L’augmentation et l’amélioration de l’aide au développement sont deux questions indispensables

Dr Mudassir Rasuli
Coordination of Humanitarian Assistance (CHA)
Sanayee Development Organization (SDO)[1]

Après plus d’un quart de siècle de guerre et presque une décennie d’intervention de la communauté internationale pour mettre fin au régime des Talibans, l’Afghanistan reste un pays instable. Malgré les dépenses effectuées dans le domaine de la sécurité, celle-ci reste faible dans plusieurs régions. Le Gouvernement dispose de ressources limitées et couvre la plupart des dépenses grâce à des subventions, des prêts et un budget externe. L’aide au développement est insuffisante et a souvent été utilisée de manière inefficace. Les ressources disponibles ne devraient pas être employées à des fins politiques et militaires mais pour créer un espace humanitaire permettant le développement, notamment dans les zones de conflit.

En 2001, les forces de l’Alliance du Nord et de la coalition dirigée par les États-Unis ont renversé le régime taliban. Le pouvoir a été assumé par un Gouvernement intérimaire sur la base de l’Accord de Bonn[2] et en 2004 ce régime a adopté une nouvelle Constitution. Cette même année et un an après l’élection présidentielle, des élections législatives ont eu lieu. Après une brève période de paix relative dans la plupart des régions du pays, la situation a commencé à se détériorer à cause des activités exercées par des groupes recevant des armes des talibans. La Force Internationale d’assistance à la sécurité (ISAF, pour son sigle en anglais) a incorporé une quantité croissante d’effectifs dans le pays et a dispensé une formation à l’armée et à la police nationale mais en dépit de cela, la situation s’est aggravée d’année en année.

Le Gouvernement a dû relever l´enjeu de combattre des groupes d’opposition armés mais il a également dû faire face à d’autres adversités, comme la grande sécheresse de 2008, qui frappent les populations les plus pauvres des zones rurales. En même temps, le Gouvernement est tenu de démontrer sa légitimité à travers l’application de la Constitution, la tenue d’élections et l’organisation de travaux de reconstruction et de développement.

Malgré ces difficultés, des changements positifs ont eu lieu dans le secteur de la santé : selon les indicateurs, le taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans a diminué, passant de 257 à 161 pour 1.000 enfants nés vivants grâce à l’augmentation de l’offre des soins médicaux de base et aux larges campagnes de vaccination mises en œuvre dans le pays. En outre, le taux de mortalité infantile a diminué de 129 à 111 pour 1.000 enfants nés vivants. Le taux d’accouchements assistés par un personnel qualifié est passé de 15 % en 2005 à 24 % en 2008. Aucune information récente sur la mortalité maternelle n’est disponible ; les chiffres les plus récents indiquent une mortalité de 1600 pour 100.000 enfants  nés vivants (l’une des plus élevées au monde)[3].

Pour un pays qui a le niveau de développement humain le plus faible du monde après le Niger[4], il est essentiel d’affronter les problèmes posés par la pauvreté et la mauvaise gouvernance, autant pour des raisons morales que politiques. Dans ce sens, l’aide possède une importance capitale et ces financements doivent être utilisés de la façon la plus responsable et la plus efficace possible.

Sécurité
La reconstruction et le développement sont des processus parallèles, mais le manque de sécurité et la criminalité les mettent gravement en danger. Les groupes d’opposition armés sont en mesure de mettre en œuvre des opérations offensives, et cela même dans la « zone verte » de la capitale[5]. Le nombre de victimes civiles augmente tous les ans, et en 2009 près de 6.000 civils afghans ont été tués ou blessés, ce qui représente plus de 16 victimes par jour[6]. Les statistiques de la Mission d’assistance de l’ONU en Afghanistan (UNAMA) montrent que 2009 a été l’année où le plus grand nombre de civils ont été tués depuis 2001, avec 2.412 victimes civiles (14 % de plus que les 2.118 de 2008). On estime que 67 % (1.630) de ces décès ont été provoqués par des éléments antigouvernementaux et 25 % (596) par des forces progouvernementales. Les 8 % restant (186) n’ont pu être attribués à aucune des parties en conflit car ces personnes ont été victimes de feu croisé ou de munitions n’ayant pas explosé[7].

L’ISAF dirigée par l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), l’armée nationale afghane et la police sont incapables de garantir un environnement pacifique et sûr, notamment dans le sud du pays. En outre, la corruption est très répandue. Ces facteurs ont entravé la reconstruction, l’aide d’urgence et les travaux de développement. La destruction de l’infrastructure est un problème récurrent : dans le sud du pays des écoles reconstruites, des bureaux gouvernementaux et d’autres bâtiments publics ont été brûlés. Dans le nord, l’est et le centre du pays la situation est un peu plus calme.

Production et répartition des ressources

Le pays a élaboré son propre document stratégique pour réduire la pauvreté : la Stratégie nationale pour le développement de l’Afghanistan dont l’élaboration était une condition préalable pour l’allégement de la dette. Avec une dette extérieure de USD 8 milliards en 2009, l’Afghanistan est considéré comme un pays pauvre lourdement endetté. Une initiative récente du Club de Paris destinée à alléger la dette a abouti à l’annulation de USD un milliard, ce qui permettra au pays de consacrer davantage de fonds au développement et à la protection sociale.

Le revenu national ne parvient à couvrir qu’une partie du budget actuel de sorte que le budget pour le développement est entièrement financé avec des ressources provenant de l’étranger. Le budget 2010-2011 est de USD 2,3 milliards, c’est à dire, 18 % plus élevé que le budget 2009 -2010. Il est presque entièrement consacré à la sécurité et à des améliorations dans le domaine militaire et seulement 14 % et 7 % du budget a été alloué à l’éducation et la santé, respectivement. Le budget pour le développement a diminué et il équivaut aujourd’hui à USD 1,7 milliard pour la période 2010-2011, ce qui signifie une réduction de 31 % par rapport à la période 2009-2010. Chaque année on assiste à une légère augmentation des recettes publiques, mais les limitations des ressources destinées à l’infrastructure, à l’agriculture et à l’éducation entravent les efforts visant à éliminer la pauvreté et à rendre l’éducation accessible pour tous.

L’importation de matériaux de construction, comme le ciment et l’acier, aggrave le problème de la fuite des capitaux. En raison du manque de travailleurs qualifiés, les grands entrepreneurs qui exécutent les projets publics ont recours à des travailleurs provenant d’autres pays ; la main-d’œuvre locale ne participe que faiblement à ces activités.

L’agriculture est un des secteurs les plus importants de l’économie afghane, notamment la culture du pavot. Au cours des dernières décennies, cette source de revenus a été durement touchée par la sécheresse. En raison de sa technologie obsolète et de son infrastructure d’irrigation très élémentaire, le secteur est obligé de subir la concurrence de produits importés d’autres pays, comme l’Iran, le Pakistan et l’Ouzbékistan, où le développement technologique et plus avancé. En outre, étant donné que les installations pour le stockage et l’élaboration sont insuffisantes, les agriculteurs doivent vendre leurs produits rapidement et à bas prix.

Aide

Après l’effondrement du régime taliban en 2001, différents pays donateurs se sont engagés à fournir de l’aide à un niveau important, ce qui a déterminé la réhabilitation rapide de nombreux centres urbains et de nombreuses routes, ainsi que de petits projets d’infrastructure publique dans les zones rurales. Toutefois, cela n’a pas amélioré le niveau de vie des personnes pauvres vivant en zones rurales. Les seuls investissements importants ont été réalisés dans des secteurs à rendement élevé, comme le bâtiment et les télécommunications, dans lesquels vers la fin de l’année 2008, un total de USD 1,3 milliard a été investi.[8]

L’aide internationale représente environ 90 % des dépenses publiques et joue un rôle important pour la paix et la stabilité du pays. Toutefois, jusqu’à présent l’aide a été insuffisante et a été utilisée sans tenir compte de certains critères économiques et de manière inefficace. On estime également que 40 % de l’aide a été reversée aux pays donateurs sous la forme de profits pour les sociétés et de salaires des consultants. En décembre 2007, le directeur d’une entreprise de construction privée basée à Kaboul déclarait que certaines entreprises privées qui obtiennent des contrats directs avec les principaux entrepreneurs conservent 50 % du budget avant de sous-traiter l’affaire en la confiant à une entreprise locale.[9]

Les montants destinés à la reconstruction sont de beaucoup inférieurs aux dépenses militaires. Le coût du maintien d’un soldat américain en Afghanistan est d’environ USD 1 million par an[10] et, depuis 2001, l’Afghanistan a dépensé près de 57 % des quelque USD 47 milliards d’aide provenant des États-Unis pour former et équiper les forces afghanes[11].

Information sur l’aide fournie à l’Afghanistan

• Il y a un déficit d’aide de USD 10 milliards, ce qui représente 30 fois le budget national de l’éducation; depuis 2001 les pays donateurs se sont engagés à débourser USD 25 milliards en aide, mais jusqu’à présent seulement USD 15 milliards ont été versés.

• On estime que 40 % de l’aide est récupérée par les pays donateurs sous forme de profit pour les sociétés et de salaires de consultants ; cela représente environ USD 6 milliards depuis 2001.

• En grande mesure, en raison du manque de coordination et de communication, le Gouvernement ne sait pas comment un tiers de l’aide reçue depuis 2001 (équivalant à environ USD 5 milliards) a été dépensé.

• L’armée américaine en Afghanistan dépense environ USD 100 millions  par jour, alors que le volume moyen de l’aide allouée par l’ensemble des pays donateurs depuis 2001 équivaut à seulement USD 7 millions par jour.

• Plus de la moitié de l’aide est conditionnée à l’achat de biens et de services provenant du pays donateur.

• Plus des deux tiers de l’aide sont canalisés à l’extérieur du Gouvernement.

• Selon les derniers chiffres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), moins de 40 % de l’assistance technique est coordonnée avec le Gouvernement et seulement un tiers des travaux d’analyse ou d’évaluation des donateurs se fait de façon conjointe.

• Les marges de bénéfice des entreprises internationales et afghanes dans les contrats de reconstruction sont souvent de 20 % et peuvent atteindre 50 %.

• Les consultants étrangers qui travaillent pour les cabinets de conseil privés à temps plein coûtent entre USD 250.000 et USD 500.000 par an.

Source : Matt Waldman, Falling Short: Aid Effectiveness in Afghanistan, ACBAR Advocacy Series (Kaboul : Agence de coordination pour l’aide humanitaire afghane, 2008).

 

Peu de progrès

Depuis 2001, l’Afghanistan a réalisé des progrès importants, tels que la mise en place d’institutions démocratiques et de ministères, l’amélioration des soins médicaux et de la vaccination, l’expansion de la scolarité primaire, la construction de routes et d’infrastructures de transport, la croissance économique et la formation des forces de sécurité nationales. En outre, on constate de nombreux cas d’assistance correctement administrée : par exemple, dans le secteur de l’éducation ou dans des projets de développement rural basés sur les communautés (dans le cadre du Programme national de solidarité qui a énormément changé la vie des Afghans).

Cependant, la plupart des Afghans endurent encore des privations et des millions d’habitants vivent dans une extrême pauvreté. Une grande partie de l’assistance a été subordonnée aux priorités des pays donateurs plutôt que d’être adaptée aux besoins des Afghans. Beaucoup trop de projets sont conçus pour obtenir des résultats rapides et visibles et non pas pour parvenir à la réduction durable de la pauvreté ou au développement de compétences.

La quatrième partie de l’aide à l’Afghanistan a été affectée à l’assistance technique dans le but de renforcer les compétences des membres du Gouvernement, mais une bonne partie de cette assistance a été gaspillée ou a eu un impact limité. Trop souvent, la conception et l’exécution des plans négligent l’importance du renforcement de compétences et de la situation et les droits des femmes. Le gros de l’aide se dirige vers Kaboul et vers d’autres centres urbains plutôt que vers les zones rurales où vivent plus des trois quarts des Afghans et où elle serait pourtant  plus nécessaire. Certains secteurs, comme l’agriculture, ont reçu un soutien insuffisant, car ils n’ont pas été considérés comme prioritaires.

En outre, selon l’Enquête de suivi de la Déclaration de Paris, plus de la moitié de l’assistance fournie à l’Afghanistan est conditionnée. Les pays donateurs exigent que l’Afghanistan leur achète des services ou des ressources, privant ainsi l’économie afghane d’une aide précieuse et augmentant le coût des projets. Les pays donateurs ne rédigent que rarement - voire jamais - de rapports publics établissant leurs objectifs et il y a peu de preuves de leurs réalisations[12].

L’espace humanitaire

En Afghanistan, les travailleurs humanitaires ne possèdent pas d’espace où ils puissent apporter de l’aide, notamment dans les zones contrôlées par les groupes d’opposition armés.

Après la chute du régime taliban, la plupart des donateurs a estimé que le conflit en Afghanistan était terminé et le Bureau des Nations Unies pour la coordination de l’assistance humanitaire (UNOCHA) a été officiellement fermé. L’UNAMA a pris en charge les activités humanitaires jusqu’à ce que récemment le contrôle ait été repris par l’UNOCHA. La plupart des pays donateurs et des organisations humanitaires (à l’exception du Comité international de la Croix-Rouge) n’ont pas les moyens de négocier l’accès avec l’autre partie en conflit.

Les talibans considèrent les organismes d’aide comme des organismes progouvernementaux, ce qui fait que les ONG ont du mal à accéder aux zones qui ne sont pas contrôlées par le Gouvernement. Il n’y a pas de consensus entre les pays donateurs, les ONG et la société en général sur les besoins véritables en matière d’aide humanitaire. Dans de nombreux cas, l’insistance des forces militaires pour travailler en collaboration avec les ONG a déterminé la militarisation, réelle ou perçue comme telle, de l’assistance[13]. La quasi-totalité des donateurs est formée par des parties belligérantes ; il n’y a pas de place pour l’humanitarisme et l’OTAN lui-même décrit les ONG comme des organismes ayant un « pouvoir faible » et comme des agents progouvernementaux.

[1] Ce rapport a été également révisé par Abdul Aziz Naderi, Directeur du Programme de SDO.

[2] "Accord sur des dispositions provisionnelles pour l’Afghanistan en attendant le rétablissement des institutions permanentes de gouvernement". Voir : <www.afghangovernment.com/AfghanAgreementBonn.htm>.

[3] Central Statistics Organization, "National Risk and Vulnerability Assessment", 2008. Disponible sur : <nrva.cso.gov.af/>.

[4] PNUD, Rapport de Développement humain 2009. Overcoming Barriers: Human Mobility and Development, New York, 2009.

[5] Une bonne partie du centre de la ville de Kaboul a été isolée avec des barricades pour protéger les bases militaires, les ambassades, les bureaux gouvernementaux et les tribunaux, ce qui ressemble à la « Zone verte » de Bagdad.

[6] "UNAMA calls for safety first, as civilian casualties rise by 14% in 2009", communiqué de presse. Disponible sur : <unama.unmissions.org/Default.aspx?tabid=1760&ctl=Details&mid=2002&ItemID=7265>.

[7] Ibid.

[8] Ibid.

[9] Cité dans Matt Waldman, Falling Short: Aid Effectiveness in Afghanistan, ACBAR Advocacy Series (Kaboul : Agence de coordination pour l'aide humanitaire afghane, 2008), 29. Disponible sur : <www.acbar.org/ACBAR%20Publications/ACBAR%20Aid%20Effectiveness%20(25%20Mar%2008).pdf>.

[10] Christopher Drew, "High Costs Weigh on Troop Debate for Afghan War", The New York Times, 14 novembre 2009.

[11] Curt Tarnoff, "Afghanistan: U.S. Foreign Assistance", CRS Report for Congress, 25 juin 2010.

[12] Matt Waldman, op. cit., 9.

[13] Sippi Azarbaijani-Moghaddam, Mirwais Wardak, Idrees Zaman et Annabel Taylor, Afghan Hearts, Afghan Minds: Exploring Afghan Perceptions of Civil-Military Relations (British and Irish Agencies Afghanistan Group, 2008). Disponible sur : <www.baag.org.uk/publications/item/reports/afghan-hearts-afghan-minds>.