EL SALVADOR

La crise et les changements encourageants

Social Watch El Salvador
Mario Paniagua
Armando Pérez
Scarlett Cortez1

Deux décennies d'application de recettes économiques néolibérales ont laissé le pays en situation de grande vulnérabilité pour faire face aux conséquences de la crise économique globale. La détérioration des conditions sociales, économiques, politiques et environnementales, l'exclusion sociale et de travail, la diminution du montant des envois de fonds et la hausse des prix des produits de base sont quelques-uns des effets dévastateurs de la crise actuelle. Bien que la forte dépendance des États-Unis ait été une partie du problème, les changements politiques dans les deux pays pourraient faire que cette dépendance même facilite une sortie.

Le Salvador est en train de clore deux décennies de gouvernements néolibéraux qui ont mené le pays à la détérioration des conditions sociales, économiques, politiques et environnementales. Cette situation se complique encore davantage du fait qu’aucune mesure n’a été prise pour résister aux effets de la récession aux États-Unis, de la crise environnementale, ni ceux du prix du carburant et des aliments.

Détérioration des services publics et des conditions d'emploi

Le pays souffre d’une détérioration de la qualité et de la couverture des services publics – associés à l'érosion des fonctions de l'État et à la réduction relative des assignations budgétaires pour les entreprises publiques qui les fournissent – et de l'imposition d'une logique marchande pour la fourniture des services publics. Les droits économiques et sociaux, le logement, la santé, l'éducation et l'eau, font l'objet d'une pression chaque fois plus grande et, si la crise économique devait se prolonger, cela provoquera encore plus de tension sociale, affaiblissant l'État et augmentant de ce fait le risque d’instabilité et de violence. Parmi les populations les plus vulnérables restent préoccupants l'augmentation du nombre d'enfants qui travaillent, l'augmentation des maladies gastro-intestinales et respiratoires, le taux d’augmentation de personnes avec leVIH, l'augmentation de l'insécurité des citoyens et l'incorporation des enfants et adolescents aux « maras » ou gangs urbains2.

A l'exclusion sociale on ajoute celle du travail, promue par la flexibilisation du marché du travail comme un « incentive d’entreprise » afin de réduire les coûts de travail et qui mène à la détérioration des conditions d'emploi, à la perte de la capacité acquisitive des salaires, à la génération d'un type d'emploi à faible productivité et d'un emploi productif effectué dans des conditions précaires3. A la privation de l'accès aux services publics et des moyens de vie pour les personnes au chômage on ajoute le manque d'accès à des postes de travail productifs et de bonne qualité, qui résultent suffisamment attrayants pour maintenir la population active occupée4. Pour le dernier quinquennat on estime que la population au chômage est inférieure à 7 % de la PEA (Population économiquement active). Selon le PNUD seulement 20 % de la population d'âge économiquement actif a un travail permanent, bien rémunéré et bénéficiant de toutes les prestations sociales5.

Une économie dépendante des États-Unis

Bien que divers organismes financiers mondiaux argumentent que l'économie du Salvador était la plus solide d'Amérique Centrale, les effets de la crise n'ont pas tardé à apparaître. Selon les registres de la BCR du Salvador, 51 % des exportations salvadoriennes en 2007 ont eu comme destin le marché américain. En octobre 2008, les banques ont augmenté les taux d'intérêt et ont commencé à restreindre l'accès au crédit déclenchant une grande incertitude. Les exportations, le tourisme et les envois de fonds aux familles restés au pays ont commencé à chuter6.

Plus de 300.000 familles sont réceptrices d'argent de l'extérieur, 26,7 % de la population ayant à charge des frais d’alimentation, vêtement et services de base. La Banque Centrale de Réserve (BCR) a reporté que, entre 1998 et 2008, les envois de fonds ont été triplés jusqu'à arriver pratiquement à 3.788 millions d’USD, la majorité en provenance des États-Unis. Les flux des envois de fonds ont augmenté en 2008, de 2,5 % par rapport à 2007, baisse notoire si on les compare à 2004, quand ils ont augmenté de 17 %  par rapport à l'année précédente. On peut déjà prévoir que les envois de fonds diminueront en 2009 et 2010 de 3 % environ du total reçu jusqu'à présent. Un des secteurs les plus touchés par la décélération américaine a été celui de la construction, dans lequel travaille une importante fraction de la population salvadorienne résidant aux États-Unis7. Ceci aura un impact significatif sur l'envoi de fonds.

 

Crise des aliments et des carburants

Les schémas de privatisation mis en oeuvre par le Gouvernement, qui ont rejeté la production agricole garantissant la sécurité alimentaire, se sont concentrés sur l'importation de grains de base. Le libre commerce, générateur d'inflation et le manque de capacité acquisitive de la population de par l'absence de règlementation de l'État en ce qui concerne le marché, affaiblit encore plus le pays pour faire face à la crise mondiale.

Des estimations faites par la Commission Economique pour l'Amérique latine (CEPAL) indiquent que, pour chaque augmentation de 15 % sur le prix des aliments, la pauvreté dans les pays de la région augmente de 2,8 %. Dans ce sens, en considérant qu'au Salvador la hausse des prix a été plus importante, l'augmentation de la pauvreté est plus importante également..

L'impact de la hausse sur les prix du pétrole s’est vérifié avec l'augmentation des prix des produits alimentaires de base, produisant une détérioration rapide du pouvoir d'achat de larges segments de la population et donc son appauvrissement.. Depuis 2007 les prix des aliments a subi une hausse continue. La moyenne inflationniste des quatre dernières années a été de 4,9 % ; l'inflation d'avril 2008 est arrivée à 6,8 % . Pendant cette période, l'inflation accumulée a été de 19,5 %. Le salaire minimum se trouve entre 85,58 SVC (10 USD) et 183 SVC (21 USD) mensuels. En février 2008 le panier de la ménagère était de 163 SVC (19 USD), le panier de la ménagère élargi qui inclut tous les besoins d'une famille type (alimentation, santé, éducation, logement, habillement) était de 703 SVC (82 USD) 8.

Selon l'Enquête Nationale de Revenus et de Dépenses de 2006 les aliments représentent près du 30 % du budget des foyers à revenus plus faibles. En juin 2008, le coût du panier type urbain a enregistré une hausse d'environ 22 % par rapport à juin 2007, tandis que le panier rural a subi dans les récents mois des hausses proches de 25 % par rapport à la période équivalente de l'année précédente ; la situation décrite mène à une augmentation rapide des taux nationaux de pauvreté et d'extrême pauvreté9.

Il est important d'indiquer que, bien que l'impact de la hausse des prix des aliments, du carburant et d’autres produits de base soit plus grand et plus dramatique dans les foyers à plus faibles revenus, il affecte aussi fortement les foyers à revenus moyens, par le fait que les aliments, l'électricité et le transport, qui sont les trois rubriques les plus touchées par les changements dans l'environnement international, constituent autour de 50 % de la composition des dépenses mensuelles moyennes des familles salvadoriennes10.

En raison de cette situation, des politiques sociales et économiques pour relancer la production nationale, en particulier la production agricole, sont nécessaires. La sécurité alimentaire doit être l'axe central de l'action gouvernementale. Il faut donc mettre l’accent sur la règlementation des prix, l’investissement productif, l’augmentation de salaires, la génération d'emplois et l'intervention de l'État dans le contrôle des imperfections du marché.

Inégalités aggravées par la crise

La crise climatique (augmentation de la température, changements des patrons des pluies, augmentation de la fréquence et de l'intensité des sécheresses, inondations, glissements, effondrements et vents violents) a exacerbé les inégalités économiques, de genre et ethniques, entre autres. Elle a approfondi, en outre, les fragilités déjà existantes associées aux groupes démographiques les plus vulnérables, comme les femmes, les enfants, les personnes âgées, les peuples originaires, les familles pauvres rurales et urbaines marginales.

Le système économique mis en oeuvre dans le pays multiplie les effets de la vulnérabilité environnementale dans les populations pauvres ; les phénomènes comme la déforestation et la dégradation des forêts, la pollution des rivières et les manteaux aquifères, entre autres, ont eu pour conséquence l’abandon de l'agriculture campagnarde la livrant à un environnement économique défavorable et conduisant la population pauvre rurale et urbaine marginale à un déficit de logement et de services de base qui la placent dans une situation de risque permanent.

Année après année, les familles rurales perdent leurs récoltes et leurs parcelles agricoles, diminuant leur accès à la terre et aux eaux destinées à la consommation humaine. Par conséquent, leurs revenus économiques diminuent et elles abandonnent leurs lieux d'origine, émigrant vers les villes principales ou à l'étranger. Les maladies infectieuses et transmises par des vecteurs sont en augmentation.

De cette situation environnementale on peut évaluer que l'objectif 10 des OMD : « Réduire de moitié, pour 2015, le pourcentage de personnes qui manquent d’un accès durable à l’eau potable et à l'assainissement de base » sera presque impossible à réaliser, et il en sera de même pour la plupart des OMD.

Toutefois, le manque d'information claire et objective sur les indicateurs pour les OMD relatifs à l’eau potable et l’assainissement compliquent le calcul d’une mesure concrète des avancées et des reculs dans ce secteur. Les chiffres officiels montrent des statistiques différentes par rapport à des données de couverture, à la qualité et la disponibilité en eau potable et à l’assainissement par rapport à celles que présentent les institutions environnementalistes, avec de surcroît le fait de ne pas reconnaître qu’un fournisseur public d’eau ne signifie pas l’accès à l’eau dans des conditions de qualité.

D'une part, l'Enquête des Foyers à Buts Multiples (EHPM, en espagnol)11 informe que pour 2007 la couverture totale des foyers avec un approvisionnement en eau par canalisation privée a été de 74 %, tandis que l'Administration Nationale des Aqueducs et des Egouts (ANDA, en espagnol)12 informe qu'elle a été de 54,2 % . L'EHPM indique que la couverture par le biais des fournisseurs publics a été de 4,2 % et ANDA informe qu'elle a été de 6,2 %. Ces chiffres s'avèrent alarmants, surtout quand il y a des secteurs de la population à revenus moyens et élevés qui ne subissent pas le désapprovisionnement d'eau potable comme c’est le cas pour les secteurs populaires.

Le rapport de progrès sur les OMD élaboré par le PNUD en 2007 présente des avancées pour cet objectif, qui selon les organisations des environnementalistes et de protection au consommateur sont discutables, si l’on prend en considération que le Gouvernement a utilisé comme indicateur d'avancée d'accès durable à une source améliorée d'eau, les approvisionnements de : connexion domiciliaire, fournisseur public, eau de puits, des sources et réservoirs d'eau de pluie. Toutefois, on ne spécifie pas et il n'existe pas d'information fiable qui assure que ces ressources soient réellement protégées et répondent à des normes de qualité pour que l'eau soit apte à la consommation humaine.

Conclusion

Le changement dans les directions politiques aux États-Unis et au Salvador permettent de visualiser un chemin d'espoir pour surmonter les effets de la crise en raison des liens commerciaux proches entre les deux pays, mais il est impératif qu'on assure, sans restriction, l'autonomie, le respect et la recherche de nouvelles relations d’équité et de solidarité.

Avec le nouveau scénario politique que vivra le pays à partir de 2009, Social Watch El Salvador assume une position vigilante vis-à-vis de la réalisation des DESC et des OMD, non seulement en raison du changement de gouvernement, mais parce qu'il y a une dette en suspens des précédents gouvernements à ce sujet, qui a déjà été ressentie comme un manque de volonté de les réaliser13.

1 Membres des organisations qui conforment Social Watch El Salvador (APSAL, CIDEP, CODEFAM, FUMA, MEC). Remercient le soutien d’Yvette Aguilar, Ana Ella Gómez, Carolina Constanza, Jeannette Alvarado, Ana María Galdámez y Karen Martínez.

2 Atelier de Concertation pour la Lutte contre la Pauvreté (MCLCP) et Save the Children, organisateurs du forum « l'impact de la crise sur les filles et les garçons du Pérou et de l'Amérique latine », alertent sur l'augmentation du travail des enfants en Amérique latine.

3 Weller, Jürgen. Procesos de exclusión e inclusión laboral: la expansión del empleo del sector terciario (“Processus d’exclusion et d’inclusion du travail : l'expansion de l'emploi du secteur tertiaire”). Serie Macroeconomía del Desarrollo, 6. CEPAL: Santiago, Chili. 2001.

4 El empleo en uno de los pueblos más trabajadores del mundo (“L'emploi chez un des peuples les plus travailleurs du monde”). Informe sobre Desarrollo Humano El Salvador PNUD 2007-2008.

5 Ibidem.

6 Economías centroamericanas reciben impacto de la crisis financiera (« Des économies d'Amérique centrale reçoivent l’impact de la crise financière »). El Periódico. Mexique, 24 janvier 2009.

7 PNUD (2005-2006). Informe sobre Desarrollo Humano El Salvador.

8 Goitia, Alfonso. Crisis alimentaria y crisis del modelo neoliberal en El Salvador, p.15. 2008.

9 PNUD. “Contrarrestando el impacto de la crisis internacional sobre la economía de los Hogares Salvadoreños”. ( Contrecarrant l'impact de la crise internationale sur l'économie des foyers Salvadoriens ). Rapport final de la Commission Multidisciplinaire. 2008.

10 Goitia, Alfonso, Op. cit.

11 Ministère de l'Économie. Direction Générale des Statistiques et Recensements. Encuesta de Hogares y Propósitos Múltiples 2007.

12 ANDA. Informe de cobertura a nivel nacional de agua potable y saneamiento 2003-2007.

13 Derechos Económicos y Sociales: no hay voluntad política (Droits économiques et sociales: il n’y a pas de volonté politique). Rapport de Social Watch 2008. El Salvador.