À la merci des spéculateurs

Publication_year: 
2010
Summary: 
Les intentions du Gouvernement de lutter contre la crise financière sans avoir recours à des réductions et à des ajustements nuisant à sa politique sociale ne sont pas parvenues à se cristalliser. En 2010, le Président Zapatero a annoncé une série de mesures fortes visant à réduire le déficit public et une réforme du travail fortement critiquée par les syndicats. Une des graves conséquences de ces ajustements est la réduction de l Aide publique au développement (APD), dont l'Espagne a été un ardent défenseur. Le Gouvernement a perdu une grande opportunité de réglementer le rôle des entreprises espagnoles à l'étranger qui jouent un rôle essentiel dans le développement international.

Plataforma 2015 y más
Pablo Jose Martinez Osés

Les intentions du Gouvernement de lutter contre la crise financière sans avoir recours à des réductions et à des ajustements nuisant à sa politique sociale ne sont pas parvenues à se cristalliser. En 2010, le Président Zapatero a annoncé une série de mesures fortes visant à réduire le déficit public et une réforme du travail fortement critiquée par les syndicats. Une des graves conséquences de ces ajustements est la réduction de l Aide publique au développement (APD), dont l'Espagne a été un ardent défenseur. Le Gouvernement a perdu une grande opportunité de réglementer le rôle des entreprises espagnoles à l'étranger qui jouent un rôle essentiel dans le développement international.

Le Rapport annuel de Social Watch 2009 rendait compte de l'intention du Gouvernement espagnol de faire face à la tempête de la crise financière sans céder aux pressions visant à réduire le déficit public croissant ou les coûts des licenciements. La question était de savoir comment il allait pouvoir maintenir les politiques et les systèmes de protection sociale dont bénéficiaient les personnes les plus touchées par la crise. Un an plus tard, en plein exercice de la présidence tournante de l'Union européenne (UE) , ce même Gouvernement n'a pas tardé à approuver un décret de sévères ajustements budgétaires réduisant les dépenses publiques, et à proposer une réforme du travail qui relève l'âge de la retraite à 62 ans et élimine les restrictions pour les licenciements des travailleurs à plein temps, tout en réduisant les incitations à l'embauche de travailleurs temporaires. Cette réforme a été critiquée par les syndicats de travailleurs qui ne voient pas comment ces mesures peuvent résoudre la crise de l'emploi.

Au cours du premier trimestre 2010, le taux de chômage a augmenté de 1,22 point par rapport au trimestre précédent, affectant 20,05 % [1]de la population active. Bien que ces derniers mois on ait assisté à une légère baisse, il reste à voir si elle est due à la nature saisonnière de la structure de l'emploi - où pendant les mois d'été on assiste à une hausse de la création d’emplois - ou si elle doit être considérée comme un signe de reprise. La persistance d’un taux de chômage élevé et la stagnation de l'accès au crédit des petites et moyennes entreprises a eu un coût politique élevé pour le Gouvernement dont l’opposition a su tirer parti. Mais les mesures les plus sévères en matière de réduction des dépenses publiques et de réforme du travail semblent avoir été motivées par des pressions extérieures en provenance des États membres de l'UE et des marchés internationaux.

L'orthodoxie libérale des marchés

Depuis le début de l’année 2010, l'économie espagnole souffre pour différents motifs. En février, les fluctuations de l'euro ont particulièrement affecté les positions de la dette publique espagnole qui augmente peu à peu. Par la suite, les agences de notation – les mêmes qui n'avaient pas prévu la crise de 2008 – ont abaissé la note de la solvabilité espagnole, émettant leurs doutes quant à la capacité du pays à satisfaire ses obligations de dette à court terme. Ceci, ajouté à la grogne générale provoquée par le Plan de sauvetage élaboré pour la Grèce, a réduit les capacités de manœuvre du Gouvernement espagnol, qui a finalement dû accepter sans réserve les propositions orthodoxes émises par le système européen, en ligne avec celles imposées par les institutions financières internationales à tous les pays au cours des trois dernières décennies.

Après la réunion du Conseil des Affaires économiques et financières (ECOFIN selon son sigle en anglais)[2] en mai 2010, le président du Gouvernement, José Luis Rodríguez Zapatero, a annoncé la mise en œuvre de mesures d’austérité pour réduire le déficit public. Le président a également annoncé qu’il avait l’intention de ratifier un décret visant à réduire de 6 milliards d’euros les investissements publics ainsi que des mesures telles que la réduction de 5 % des salaires des employés du secteur public, le gel des pensions, l'annulation de la prime de naissance, le retard dans la mise en œuvre de l’aide aux personnes dépendantes et la réduction de l'Aide publique au développement (APD)[3]. L'annonce peut être considérée comme une correction des propositions de sortie de crise qui alliaient des investissements publics importants à travers les autorités locales avec des politiques anti-cycliques et la maintenance des systèmes de protection sociale.

Quand l'Espagne a assumé la présidence de l'UE durant le premier semestre de 2010, les propositions qui devaient être mises en œuvre dans le cadre de celle-ci ont été laissées de côté et annulées par la lutte contre la crise, qui, comme à d'autres occasions et sous d'autres latitudes, s’est caractérisée par l'annonce d'ajustements budgétaires successifs dans différents pays. Les accords de l'Union européenne (UE) – parmi lesquels ne figure pas la politique fiscale commune – retirent à leurs membres la possibilité d’utiliser la dévaluation comme solution à la crise, comme cela s’est fait traditionnellement.

En échange, un programme d'ajustement structurel d’orthodoxie libérale dont le but est de calmer les marchés remet à nouveau en cause la souveraineté des gouvernements démocratiques en matière de conception et de mise en œuvre des politiques économiques. Ainsi, toutes les propositions annoncées par le Gouvernement pour résoudre la crise demeurent en arrière -plan, suspendues ou reportées jusqu’à ce que les spéculateurs le permettent.

La réforme du travail

Par ailleurs, pendant les premiers mois de l’année 2010, le Gouvernement a présenté au parlement une proposition de réforme du travail, après l'échec des négociations avec les partenaires sociaux. Le texte de la réforme, encore en cours de négociations avec les partis politiques, intègre des mesures visant à réduire la dualité du marché du travail en raison du grand nombre d’emplois temporaires. Cette particularité a permis à l'Espagne de créer plus d'emplois que n'importe quel autre pays européen au cours du cycle de croissance antérieur, mais elle est également responsable du fait qu’au cours de cette crise, c’est le pays qui a perdu le plus grand nombre d’emplois au rythme le plus accéléré.

La question est de savoir si cette dualité peut être combattue en donnant davantage de sécurité aux travailleurs temporaires et précaires ou en réduisant la sécurité des nouveaux contrats permanents. La mesure présentée abaisse le coût des licenciements des travailleurs sous contrats à durée déterminée et augmente celui des contrats temporaires. La dévalorisation des licenciements est une réponse à la demande persistante du patronat qui justifie le taux élevé d’emplois temporaires par les coûts élevés du recrutement pour les contrats à durée déterminée.

Les syndicats ont énormément critiqué la réforme, en faisant valoir qu’elle contribue à la détérioration des droits des travailleurs et leur porte atteinte en élargissant les motifs de licenciement (et en réduisant le coût) et en augmentant la marge de manœuvre des employeurs pour modifier unilatéralement certaines conditions. En fin de compte, la réforme répond à la politique de libéralisation du marché du travail et contribuera sans aucun doute à augmenter la précarité de l'emploi.

 

La stagnation de l'APD

Au cours de la première législature, l’augmentation des fonds destinés à l’APD a été spectaculaire – ils sont passés de 0,23 % du revenu national brut (RNB) en 2004 à 0,45 % en 2009 [4] - et pour la première fois, il s’est retrouvé au dessus de la moyenne des pays de l'Union européenne. En outre, les consensus de base de l'agenda international du développement ont été incorporés aux thèmes de coopération, tels que les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), la promotion d'un nouveau multilatéralisme actif et démocratique et les questions relatives au développement durable, à l’égalité des sexes et à l'approche fondée sur les droits humains[5].

C'est la première fois qu'un président de Gouvernement assume publiquement son engagement envers des plans de lutte contre la pauvreté internationale, donnant ainsi une visibilité et une importance aux politiques de coopération sans précédent dans la démocratie espagnole. Cet engagement a tenté de s’associer aux revendications historiques de la société civile en Espagne, en annonçant qu’à la fin de cette seconde législature, la part du RNB destinée par le pays à l'APD atteindrait 0,7 %. En décembre 2007, une grande partie des revendications des Organisations non gouvernementales (ONG) ont été largement satisfaites lorsque tous les partis politiques présents au parlement ont signé le pacte de l’État contre la pauvreté[6].

Toutefois, à partir de 2008, une stagnation a commencé à se produire dans la croissance budgétaire, probablement à cause de la réticence à améliorer le système de capacités professionnelles et la structure organique de l’État responsable de la gestion des politiques de coopération.

L'inertie de la coopération pour le développement

L'impulsion de départ pour entreprendre les réformes semble s’être rapidement épuisée. Parmi les initiatives qui ont échoué, il faut mentionner la réforme de la Loi de l’Agence espagnole de coopération internationale pour le développement[7], qui aurait dû établir un nouveau modèle de gestion adapté aux enjeux d’une politique ambitieuse et cohérente de coopération au développement. Cependant, nombre des secteurs appartenant à la politique et à l’administration sont encore peu enclins à comprendre la politique de coopération dans une perspective de construction des biens publics mondiaux, c'est-à-dire, indépendamment des intérêts nationaux représentés tant par les services diplomatiques à l'étranger que par les techniciens commerciaux de l’État.

La politique de coopération et l’agenda international de développement humain exigent une nouvelle carrière professionnelle dans l'administration de l’État et un nouveau discours portant sur le développement international qui abandonne la pensée traditionnelle fondée sur la compétitivité ou sur la rivalité stratégique et diplomatique.

Le rôle de l’Espagne dans le développement international

Avec plusieurs années de retard, en 2010, le Gouvernement a présenté un projet de loi pour réformer l’instrument le plus controversé du système de coopération internationale : le Fonds d'aide au développement (FAD), qui essayait vainement de relier des subventions pour promouvoir les exportations espagnoles avec les objectifs d’aide au développement des pays bénéficiaires. Le FAD avait prévu une série de projets difficiles à défendre dans le cadre de stratégies de développement local répondant exclusivement aux intérêts d'un petit groupe d'exportateurs espagnols ; ces derniers, en faisant du lobbying, ont obtenu des aides publiques pour subventionner leurs projets et leurs ventes à l'étranger. Tout cela au détriment de l'augmentation de la dette extérieure des pays bénéficiaires, puisque l'instrument se composait d'un fonds de crédit nécessitant des garanties souveraines.

Le Gouvernement, incapable d'imposer une vision qui soit en cohérence avec le programme de développement international, a présenté une solution salomonique, en créant un instrument remboursable pour les activités de coopération au développement - appelé FONPRODE - et un autre instrument de crédit, exclusivement pour subventionner les exportations des entreprises espagnoles : le FIEM. Bien que l'UE interdise ce type d’aides à l'exportation les considérant comme de la concurrence déloyale pour les entreprises des autres pays de l'UE, l'accord d'Helsinki prévoit une exception qui exige que les pays bénéficiaires aient des niveaux de développement plus faibles et que les prêts accordés comprennent certaines concessions[8]. En fait, il s’agit d’une supercherie visant à justifier le fait que chaque donateur dispose d’outils qui privilégient des entreprises exportatrices.

Les organisations sociales espagnoles ont uni leurs forces pour élaborer des propositions destinées à limiter ces nouveaux outils en vertu de critères de développement : certaines pour empêcher que ces prêts soient utilisés pour augmenter la dette extérieure des pays pauvres très endettés - en violation des accords internationaux - et d'autres pour prévenir les transactions avec ce type de fonds qui ne respectent pas les conventions internationales en matière de droits du travail et droits environnementaux ou qui subventionnent l'exportation d'armes et de matériel militaire et policier. La principale résistance à l'introduction de ces propositions provient du secteur public et du Gouvernement.

En ces temps de crise économique, le Gouvernement a perdu une grande opportunité de réglementer le rôle des entreprises espagnoles à l'étranger, en tant que contributeurs au développement international, et a cédé à la vision axée sur l'amélioration de la compétitivité grâce à la réduction des contraintes et des règlementations.

Le retour de l’ancienne vision

En ce qui concerne les politiques de coopération, la stagnation signalée au cours des deux derniers exercices budgétaires[9] s'est aggravée avec l'annonce du Gouvernement d’une réduction de EUR 800 millions  pendant les deux prochaines années ; il faudra aussi admettre que pour que la part du RNB atteigne 0,7 % il sera nécessaire d’attendre au moins jusqu'en 2015, si les conditions économiques s'améliorent.

Au-delà des effets directs de la réduction budgétaire, les organisations sociales ont affirmé que cette annonce forme un clivage dans le discours, et que l’on considère à nouveau les politiques de coopération comme une politique déficitaire et de subventions, c'est à dire, comme un luxe des époques de boom économique et d’essor de la croissance. Au lieu de considérer les politiques anti-cycliques comme la possibilité d’offrir des alternatives en temps de ralentissement et de considérer les possibilités que la coopération offre pour transformer des systèmes et des modèles de production, le Gouvernement est revenu à l'orthodoxie néolibérale, selon laquelle il faut réduire le déficit et les dépenses publiques en réponse aux demandes du marché plutôt que d’être à l’écoute des propositions et des revendications des peuples souverains.

[1] Institut national de statistiques. Disponible sur le site : <www.ine.es/daco/daco42/daco4211/epa0110.pdf>.

[2] ECOFIN fait partie du Conseil européen et est composé de 27 ministres de l’Économie des pays membres de l'UE. Il possède des compétences budgétaires et dans ce cas, les ministres du Budget des pays membres assistent également aux réunions.

[3] “Les nouvelles mesures grâce auxquelles le Gouvernement veut économiser 15 milliards de dollars” El país.com, le 12 mai 2010. Disponible.

[4] Déclarations faites par le secrétaire d'État à la Coopération internationale, Soraya Rodriguez, à l'ouverture du Ve Forum international sur la démocratie et la coopération qui s'est tenu à Cáceres, Estrémadure, en Juin 2010. Disponible.

[5] La profusion de documents programmatiques et politiques durant cette période est remarquable. Il a fallu réélaborer des Plans directeurs généraux, des stratégies sectorielles et des programmes spécifiques. Au début de cette législature l'ancien Bureau de la planification et de l'évaluation a été remplacé par une Direction générale de la planification, beaucoup plus importante et dotée de davantage de ressources.

[6] Voir : <www.coordinadoraongd.org/index.php/contenidos/index/id_contenido/4159>.

[7] Adoptée dans une quasi absence de dialogue avec les partenaires sociaux à la fin de la législature, elle modifie légèrement le nom de l’organisme en ajoutant la lettre "D" de Développement et renforce en quelque sorte le rôle prédominant du service étranger dans les postes supérieurs. Dans l’organigramme elle se limite à introduire un département qui traiterait de transversalité, de priorités politiques et de programmes opérationnels relatifs au nouveau programme de la qualité.

[8] Le degré de concessionnalité d’un prêt est directement proportionnel aux avantages majeurs ou mineurs qu’il offre à toute personne qui le contracte, par rapport à ceux que les prêts du marché offrent.

[9] Voir “La Reforma del Sistema de Cooperación español en tiempos de crisis” (La réforme du système de coopération espagnol en temps de crise),dans le rapport annuel de 2008 de Plataforma 2015 y más. Disponible sur le site : <www.2015ymas.org/spip.php?rubrique23&entidad=Textos&id=6506>.

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