Social Watch dans les Auditions d’OMD+10 : "Ça suffit! Nous avons besoin de justice"

En septembre prochain les présidents et les premiers ministres du monde se réuniront pour évaluer les efforts d'une décennie de lutte contre la pauvreté et analyser la manière de continuer face à une conjonction jamais vue jusqu’ aux multiples crises qui nous touchent. Crise de climat, d'aliments, d'énergie et de finances, qui ont des impactes dans les économies réelles.
En préparation du Sommet ODM+10, l'Assemblée Générale des Nations Unies a eu des auditions avec la société civile et le secteur privé les 14 et 15 juin à New York. Au nom de Social Watch, Roberto Bissio a effectué une intervention en exigeant justice climatique, économique, financière et sociale.

En préparation d'un nouveau sommet mondial contre la pauvreté, l'Assemblée Générale des Nations Unies a convoqué à des représentants du secteur privé et de la société civile à exprimer ses avis. Dans l'audition du 15 juin, pour la première fois dans l'histoire, la moitié des sièges dans le siège historique de l'ONU ont été réservés aux gouvernés et l'autre moitié aux gouvernements. Social Watch a contribué aussi avec le processus de consultation préalable et a pris part activement des auditions des événements parallèles. Dans les auditions, et au nom de Social Watch, Roberto Bissio a effectué l'intervention suivante.

En septembre prochain les présidents et les premiers ministres du monde se réuniront dans cette salle pour évaluer les efforts d'une décennie de lutte contre la pauvreté et analyser les pas à suivre devant une conjonction sans précédents de crises mondiales. Crise de climat, d'aliments, d'énergie et de finances, qu'à son tour impacte sur les économies réelles.

L'Organisation des Nations Unies a été créée il y a plus de six décennies autour de la conviction qu’un monde « sans peur et sans misère » devait exister et avec « de la dignité pour tous » dans un cadre de  « paix juste et durable ». En 1995, juste après la fin de  la Guerre Froide, ce rêve s'est transformé dans le compromis solennel, de tous les chefs d'état et de gouvernement, pour éliminer la pauvreté dans le monde et  pour atteindre l'équité des sexes. En 2000, la Déclaration du Millénaire a fixé l'année 2015 pour la réalisation des  plus urgents objectifs de développement social accordés internationalement, que l’on connait comme « les Objectifs du Millénaire pour le Développement » ou  OMD.

Plus de cent présidents, monarques et premiers ministres ont confirmé le compromis de : ne ménager «aucun effort pour délivrer nos semblables, hommes, femmes et enfants, de la misère, phénomène abject et déshumanisant qui touche actuellement plus d’un milliard de personnes» L'objectif numéro un promet pour 2015 de réduire de moitié le nombre de personnes qui vivent en situation de pauvreté et de faim.

En septembre 2008, les ministres du monde entier ont déclaré que « pourtant, 1,4 milliards d’êtres humains -pour la plupart des femmes et des filles- vivent encore dans l’extrême pauvreté…» et en janvier 2010 la Banque mondiale a estimé que «quelque 64 millions de personnes supplémentaires vivront en situation de pauvreté extrême vers la fin de 2010 à cause de la crise»[1].

Étant donné que 1,5 milliards de personnes vivent dans l’extrême pauvreté en 2010 (les 1,4 milliards de 2008, plus les 64 millions supplémentaires de la crise de 2009), la promesse de réduire de moitié la pauvreté semble presque impossible de tenir!

En fait, d’après le rapport du Secrétaire général des Nations Unies, le nombre de personnes en dessous du seuil de pauvreté d’ un dollar par jour « a augmenté de 92 millions en Afrique subsaharienne et de 8 millions en Asie de l’Ouest pendant la période de 1990 à 2005 ». Et encore plus « la situation de la pauvreté devient plus sérieuse lorsque l’on considère également les autres dimensions de la pauvreté, comme le sont la privation, l’exclusion sociale et le manque de participation, reconnus dans le Sommet mondial sur le développement social de 1995 ».

En parlant aux chefs d'état en septembre 2005, quand les OMD étaient révisés cinq ans après le Sommet du Millénaire, Leonor Briones, de Philippines, a dit au nom de la société civile : « Les Objectifs du Millénaire pour le Développement ne seront pas  atteints en 2015 (si) l'environnement continue a être  dévasté et les sujets mondiaux du commerce, dette et assistance officielle pour le développement continuent sans solution »

L’objectif 8 appelait à établir un « partenariat mondial » en ce qui regarde le commerce, l’aide, l’annulation de la dette et le transfert de technologies afin de rendre possible que les pays en voie de développement atteignent les autres sept objectifs relatifs à santé, éducation et assainissement.

Quelques progrès ont été faits en ce qui concerne l’annulation de la dette extérieure bilatérale et multilatérale de certains des pays les plus pauvres, mais il reste encore beaucoup à faire. Par rapport au commerce aucun pas positif n’a été effectué. En septembre 2001 un « cycle de développement » de négociations commerciales a été engagé à Doha. La partie qui concerne le développement est insignifiante et, même
plus, elle est loin d’être conclue. Le transfert de technologies est devenu encore plus cher à cause de l’application stricte des normes de propriété intellectuelle. L’aide étrangère n’a absolument pas augmenté. En 1992 elle atteignait 0,44 % du revenu des pays donateurs et en 2008, elle représentait 0,43%.

Le manquement des engagements assumés par les pays développés dans l’Objectif 8 est en rapport avec l’insuffisante progression des autres objectifs. L’inégale distribution des ressources internes est l’autre grand obstacle. Lors des premières années du XXIème siècle, beaucoup de pays en développement ont présenté des niveaux de croissance élevés, mais la réduction de la pauvreté et la création d’emploi n’ont pas joui de cette croissance. Le fait que « tout le nécessaire en matière de financement, services, soutien technique et partenariats n’ait pas été fait2 » a été
aggravé « par la crise alimentaire et la crise économique mondiales et par l’échec de différente programmes et politiques de développement» reconnait le rapport de Ban Ki- moon.  « l’amélioration de la condition de vie des pauvres a été lente de façon inacceptable et, de plus,
certains bénéfices qui ont donné beaucoup de travail d’obtenir sont en train de se dégrader».

Le Secrétaire général des Nation unies reconnaît ouvertement ces échecs et il affirme de façon explicite que les OMD sont «une expression des droits de l’homme fondamentaux: les droits de tous à jouir d’une bonne santé, éducation et hébergement».

Le point de vue des OMD comme des droits de l’homme fondamentaux entraîne mettre en rapport l’élimination de la pauvreté avec le renforcement de l’équité et de l’intégration sociale. D’après le nouveau rapport sur la situation sociale dans le monde de 2010, «une vision intégrée des politiques économiques et sociales au profit de toute la population (…) demande une participation active et universelle de l’état en ce qui concerne les politiques sociales (en opposition à la sélectivité vers les pauvres) que soit  progressiste et orientée sur le développement».[2] 

Les situations d’urgence exigent toujours la mise en place de politique dirigées, cependant les observations des membres de Social Watch pendant les dix dernières années montrent que ces politiques ne parviennent pas remplacer les prestations sociales universelles ainsi que les points de vue fondés sur les droits.

Le rapport 2009 de Social Watch a trouvé en plus beaucoup de données qui montrent qu’investir dans les pauvres par le biais des services sociaux ou même par le biais de transferts d’argent directs représente un meilleur plan de relance de l’économie en général que de subvenir ceux qui sont déjà riches. La raison du rapport entre les impératifs éthiques et le bon sens économique est simple; en temps de crise les
personnes aisées épargnent tout ce qu’elles peuvent et l’horreur du risque décourage les investisseurs, alors que la seule chose que les pauvres peuvent faire est de dépenser le soutien qu’ils reçoivent.

Le réseau Social Watch, qui compte avec des membres dans plus de 70 pays, participera activement dans le processus préalable au prochain Sommet de septembre et y présentera les conclusions et les analyses des organisations de la société civile du monde entier.

« Si les pauvres étaient une banque, ils auraient déjà été sauvés », c’est ce que beaucoup disent avec ironie lorsque l’on compare la somme d’argent additionnelle qui est nécessaire pour atteindre les OMD (quelque 100 milliards USD par an) avec les
billions de dollars qui ont été déboursés lors des deux dernières années dans les pays riches pour le sauvetage des banques en faillite et pour essayer de retourner les effets de la crise financière”.

Cependant, effectivement, les moins privilégiés, aussi bien dans les pays riches que dans les pays pauvres, subissent les conséquences directes de la crise dans la perte de l’emploi, l’épargne et même le logement. On leur exige aussi qu’ils payent les sauvetages et les plans de relance par le biais d’impôts plus élevés et par la réduction des salaires et des bénéfices sociaux.

Dans cette situation, lancer un appel pour mettre en place « davantage la même chose « n’est pas la solution. Une plus grande aide monétaire et de meilleures conditions commerciales pour les pays en développement représentent un impératif éthique, aujourd’hui plus que jamais. Mais, pour faire face aux terribles effets sociaux et environnementaux des multiples crises, il est nécessaire de viser plus haut que «les mêmes affaires de toujours», et de commencer à travailler pour un programme intégral de justice.

  • Justice climatique (reconnaître la « dette climatique », investir en technologies propres et dans la promotion d’économies vertes qui créent des emplois décents)
  • Justice financière et fiscale (le secteur financier doit payer la crise qu’il a produit par le biais d’impôts aux transactions financières ou par un mécanisme similaire, il faut réglementer la spéculation et les paradis fiscaux et finir ou retourner la course descendante des politiques fiscales, il faut permettre que les pays en développent imposent des contrôles défensifs des flux des capitaux et des espaces politiques)
  • Justice sociale et du genre (atteindre les OMD, promouvoir l’égalité des sexes, les services sociaux de base universels et «dignité pour tous») et…
  • Justice pure et simple (juges et tribunaux) pour exiger l’exécution des droit sociaux fondamentaux.
    En temps de crise sans précédents, il est nécessaire que les dirigeants aient le courage d’être audacieux et innovateurs.

La notion selon laquelle celui qui contamine devrait payer pour nettoyer les effets  que sa conduite irresponsable a créé non seulement est soutenue dans la justice et dans le sens commun ; c'est aussi une demande politique que les leaders ne peuvent pas ignorer. De manière semblable, les citoyens du monde entier soutiennent la notion  que les coûts de la crise financière devraient être payés par les agents financiers qui étaient « trop grands comme pour manquer », mais qui ont également manqué. Il est injuste et politiquement non viable d'espérer que les citoyens, sous la forme impôts plus hauts et salaires plus faibles, et la détérioration des services sécurité sociale, éducation et santé, sont ceux qui doivent  faire face a l'échec de ces agents.

Pendant les 20 années précédentes, une petite quantité de personnes - dix millions, que représentent moins de 0.5% de l'humanité - ont retiré chacun d’entre eux un minimum d'un million de dollars du contrôle de ses gouvernements, de n’importe lequel des gouvernements ici représentés, en les plaçant sur les marchés noirs de l'économie souterraine par offshore. Cette somme de plus de 10 billions de dollars d'argent non déclaré ni grevé n'est pas un trésor enterré et dissimulé dans une certaine anse, mais coule à travers des réseaux électroniques, en spéculant contre les monnaies nationales, en produisant instabilité dans le commerce mondial légitime et en gonflant des « bulles » financières qui à son tour créent, par exemple, des distorsions de prix dans des matières premières de l’agriculture qui conduisent à la crise alimentaire.

Réclamer contrôle sur ces forces financières sauvages d’énorme potentiel destructif  sur toutes les économies est un sujet qui requiert une collaboration internationale, et cette Assemblée Générale est le lieu légitime pour prendre des décisions sur la collaboration internationale fiscale, établir un Impôt aux Transactions Financières et destiner une proportion substantielle des ressources produites pour le développement, en freinant de manière effective les flux financiers illicites, y compris ceux dérivés de « prix de transfert » qui fuient des impôts, et finalement, mais non moins important, établir des mécanismes justes de renégociation de dette  pour des dettes souveraines et une affirmation de la légitimité des moratoires de dette pour les pays en développement accablés par une crise qui n'ont pas créé.

Il y a dix ans la Déclaration du millénaire promettait «un monde davantage pacifique, davantage prospère et plus juste». Social Watch s’est engagé à aider les citoyens du monde à exiger que leurs gouvernements tiennent cette promesse et espère que les leaders du monde formulent en septembre un chemin pour y arriver.

Merci, M. le Président

[1] Programme d’Action de Accra, disponible sur www.accrahlf.net

[2] Rethinking Poverty: Report on the World Social Situation 2010 (Nations Unies, 2010)