Secteur extractif: l’Europe fait un pas vers plus de transparence

Parlement européen, Bruxelles.
(Photo : Francisco Antunes /
CNCD 11.11.11)

Un nouveau pas vient d’être franchi vers l’adoption d’une loi européenne visant à lutter contre l’opacité au sein des industries extractives, ainsi que d’autres secteurs économiques en proie à la corruption et à l’évasion fiscale. Le 18 septembre, les eurodéputés de la commission des affaires juridiques du Parlement européen ont voté pour l’introduction d’obligations de transparence de la part des multinationales européennes et de celles cotées dans l’UE.

Initialement émise par la Commission européenne il y a près d’un an, cette proposition vise à faire la lumière sur les revenus générés par l’exploitation des ressources naturelles. Selon le Parlement européen, cette loi devrait imposer notamment aux entreprises extractives (gaz, mine, pétrole) et forestières de publier leurs paiements aux gouvernements des pays dans lesquels elles opèrent.

Les eurodéputés de la commission des affaires juridiques envoient ainsi un signal fort aux États membres. Un accord entre le Conseil européen et le Parlement est nécessaire pour l’adoption définitive de la loi. En imposant la publication des paiements liés à chaque projet d’extraction dès lorsqu’ils sont supérieurs à 80 000 euros et en excluant toute possibilité d’exemption, les eurodéputés s’inscrivent dans la lignée de la loi Dodd-Frank en vigueur aux États-Unis depuis une semaine.

« L’entrée en vigueur de la loi américaine [Dodd-Frank, ndlr] et le vote du Parlement européen changent la donne. La France doit maintenant peser de tout son poids pour que cette version améliorée du texte soit adoptée par l’ensemble des États membres au sein du Conseil européen. François Hollande avait pris cet engagement pendant la campagne et c’est maintenant qu’il doit le mettre en œuvre », avertit Grégoire Niaudet, du Secours Catholique et coordinateur de la plateforme « Publiez ce que vous payez » (PCQVP)-France.

Niaudet est à Amsterdam pour fêter les dix ans de la plateforme internationale. Celle-ci lutte pour l’adoption de plus de transparence et de justice sociale dans le secteur extractif.

« Cette proposition permettrait à près de 1,5 milliard de personnes vivant dans l’extrême pauvreté dans les pays riches en ressources naturelles de demander des comptes à leur gouvernement », se réjouissent, dans un communiqué commun, le Secours Catholique, le CCFD-Terre solidaire, Oxfam France et One, membres de PCQVP France.

« Des États-Unis à l’Union européenne (UE), les lois de transparence font tâche d’huile et sont en passe d’imposer un standard international unifié auquel, où qu’elles soient, les entreprises ne pourront bientôt plus échapper, sans qu’un retour un arrière soit possible », indique Luc Lamprière d’Oxfam France.

Ce vote élargit l’obligation de publication pays par pays au-delà du secteur extractif. « Les eurodéputés ont démontré leur prise de conscience de l’ampleur du problème : en appliquant l’exigence de transparence non seulement au secteur extractif, mais aussi à d’autres secteurs particulièrement opaques tels que la banque, la construction et les télécommunications. Seul bémol, le rejet d’un amendement obligeant la publication de données complémentaires qui auraient permis de mieux détecter les stratégies d’évitement fiscal », explique Mathilde Dupré du CCFD-Terre Solidaire.

Pour le Parlement européen, il s’agit maintenant de faire valoir sa position dans les négociations du texte final avec le Conseil. Pour Friederike Röder de ONE France, « le message du Parlement aux États est clair : "revoyez votre copie !". Ce nouveau contexte doit faire réagir les États membres de l’UE, nettement moins ambitieux. »

La fenêtre d’opportunité est courte : Commission, Parlement et États membres devront parvenir à un accord avant janvier 2013 pour que le texte ait une chance d’être adopté en première lecture.

La Commission des affaires juridiques du Parlement européen s’est prononcée, le 18 septembre, en faveur d’une loi obligeant les compagnies du secteur extractif (gaz, mine, pétrole) et forestier à publier leurs paiements aux gouvernements des pays dans lesquelles elles opèrent.

Le texte insiste sur la publication de leur comptabilité projet par projet et pas seulement pays par pays, comme recommandé par PCQVP.

Les membres de la Commission ont donné une définition restrictive du projet comme étant tout contrat entre la compagnie et le pays hôte. Par ailleurs, les eurodéputés ont refusé toute exemption pour des pays où les lois pénales interdisent la publication des paiements. Enfin, ils ont estimé que chaque paiement dépassant 80 000 euros devait être rendu public.

Le texte adopté représente désormais la position du Parlement européen pour les négociations à venir avec les États membres pour parvenir à un accord avant janvier 2013.

« La version votée est nettement plus avancée et courageuse que la position des gouvernements des 27 Etats membres au sein du Conseil  », observe Antonio Gambini, chercheur au CNCD-11.11.11.

« Nous demandons aujourd’hui la réouverture de négociations sérieuses entre le Conseil et le Parlement. Celles-ci doivent aboutir à un texte ambitieux en faveur de la transparence dans le secteur extractif, au bénéfice des populations. Il serait inacceptable que le Conseil reste sur ses positions. Celles-ci sont en effet beaucoup plus laxistes que la législation des Etats-Unis, par exemple. »

« Il s’agit notamment d’enterrer définitivement la scandaleuse exception qui permet aux entreprises d’échapper à toute obligation de transparence au cas où celle-ci serait contraire au droit pénal du pays hôte. En réalité, des législations de ce type n’existent nulle part sur la planète. Une telle mesure inciterait les régimes les plus corrompus à légiférer pour interdire toute transparence ! Nous comptons sur le gouvernement belge et le ministre Vande Lanotte pour peser en ce sens dans les négociations à venir. »

Rappelons qu’en 2008, les exportations africaine de pétrole, gaz et minerais représentaient neuf fois l’aide publique au développement vers ce continent (393 milliards de dollars contre 44 milliards), selon le rapport du réseau européen Eurodad « Exposing the lost billions  ».

Pourtant, les populations locales ne voient aucun bénéfice dans la plupart des cas. Au Nigéria, entre 300 et 400 milliards de dollars issus de l’exploitation pétrolière ont été volés ou gaspillés sur les cinquante dernières années, selon l’autorité anti-corruption locale.

En RDC, les exportations de minerai sont estimées à 1 milliard de dollar, mais en 2006, les autorités n’ont perçu que 86 000 dollars de revenus fiscaux. En 2008, seule la moitié des compagnies minières en Zambie ont payé l’impôt des sociétés.

La transparence du secteur extractif est donc bel et bien un enjeu crucial du développement des pays du Sud.

Sources
Secours Catholique : http://bit.ly/QkHlIw
Communiqués de presse : http://bit.ly/OCfDei
CNCD 11.11.11 : http://bit.ly/VvF5Sk