : <hdr.undp.org/en/media/HDR_2009_ES_Complete.pdf>.

[2] Secrétariat général de la planification et de la programmation de la présidence (SEGEPLAN), Informe de Avances 2010. Objetivos de Desarrollo del Milenio (Guatemala, 2010) (Rapport sur les Progrès 2010.  Objectifs du millénaire pour le développement). Disponible.

[3] Institut national de statistique, Encuesta Nacional de Condiciones de Vida 2006 (Enquête Nationale sur les conditions de vie 2006). Disponible.

[4] Secrétariat de sécurité alimentaire et nutritionnelle (SESAN). Rapport présenté durant la Conférence l’insécurité alimentaire et les dépenses sociales en Amérique latine et dans les Caraïbes : Contexte, conséquences et enjeux. Guatemala, novembre 2009.

[5] Ibid.

[6] Coordonné par la Première Dame.

[7] Constituée en septembre 2009, elle est intégrée par le président et le vice-président de la République, la SESAN, des Ambassadeurs et Représentants de la Coopération internationale, le SEGEPLAN, la Cohésion sociale, le ministère des Relations extérieures et la Commission nationale de SAN.

[8] Une partie de la structure du Système national de sécurité alimentaire et nutritionnelle. Loi du Système national de sécurité alimentaire et nutritionnelle, Décret 32.2005, du Congrès de la République du Guatemala.

[9] Morales, Zully. Élaboration personnelle selon les données du Plan stratégique de sécurité alimentaire et nutritionnelle 2009-2012.

[10] Le Conseil de coopération internationale est formé par le Secrétariat général de la
planification et la programmation de la présidence (SEGEPLAN), le ministère des Finances publiques et le ministère des Relations extérieures.

[11] Intégré par les neuf pays qui destinent le plus de ressources au Guatemala (l´Allemagne, le Canada, l´Espagne, les États-Unis, l´Italie, la Norvège, le Japon, les Pays Bas et la Suède), avec la Banque interaméricaine de développement, la Banque mondiale, la Commission européenne, le FMI, le PNUD et l’OEA.

[12] La Déclaration de Paris encourage les principes d’Appropriation, d’Alignement, d’Harmonisation, de Gestion orientés vers des résultats et de responsabilité mutuelle pour obtenir une efficacité et un impact plus important de l’Aide au développement; le Plan d’action contient les actions à réaliser pour respecter ces principes.

[13] Gouvernement du Guatemala. Décret Gouvernemental Nº 10-2009 du 8 septembre 2009, prorogé par le Décret Nº 11-2009 du 7 octobre 2009. Disponible sur: <www.guatemala.gob.gt/docs/Acuerdo%20Calamidad.pdf>.