CHYPRE

Voici venu le temps d’évaluer les politiques

CARDET
Charalambos Vrasidas
Sotiris Themistokleous
Michalinos Zembylas

La crise économique mondiale portera préjudice au tourisme et au secteur immobilier, deux des secteurs d’activité les plus importants du pays, cette crise augmentera aussi le taux de chômage des classes sociales les plus vulnérables de la société, en particulier les immigrés et les femmes. Le Gouvernement devrait permettre les contributions de la société civile, en particulier des ONG qui entretiennent des contacts étroits avec tous les secteurs de la société. Ceci demanderait de mener une réforme du cadre légal réglementant les ONG, ce projet est à l’heure actuelle en cours de concrétisation.

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L’effondrement des marchés mondiaux a porté un coup difficile aux économies émergentes. Les gouvernements font face à la tâche complexe d’assurer l’accès équitable aux besoins de base, sans oublier la protection des droits de l’homme de tous ceux et celles qui vivent dans le pays. La crise économique commence tout juste à se faire sentir à Chypre ; on prévoit que ses effets deviendront plus importants fin 2009. Les groupes les plus marginalisés de la société seront les plus touchés par la récession économique.

Chypre a toujours eu une économie mixte où l’État joue un rôle important, en particulier pour l’apport de services de base comme l'approvisionnement  en électricité, eau potable, télécommunications, santé, éducation et transports. Ces dernières années, la croissance a été très forte et le Ministère des Finances a annoncé que le budget 2009 de l’État dégagera un excédent qui sera investi dans les services publics1. Il est néanmoins de plus en plus évident que les principales sources de revenus de l’État – la TVA et d’autres impôts indirects – diminuent lorsque l’économie vacille, limitant la capacité du Gouvernement à financer des investissements publics et des programmes destinés à atténuer l’impact de la crise2. Une faible productivité chronique dans le secteur public affectera également la capacité du Gouvernement à répondre rapidement et efficacement à la crise économique qui avance à pas de géant3.

L’impact de la crise

Inévitablement, Chypre devra lutter contre le problème du chômage qui, selon les pronostics, passera de 3,9 % en 2008 à 4,5 % en 2009. On s’attend à ce que la croissance continue à être positive en 2009, aux alentours de 2,1 %4. Ce taux est cependant bien supérieur à celui de l’Union Européenne dans son ensemble, où on s’attend à un taux de chômage de 8 % et une croissance économique négative dans la plupart des pays 5.

Le tourisme et le secteur immobilier, les deux industries les plus importantes, ressentent encore les effets de la crise mondiale. Les prévisions pour le tourisme, qui contribue à hauteur de 20 % au PIB du pays, sont passées de pessimistes à très critiques6. Les secteurs immobilier et de la construction sont également touchés durement. Ces deux secteurs emploient une quantité importante d’immigrés et de femmes7, ayant comme résultat que ces deux groupes vulnérables subiront davantage les effets de la crise que le reste de la population.

Les femmes sont, par tradition, mises en marge de la vie socio-économique du pays, elles sont absentes des organismes décisionnels, une situation qui ne s’améliorera certainement pas pendant la crise économique8. En tant que secteur de services utilisant des travailleurs saisonniers, le tourisme emploie principalement des femmes, un bon nombre d’entre elles perdront probablement leur emploi9. Même avant la récession économique, la main d’œuvre féminine était employée à seulement 62,4 %, contre 80 % pour la main d’oeuvre masculine. De plus, l’écart salarial de 20 % existant entre les salariés homme et femme est un des plus importants d’Europe10.

Au cours de la précédente décennie, la population immigrante a augmenté de 15 % par an. En 2007, les étrangers composaient 25 % de la main d’œuvre du pays11. En plus de la hausse progressive des disparités économiques, ceci a contribué à la perte de confiance croissante des Chypriotes vis-à-vis des immigrés. Les employeurs tendent à embaucher des immigrés sans-papiers afin de réduire leurs coûts et les travailleurs migrateurs supportent les pires conditions de travail. Pour décourager les demandes d’asile, le Gouvernement a adopté plusieurs politiques comme par exemple, les emplois pour les immigrés et les candidats à la demande d’asile limités à certains secteurs comme les services à domicile, l’agriculture ou les cultures. Même si les écoles ont fait des progrès pour l’intégration des enfants immigrés, les chances qu’ont les immigrés adultes d’apprendre le grec sont restreintes.

Très souvent, les médias ont pris les immigrés comme bouc émissaire, les faisant passer pour responsables des problèmes économiques et sociaux12. Les stéréotypes attirent les lecteurs et les téléspectateurs ; à Chypre les médias présentent souvent des informations tendencieuses sur les incidents impliquant des immigrés et ils ne laissent que peu de place à l’expression de leur opinion. Malgré leur contribution à l’économie nationale, les travailleurs immigrés continuent à être exclus des bénéfices publics. Leurs droits professionnels et sociaux sont limités et il n’ont aucun droit politique dans l’absolu. Au cours des cinq dernières années, on a recensé 700 cas de racisme et de xénophobie13. Même si ces dernières années, le Gouvernement a tenté de faire respecter plusieurs directives européennes sur l’immigration, ces mesures n’ont pas prouvé jusqu’à présent leur réelle efficacité14.

Réponses à la crise

Le Gouvernement a annoncé plusieurs mesures conçues pour relancer l’économie. Avec une tendance économique Keynésienne classique15, le Gouvernement tente d’accélérer plusieurs projets de développement de nouvelles constructions, routes et infrastructures. Il a également décidé d’engager une dépense de 470 millions d’EUR (environ 622 millions d’USD) pour soutenir le secteur touristique. L’objectif de ces mesures est de maintenir un faible taux de chômage et d’assurer une croissance positive du PIB. Une bonne part de ces dépenses contra cycliques est destinée à protéger les Chypriotes les plus vulnérables et marginalisés. Ces dépenses comprennent des augmentations des retraites, une aide financière pour les étudiants universitaires et un soutien financier au logement pour les familles aux revenus les plus faibles. De plus, une nouvelle loi a été adoptée qui augmentera les charges sociales des employeurs et des salariés de 1,3% sur les cinq prochaines années.

Le Gouvernement, les syndicats et la fédération des chefs d’entreprises ont également décidé il y a peu de mettre en place un programme pour combattre l’embauche de travailleurs illégaux, un numéro de téléphone vert permet de dénoncer les immigrés clandestins et les employeurs qui leur offrent du travail. Cependant, ceci ouvre la voie à une plus grande discrimination et à l’exploitation du travail « bon marché », parce que les employeurs chercheront à optimiser leurs bénéfices en adhérant à l’accord de manière sélective afin de satisfaire leurs intérêts.

Les critiques soutiennent que les mesures proposées jusqu’alors sont inadaptées et seront insuffisantes pour relancer l’économie, elles ne permettront pas davantage de protéger toutes les personnes vivant et travaillant à l’intérieur du pays. Par exemple, la mesure visant à apporter un soutien financier aux étudiants universitaires exclut les étrangers et les immigrés. Les étudiants étrangers disposent d’un permis de travail de 20 heures par semaine et seulement pour les secteurs de l’agriculture, du travail domestique, de la construction et de la restauration.

Le rôle de la société civile

Etant donné les nombreuses facettes  de la crise actuelle, les Gouvernements devraient réévaluer toutes les politiques et les pratiques afin de protéger les Droits de l’Homme et les droits civils de tous les habitants du pays. Une mesure immédiate visant à atteindre cet objectif serait d’inviter tous les acteurs de la société civile à prendre part à un débat public sur la crise économique et les réponses adaptées pour la combattre. Etant donné que le travail des ONG les maintient en contact étroit avec la base et les besoins sociaux, elles sont plus flexibles que le Gouvernement et peuvent par conséquent se montrer plus efficaces pour toucher les groupes marginalisés. Leur expérience pourrait être mise à profit par les institutions publiques pour atteindre leurs objectifs stratégiques. De plus, les ONG pourraient recommander des pratiques innovantes et créatives pour encourager l’éducation, la propriété, l’égalité hommes-femmes, les droits de l’homme et le droit au travail de ceux qui en sont dépourvus actuellement.

Rendre autonome la société civile est un aspect crucial pour atténuer l’impact de la crise économique. Un des principaux défis auxquels font face les ONG à Chypre consiste à attirer l’attention de la société sur leur travail. Malgré le progrès substantiel de ces dernières années, les ONG qui soutiennent les groupes marginalisés de la société doivent encore surmonter la méfiance et les préjugés. Le fait qu’il n’y ait pas de cadre de coopération cohérent et transparent entre les acteurs de la société civile et les organismes publics réduit considérablement l’efficacité des politiques nationales.

Les études spécialisées du cadre légal et de régulation actuelle qui touche les ONG sont arrivées à la conclusion que ce cadre doit être réformé et modernisé pour répondre aux exigences européennes de meilleures pratiques et conforme aux lois internationales. En 2008, l’Agence de Planification, via CyprusAid, a entamé ce processus en invitant les ONG à participer et à exprimer leur opinion. L’organisme a pressé le gouvernement de mettre en place un cadre légal et politique cohérent pour la coopération tout en soutenant le fait que ce cadre permettrait le renforcement de la société civile et rendrait possible la mise en place efficace de politiques publiques nationales.

En ces temps de crise économique, le Gouvernement doit engager la participation de l’ensemble des groupes intéressés par le développement et la mise en place de mesures palliatives. L’absence d’un cadre légal pose des difficultés aux ONG au moment de prendre des mesures garantissant les droits de l’ensemble de la population. Les ONG et le Gouvernement doivent mettre en place une meilleure communication et davantage d’échanges d’information pour que les ONG puissent devenir des vecteurs de mise en place des politiques nationales dans les moindres recoins de l’île. De plus, alors que la crise augmente la xénophobie dans les pays européens, il est essentiel que le Gouvernement et les ONG se mettent d’accord pour mener une campagne d’information et d’éducation expliquant les causes du chômage et les effets de la crise afin d’aider à lutter contre la discrimination envers les immigrés.

Références

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1 KIPE (2008). “The Most Stable Bank System in Europe”. Cyprus News Agency (KIPE), 13 octobre 2008. Consultation du 25 février 2009 sur<www.singmalive.com>.

2 Antoniadou, C. (2009). “Falling Psychology in the Cyprus Market”. Simerini. Consultation du 25 février 2009 sur <www.sigmalive.com>.

3 Hadjiloe, T. (2008). “Financial Crisis and Development”. Simerini. Consultation du 25 février 2009 sur <www.sigmalive.com>.

4 Ministère des Finances (2009). Cyprus Economy, Overview and Potentials. Ministère des Finances. Présenté par Charilaos Stavrakis en conférence de presse. Consultation du 25 février 2009 sur <www.mof.gov.cy>.

5 ECEFA (2009). Interim Forecast January 2009. European Commission on Economic and Financial Affairs. Consultation du 25 février 2009 sur <ec.europa.eu/economy_finance/>.

6 Polemitou, M. (2009). “Fears for Massive Redundancies in Hotels by April”. Simerini. Consultation du 25 février 2009 sur <www.sigmalive.com>.

7 Pallala Charidi, N. (2009). “Red Card on Unemployment”. Simerini. Consultation du 25 février 2009 sur <www.sigmalive.com>.

8 EWL (2008). “Women and the Economic Crisis - An opportunity to assert another vision of the world?”, European Women’s Lobby, Consultation du 25 avril 2009 sur <www.womenlobby.org>.

9 Nicolaou-Pavlidi, E (2009). “Wage Gap between Genders”. Consultation du 25 février 2009 sur <www.sigmalive.com>.

10 Lokar, S. (2009).“Women’s Lobby of Cyprus 50-50 campaign for EU elections”. Consultation du 25 février 2009 sur <www.europeanforum.net>.

11 Michail, M, Hadjigiannis, K, Stafanidis, M, Christoforidis, L, Kliridis, S and Mixalakopoullou, M. (2008). “The Effects of Immigration on Unemployment, Part-Time Jobs and Participation in Workforce”. Essays of Economic Policies, 08-08. Consultation du 25 février 2009 sur <www.erc.ucy.ac.cy>.

12 ENAR (2008). “Communication consultation on Opportunities, Access and Solidarity Towards a New Social Vision for 21st Century Europe”. European Network Against Racism. Consultation du 25 février 2009 sur <www.enar-eu.org>.

13 Tsiartas, A. (2009). Au cours des cinq dernières années, on a recensé 700 cas de racisme et xénophobie . Présentation lors de la conférence Living Together (Vivre ensemble). Nicosie, Chypre, 6 mars 2009.

14 Demetriou, O. (2009). Living Together. Migrant Cities Research: Nicosia South. Nicosia: British Council.

15 L’économiste britannique John Maynard Keynes plaide pour les politiques interventionnistes (par exemple,relancer la consommation par l’augmentation de l’investissement public) comme moyen d’atténuer les effets des récessions économiques.