La justice doit enquêter l’implication de sociétés françaises en Syrie

Bashar Assad. (Photo :
Freedom House/Flickr/CC)

La Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH) et la Ligue des Droits de l'Homme et du Citoyen (LDH) ont déposé mercredi 25 juillet une dénonciation auprès du Parquet du Tribunal de grande instance de Paris, afin que la justice française enquête sur l’implication de sociétés françaises, en particulier l’entreprise Qosmos, dans la fourniture de matériel de surveillance au régime de Bachar El Assad.

Il est en effet apparu que la société Qosmos, spécialisée dans la fourniture de Deep Packet Inspection, un matériel destiné à analyser en temps réel les données numériques qui transitent sur les réseaux, a été, à plusieurs reprises et d’après des sources différentes, mise en cause pour avoir contribué à fournir au régime syrien le matériel de surveillance électronique nécessaire à la répression de la contestation qui a lieu en Syrie depuis mars 2011.

« Alors que les autorités françaises dénoncent avec fermeté les exactions perpétrées par Bachar El Assad à l’encontre de la population syrienne, il est indispensable que toute la lumière soit faite sur l’éventuelle implication de sociétés françaises dans la fourniture de matériel de surveillance au régime syrien », a déclaré Patrick Baudouin, président d’honneur de la FIDH.

« Les entreprises occidentales doivent savoir qu’elles ne peuvent vendre ce type de matériel à des régimes autoritaires en toute impunité, et sans se soucier des conséquences de l’utilisation de ce matériel par ces régimes », a déclaré Michel Tubiana, président d’honneur de la LDH.

La répression orchestrée par le régime syrien depuis plus de 16 mois à l’encontre de sa population a occasionné la mort d’au moins 16000 personnes, majoritairement des civils, et la détention arbitraire de dizaines de milliers de personnes ainsi qu’un nombre important de disparitions forcées.

La torture dans les centres de détention est systématique. Parmi les victimes de la répression, les défenseurs des droits humains, les activistes, y compris des cyber-activistes, ont été pris pour cibles en représailles de leurs activités de communication et de dénonciation des violations perpétrées. Le contrôle étroit par le régime des outils de communication utilisés par la population et les activistes en particulier semble avoir contribué à les exposer à la répression dont nombre d’entre eux ont été et sont toujours victimes.

Pourquoi avoir déposé cette dénonciation visant les entreprises françaises ?

La FIDH et la LDH ont déposé une dénonciation demandant à la justice française d’enquêter sur l’éventuelle responsabilité de la société Qosmos, ou de toute autre société française, pour avoir fourni au régime syrien un système permettant de surveiller les communications en temps réel de la population (technologie connue sous le nom de Deep Packet Inspection).

La FIDH et la LDH considèrent que la fourniture de ce matériel pourrait être qualifiée de complicité d’actes de torture dans la mesure où le système de surveillance aurait permis au régime syrien de parfaire les moyens de sa répression à l’encontre de son peuple et lui donner les moyens de cibler toute voix contestataire, avec pour conséquences possibles des arrestations massives de défenseurs des droits humains et d’opposants, et un recours systématique à la torture.

Nous avons par ailleurs demandé au parquet d’établir si ces contrats ont été conclus dans le respect de la réglementation en vigueur sur la vente de matériel de surveillance à distance.

En quoi cette action est-elle similaire à la plainte déposée en octobre 2011 par la FIDH et la LDH à l’encontre de la société Amesys ?

Cette dénonciation se différencie de la plainte avec constitution de partie civile visant Amesys, car nous ne disposons pas des mêmes éléments d’information. Mais le principe est le même : nous demandons à la justice française de prendre ses responsabilités, et de faire la lumière sur la responsabilité pénale de ces sociétés qui ont passé des contrats avec des régimes notoirement connus pour les violations massives des droits humains qu’ils perpétuent à l’encontre de leurs peuples.

Cette démarche a un double objectif : d’une part, initier une procédure judiciaire afin d’alerter sur le fait que ces entreprises ne peuvent continuer de commercer avec de tels régimes en toute impunité, et d’autre part d’initier un débat public sur la nécessité de réglementer, à l’avenir, de telles activités.

Qui est visé par l’enquête préliminaire ouverte par le parquet de Paris ?

L’enquête préliminaire ouverte par le Parquet de Paris, jeudi 26 juillet, à laquelle nous n’aurons accès qu’une fois qu’elle sera terminée, devrait se concentrer sur le rôle exact des entreprises françaises qui auraient contribué à vendre ou à fournir du matériel de surveillance des communications en temps réel au régime syrien.

La société Qosmos est tout particulièrement visée car il semblerait qu’elle ait, par le biais d’une société italienne, fourni du matériel de surveillance de type Deep Packet Inspection. L’enquête, confiée à la Section de Recherches de la Gendarmerie de Paris, aura concrètement pour objectif de se procurer l’accord commercial conclu et d’en cerner les implications. Le Parquet pourra alors en tirer toutes les conséquences juridiques.

Sur quoi peut déboucher cette enquête préliminaire ?

A partir des conclusions des enquêteurs, le Parquet pourra décider de confier les suites de l’enquête à un juge d’instruction, ou de classer la dénonciation sans suite, si le Procureur estime que les faits ne peuvent être poursuivis pénalement. Dans ce dernier cas, la FIDH et la LDH pourront envisager de déposer une plainte avec constitution de partie civile, ce qui aurait pour effet automatique d’enclencher l’ouverture d’une information judiciaire.

Quelles peuvent être les sanctions pénales prononcées à l’encontre de la société et/ou de ses dirigeants, dans le cas où la procédure déboucherait sur un procès ?

Si une entreprise française est reconnue coupable de complicité d’actes de torture, le code pénal français prévoit la possibilité de prononcer des condamnations à l’encontre de la société elle-même (peine d’amende, interdiction à l’avenir d’exercer l’activité litigieuse, placement sous surveillance judiciaire de l’entreprise, etc...) et/ou de ses dirigeants (peines d’emprisonnement ou d’amende).

Sources
FIDH [La FIDH et la LDH demandent à la justice d’ouvrir une enquête sur l’implication de sociétés françaises en Syrie] : http://bit.ly/Q0aSpR
FIDH [Questions/réponses sur l’affaire Qosmos] : http://bit.ly/O4XfWq