Le Sud existe ausi… et il s’organise

Auteur: 
Roberto Bissio, Coordinateur, Social Watch

 

La crise financière mondiale qui a produit en 2009 la plus grande crise mondiale depuis 80 ans et le débat difficile qui se tient au Danemark sur la façon de prévenir le réchauffement mondial, mitiger ses effets et s’adapter aux conséquences déjà inévitables ont été les deux grandes nouvelles de l’année 2009. Ces deux catastrophes ont en commun leur caractère anthropogénique (ce ne sont pas des phénomènes naturels, mais le résultat des activités et des décisions humaines), leur origine dans les pays les plus prospères et leurs effets plus dramatiques sur les pays les moins développés.

Au début décembre, dans deux réunions simultanées tenues à Nairobi et à Genève, les diplomates des pays que l’on nommait avant du « Tiers monde » et qu’aujourd’hui on appelle « Sud global » ou simplement « le Sud » ont finalement décidé de faire quelque chose en ce qui les concernent et ont initié une nouvelle étape dans leur coopération mutuelle.

L’idée n’est pas nouvelle, déjà en 1978, il y a plus de trente ans, la première Conférence sur la coopération technique entre les pays en développement avait eu lieu à Buenos Aires. « Il est bon de reconnaître que les connaissances, le savoir faire et les technologies qui puissent être échangés moyennant la coopération Sud-Sud sont dans la plupart des cas les mieux adaptés pour résoudre les problèmes de développement d’autres pays similaires du Sud » a dit Helen Clark, chef du programme des Nations unies pour le développement et ancienne première ministre de la Nouvelle Zélande.

Bien que la réunion de Nairobi ait soutenue le concept d’« aide triangulaire », dans laquelle les fonds provenant de donateurs de pays développés financent l’assistance technique d’un pays en développement à un autre, la réunion a rejeté différentes pressions de la Banque Mondiale et des pays riches pour soumette la Coopération Sud-Sud aux principes et aux indices qui établissent l’aide officielle pour le développement des donateurs « traditionnels » du Nord.

« La croissance économique rapide de certains pays en développement a amélioré dramatiquement les perspectives des pays voisins, avec une hausse du commerce et de l’investissement Sud-Sud » a expliqué le ministre soudanais Salih Fidail, à la tête de la présidence rotative du « Groupe des 77 », qui compte aujourd’hui 130 pays, et qui coordonne leurs positions avec celles de la Chine.

Le commerce Sud-Sud augmente depuis 1995 à une moyenne de 13% par an et a atteint 2,4 billions (millions de millions) de dollars, c'est-à-dire un cinquième du commerce mondial. L’excédent économique des nommées « économies émergentes », c'est-à-dire la partie du Sud de croissance rapide, les a transformé en plus en génératrices d’investissements externes, qui ont atteint plus de 250 milliards de dollars en 2007 , un huitième du total des investissements dans le monde.

Pour que ce potentiel commercial soit effectivement bénéficiaire mutuellement, le 2 décembre vingt deux pays ont signé à Genève la décision de réduire les tarifs douaniers au commerce mutuel, en conséquence de quoi en 2010 ils établiront un système global de préférences commerciales entre les pays en développement. La réduction sera d’au moins 20% et s’applique sur 70% des biens commercialisés entre les membres du groupe, à savoir l’Algérie, l’Argentine, le Brésil, le Chili, la Corée du Nord et du Sud, Cuba, l’Egypte, l’Inde, l’Indonésie, l’Iran, la Malaisie, le Maroc, le Mexique, le Nigeria, le Pakistan, le Paraguay, le Sri Lanka, la Thaïlande, l’Uruguay, le Vietnam et le Zimbabwe. Cet accord que l’on nomme dans le jargon commercial de « modalités », sera mis en place dans les prochains mois, lorsque les produits spécifiques auxquels il puisse s’appliquer soient définis. Les 22 pays pourront aussi négocier des réductions plus étendues parmi les membres, qui postérieurement pourront être disponibles pour tout le groupe.

C’est ainsi que le « Cycle de Sao Paulo » s’achève, lancé en 2004 dans la grande ville brésilienne. C’est « un pas très-très important en matière d’accords commerciaux et de coopération Sud-Sud » a dit à la presse le ministre argentin des affaires étrangères Jorge Taiana, qui a présidé la réunion ministérielle. Taiana a expliqué que les modalités de réduction de tarifs douaniers appliquées au commerce Sud-Sud à partir de cette décision sont beaucoup plus ambitieuses que les négociations précédentes. Il s’agit, a-t-il dit, « d’une démonstration claire que les pays en développement veulent continuer de renforcer le commerce Sud-Sud et le processus de libéralisation commerciale compatible avec le développement ». Dans une claire allusion à l’impasse que souffre le Cycle de Doha de négociations commerciales mondiales, Taiana a dit que le manque de volonté ne vient pas du Sud. « Nous pouvons arriver à des accords, nous pouvons travailler ensemble, nous pouvons avancer sur notre agenda et nous avons démontré que les pays en développement ont la volonté et la capacité de le faire. »

Le ministre brésilien des affaires étrangères Celso Amorim a dit que les nombres « parlent d’eux même ». Les 22 pays du Sud qui participent de l’accord représentent le 13% de l’économie mondiale, le 38% de la population de la planète, le 18% du commerce mondial, le 43% de la production agricole et le 16% de la production industrielle. « Ceci n’est pas insignifiant. C’est une partie importante du commerce et de la production du monde », a-t-il ajouté.

Le ministre de l’Industrie et du commerce de l’Inde, Anand Sharma, a dit que « les pays du Sud sont en train de transformer les idéaux de coopération en instruments concrets et tangibles » et que « le commerce Sud-Sud aura sa part dans la solution de la crise économique mondiale ». De son côté, Supachai Panitchpakdi, secrétaire général de la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (UNCTAD, de l’anglais), a dit que « l’urgence de cet accord est aussi significative que l’urgence des divers groupes de pays en développement dans le processus de négociations, tels que le G20, le NAMA-11 et le G33 », eux tous représentent les intérêts spécifiques de sous-groupes des pays du Sud.

D’après les déclarations de Celso Amorim recueillies par le bulletin SUNS du Réseau du tiers monde à Genève, le Système de préférences est différent des formules menées par le Cycle de Doha où les diminutions de tarifs douaniers pour les produits manufacturés des pays du Sud sont négociés en échange de concessions pour le Nord dans des domaines comme l’agriculture : « C’est une négociation horizontale entre des pays de même niveau et nous sommes en train de faire des accords pour réduire les tarifs douaniers appliqués effectivement. C'est-à-dire que les diminutions vont avoir des effets réels et que le commerce Sud-Sud va augmenter immédiatement ».

L’UNCTAD prévoit qu’une diminution de 20% sur les tarifs douaniers des 22 pays participants augmentera le commerce de 8 milliards de dollars.