Afrique de l'Est : Une autre piste dans la course au moins-disant des impôts sur les entreprises

Le Kenya, le Rwanda, la Tanzanie et l’Ouganda perdent 2,8 milliards de dollars chaque année pour fournir aux sociétés des incitations fiscales qui sont, de toute façon, inutiles pour attirer des investissements, selon un rapport du Réseau pour la Justice Fiscale-Afrique et ActionAid. Cette tendance « prive les pays de ressources clé pour réduire la pauvreté » et la « dépendance de l'aide étrangère », affirme cette étude intitulé « La concurrence fiscale en Afrique de l'Est : Une course au moins-disant ? »

En Ouganda, par exemple, l’État perd de percevoir pour cette raison un montant équivalent à près de deux fois « le budget total de la santé, une situation grave étant donné qu’un quart des 34 millions d’habitants du pays vit dans la pauvreté, avec moins de USD 1,25 par jour », a noté un autre rapport produit par les mêmes organisations, mais centrée sur ce pays.

Le rapport a été publié presque au même moment que le Parlement européen déclarait, le 19 avril, que l'Union européenne demandait des « règles claires » pour « empêcher les formes de concurrence fiscale qui sapent les stratégies de redressement des pays affectés » par la crise économique.

Ce même jour, dans une autre résolution, on modifiait la proposition de la Commission européenne sur une « assiette commune consolidée sur l'impôt sur les sociétés » d'affaires, que « certaines formes de concurrence, d'optimisation et d'arbitrage fiscal pourraient saper les recettes de certains États membres et créer des distorsions ».

« La politique fiscale en Europe est maintenant celle du Réseau pour la Justice Fiscale [TJN]. Il s'agit d'une réussite extraordinaire », a écrit Richard Murphy dans son blog, l'un des fondateurs et d’experts principaux de cette coalition internationale d'organisations de la société civile.

Le TJN définie la concurrence fiscale comme « le processus par lequel les juridictions utilisent des incitations fiscales (telles que des exonérations d’impôts et de subventions) pour attirer des investissements. Elle peut impliquer des pays qui « concurrencent » entre eux, mais aussi les parties d'une fédération, comme les États-Unis ou la Suisse, voire des villes.

« Des États plus faibles, comme les africains, sont beaucoup moins aptes à faire face aux pressions extérieures de la concurrence fiscale », qui les provoque « une base de recettes plus basse, une augmentation des inégalités, une plus grande dépendance de l'aide extérieure et un affaiblissement de la responsabilité du gouvernement comme conséquence des charges fiscales changeantes », a expliqué le Réseau dans son site Web.

« Les gouvernements sont souvent impliqués dans une « course au moins-disant » mondiale des impôts, notamment ceux des entreprises », a noté le Groupe de réflexion de la société civile sur les perspectives de développement mondial dans un chapitre du Rapport de Social Watch 2012.Dans ces pays « on a préféré des taxations indirectes, comme une taxe à la valeur ajoutée indifférenciée, qui ont des effets régressifs et augmentent les inégalités », a ajouté le Groupe, formé par de membres de Social Watch, Friedrich Ebert Stiftung, Terre des hommes, le Réseau du Tiers-Monde, la Fondation Dag Hammarskjôld, DAWN et le Global Policy Forum.

Dans une lettre ouverte à tous les gouvernements, une cinquantaine d'organisations de la société civile du monde entier a proposé l'an dernier la création d'un Comité intergouvernemental pour la coopération internationale en matière fiscale pour protéger les pays contre les pratiques abusives telles que l'évasion et la concurrence fiscale dommageable. À la tête de cet appel on trouve le TJN et les réseaux internationaux Eurodad, CIDSE, ActionAid et Christian Aid.

 

Les incitations fiscales ne bénéficient que les « grandes entreprises »

Dans la présentation des rapports sur ​​l'Afrique de l’Est le mois dernier, Sophie Kyagulanyi, coordonnatrice de la gouvernance d'ActionAid en Ouganda, a déclaré que « la « course au moins-disant » est la tendance actuelle des gouvernements à réduire les impôts et assouplir les exigences pour les investisseurs étrangers afin d'attirer les grandes entreprises à opérer dans la région ».

« Ce sont les pauvres qui portent le fardeau le plus lourd de ces incitations fiscales vu la réduction des recettes consacrées aux services publics. Les seuls qui profitent de la concurrence fiscale sont les grandes sociétés », a déclaré Kyagulanyi.

L’étude régionale rappelle que le Burundi, le Kenya, le Rwanda, la Tanzanie et l'Ouganda, les cinq membres de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC), ont achevé leur intégration dans une zone de libre-échange avec le tarif extérieur commun entre 2005 et 2009.

Avec la création d'un « marché régional plus vaste », les entreprises ont désormais la possibilité de « s'installer dans n'importe quel pays de l'EAC pour lui fournir. En même temps, cependant, les pays sont tentés d'augmenter les incitations pour attirer des investissements directs étrangers et, disent-ils, d'accroître l'emploi et les exportations », explique le rapport régional.

« Les pays d'Afrique de l’Est offrent un large éventail d'incitations fiscales, dont beaucoup pour attirer d’entreprises étrangères. Les plus remarquables sont les « congés fiscaux » de 10 ans aux impôts des sociétés, des exonérations des taxes à la valeur ajoutée, des droits à l’importation et des retenues d’impôts sur les salaires », ajoute l'étude. « Les principaux bénéficiaires sont les investisseurs étrangers, et les plus lésés, étant donné la perte importante des recettes, sont les peuples et les pays eux-mêmes ».

Ces politiques « encouragent le commerce illicite, compliquent les opérations des entreprises qui veulent faire des affaires par l’EAC, et entravent le processus d'intégration », en plus de menacer d'entraîner la région à « une croissante concurrence fiscale et à une « course au moins-disant » », ce qui leur rendrait plus difficile de contrebalancer la chute des recettes.

En Tanzanie, la perte de recettes par des exonérations fiscales et des incitations liées au commerce et aux investissements étrangers a équivalu à 6 % du PIB en 2008 ; au Kenya, à environ 3,1 % annuel ; en Ouganda, à « au moins 2 % » dans l’exercice 2009-2010 ; et au Rwanda, à 4,7 % en 2009, selon le rapport.

L'étude a exhorté les autorités nationales à « contrôler, à la vue du public, toutes les incitations fiscales en vue d’en réduire ou d'en éliminer un grand nombre, notamment celles dont les ministres ont un pouvoir discrétionnaire pour les attribuer », et à élaborer chaque année « une analyse publique sur le paiement des impôts » faisant mention du coût des bénéfices et identifiant les bénéficiaires.

Les gouvernements doivent également « promouvoir la coordination dans l’EAC pour aborder la concurrence fiscale dommageable » et « pour éliminer les incitations fiscales excessives », en assurant « plus de transparence sur celles qui persistent ».

Ce rapport est basé sur des données provenant des sources suivantes:
La concurrence fiscale en Afrique de l'Est: Une course au moins-disant ? (en anglais et en format PDF): http://bit.ly/Io0K6K
Les incitations fiscales et la perte de recettes en Ouganda: Une course au moins-disant ? (en anglais et en format PDF): http://bit.ly/IY3h9Y
Le Réseau pour la justice fiscale (en anglais): http://bit.ly/IwsCJM
Résolution du Parlement européen sur l’assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés: http://bit.ly/J1eqsc
Résolution du Parlement européen sur des mesures de lutte contre la fraude et l'évasion fiscale: http://bit.ly/IYb4Va
Blog de Richard Murphy (Tax Research UK, en anglais): http://bit.ly/HVeuph
La société civile demande de créer un organe intergouvernemental contre l'évasion fiscale: http://bit.ly/Ke6HJP
Río+20 et au-delà : Sans justice, pas d’avenir: http://bit.ly/IwCuTI