Égalité des sexes: l’Histoire doit être honorée

Publication_year: 
2010
Summary: 
Contrairement à d’autres parties du monde, les droits de la femme ont été concédés très tôt en Arménie. Avec l’avènement de la République moderne, ils ont à nouveau été consacrés et ont été élargis durant l’ère soviétique. Cependant, la transition vers la démocratie et l’économie de marché ont détérioré la situation des arméniennes qui souffrent aujourd’hui de discrimination dans tous les aspects de leur vie. Le Gouvernement n'a pas saisi l'ampleur du problème, et toute tentative pour se conformer à ses engagements internationaux en la matière a été faible et insuffisamment prise en charge.

Center for the Development of Civil Society
Svetlana A. Aslanyan[1]

Contrairement à d’autres parties du monde, les droits de la femme ont été concédés très tôt en Arménie. Avec l’avènement de la République moderne, ils ont à nouveau été consacrés et ont été élargis durant l’ère soviétique. Cependant, la transition vers la démocratie et l’économie de marché ont détérioré la situation des arméniennes qui souffrent aujourd’hui de discrimination dans tous les aspects de leur vie. Le Gouvernement n'a pas saisi l'ampleur du problème, et toute tentative pour se conformer à ses engagements internationaux en la matière a été faible et insuffisamment prise en charge.

En Arménie, contrairement à presque tous les pays, le souci de l'égalité des sexes est enraciné dans une longue histoire, ancienne et récente, et se reflète dans les législations adoptées dans différents contextes politiques. Compte tenu de cette tradition, il ne devrait pas être trop difficile pour l'Arménie de corriger les inégalités existantes. Cependant, la situation des femmes s'est détériorée au cours des vingt dernières années. Les raisons en sont le manque de vision et d'un engagement fort de la part de l'État, le manque de coordination entre les acteurs concernés et le faible niveau de sensibilisation parmi la population.

 

Il ne peut y avoir de développement durable pour l'Arménie que si elle intègre dans sa politique les questions relatives à l’égalité des chances entre femmes et hommes. La société civile, soutenue par l’action de certaines institutions internationales, plaide pour un changement de politique pour permettre de rétablir les femmes à la place qu’elles ont toujours occupée dans la société arménienne.

Une tradition d’égalité

L’égalité des droits des femmes ont une longue histoire en Arménie : les anciens codes et normes légales démontrent qu’auparavant, les femmes étaient traitées de manière égalitaire dans la société concernant les héritages, la propriété, etc. Ainsi, par exemple, le code de Shahapivan (443 av. JC) disposait que « la femme a le droit de posséder une propriété dans le cas où son mari l’ait abandonné sans raison apparente ». Il mentionnait également qu’« une femme a le droit d’amener un nouveau mari au foyer ».

Shahamir Shahamirian, un écrivain et philosophe du XVIIIe siècle, auteur de la première Constitution  arménienne2, avait établi: « Chaque personne, qu’elle soit arménienne ou pas, homme ou femme, née en Arménie ou arrivée en Arménie depuis l’étranger, vivra dans l’égalité et exercera ses occupations en toute liberté. Personne n’aura le droit d ‘asservir qui que ce soit, et la main d’œuvre devra être rémunérée pour son travail, comme la législation arménienne l’exige »3.

La première République d’Arménie (1918-1920), a été l’une des premières à concéder aux femmes le droit de vote et à être élues. Aussi, 8 % des membres de son Parlement étaient des femmes et le Dr Diana Abgar a été désignée ambassadrice du Japon, ce qui l´a transformée en la première femme de l’histoire à occuper ce poste, puisque la russe Alexandra Kollontai, habituellement reconnue comme la première ambassadrice, a été nommée plénipotentiaire pour la Norvège seulement en 1923.

Durant l’ère soviétique, l’État a garanti l’enseignement scolaire gratuit et obligatoire, l’enseignement universitaire et les services médicaux gratuits et accessibles, 24 jours de congés payés, et des congés payés pré et postnatal, etc. En 1920, le droit à l’avortement a été légalisé et l’attention médicale afférente à celui-ci à été garantie. Cependant, il faut souligner que la législation sur l’avortement était fortement liée au rôle changeant de la femme dans la société puisque l’objectif principal de l’administration soviétique était d’intégrer les femmes aux forces de travail.

Discrimination : théorie et pratique

En dépit de ces progrès, les femmes en Arménie soviétique devaient porter un double fardeau et souffraient de discrimination structurelle. Elles travaillaient à la fois au sein et à l’extérieur de leur foyer, cuisinant, nettoyant, lavant et gagnant leur nourriture par leur emploi. Ce double fardeau est devenu de plus en plus lourd en raison de l´absence d’infrastructure de soutien et du manque de technologie pour aider à rendre les tâches ménagères moins consommatrices de temps.

Durant cette période, aucune femme n’a accédé à des postes hiérarchiques, ni au sein du Gouvernement, ni au Parlement. Bien qu’il eût été stipulé que les deux genres devaient être à égalité de salaire, les femmes ont été employées pour les tâches les moins rémunérées. L’idée que les femmes ont été utilisées comme main d’œuvre bon marché par le pouvoir soviétique se reflète dans le refrain d’une vieille chanson folklorique de l’époque qui disait : « la femme laboure, la femme récolte et l’homme contrôle et dirige ».

Même si cette situation fût contemplée dans la Constitution postsoviétique de 1995, selon laquelle les hommes et les femmes jouissaient des mêmes droits en politique, au travail et au sein de la famille, et que dans la plupart des cas ces dispositions étaient conformes aux lois internationales, ses principes ne s’appliquent pas dans la vie quotidienne.

Plus récemment, la transition vers la démocratie et l’économie de marché ont provoqué une dégradation de la situation des arméniennes dans la société, y compris leur situation économique. Aujourd'hui, le pays ne dispose pas d'une politique nationale pour faire face aux inégalités que les femmes doivent affronter dans leur vie quotidienne.

Le Gouvernement n’a fait que de faibles tentatives pour changer cette situation car il considère que la problématique de l’égalité des sexes a été résolue durant l’ère soviétique. La législation appropriée existe, mais il n’existe pas de mécanismes efficaces pour la faire respecter, ce qui signifie que les femmes sont victimes de discrimination dans tous les aspects de leur vie y compris la participation à la vie politique.

Les femmes qui se voient exclues des processus économiques et politiques, continuent avec leurs rôles traditionnels dans la société et reçoivent de plein fouet l’impact produit par l’irréfléchie et hasardeuse transition d’une société totalitaire (avec une planification centralisée et une économie rigide) à une économie de marché basée sur la démocratie.

Il n’existe aucun organe représentatif de la femme, ni groupe parlementaire, ni de conseillers en questions liées au genre en Arménie. De manière exceptionnelle, une vice-ministre a été nommée au ministère de la Sécurité sociale en 2002 pour coordonner les activités destinées à aborder les questions de la femme. Cependant, elle a été rapidement évincée de son poste et une autre femme a été nommée à sa place puis remerciée à son tour. De nos jours, les problèmes de la femme sont traités par le Département de la femme et de l’enfance créé en 1997 au sein du ministère de la Sécurité sociale, ainsi que dans la Division du ministère de la Santé pour la protection de la santé de la mère et de ses enfants.

Cette absence d’entités efficaces pour traiter les questions de genre se reflète dans les rapports du pays à propos de ses engagements internationaux. L’Arménie a été l’un des 191 pays à avoir signé la Déclaration du Millénaire. Le respect et l’engagement pour l’égalité des sexes ainsi que l’autonomisation de la femme sont reconnus comme des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) : « Objectif 3 : Promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation de la femme. Éliminer les inégalités entre les sexes dans l’enseignement primaire et secondaire, de préférence pour 2005 et à tous les niveaux de l’enseignement pour 2015 » .

En 2005, l’Arménie a publié son premier rapport intermédiaire sur l’accomplissement des OMD. Il était clair que les politiques étaient étroitement adaptées à la situation du pays, fixant des objectifs plus souples que ceux accordés au niveau mondial.
Ce rapport a été réalisé grâce au travail conjoint du Gouvernement, de la société civile, des organisations internationales et des organisations des Nations Unies en Arménie.

Le rôle de la société civile

Suite à la Conférence de Pékin en septembre 1995, les organisations de femmes déjà présentes en Arménie sont devenues plus actives et de nouvelles se sont formées depuis. De plus, plusieurs organisations internationales, dont le PNUD, Programme des Nations Unies pour le développement et l’Organisation pour la sécurité et la coopération européenne, ont commencé des enquêtes sur l’équité de genre. Ces organisations, conjointement avec trois autres donateurs internationaux, ont octroyé de nombreuses bourses à des ONG de femmes, permettant de les encourager et de les renforcer.

Un des principaux objectifs de ces groupes a été l’autonomisation des femmes, qui constitue l’idée unificatrice au-delà de la diversité des champs d’activités spécifiques de chacun. Depuis le début, ces groupes ont promu les droits civils des femmes ou se sont organisés pour aborder les problèmes sociaux qui les affectent. Ils ont déployé de gros efforts en faveur des droits de la femme, du leadership et du combat contre la violence de genre et de la traite des femmes.

 

Réussites et échecs

Le Gouvernement a élaboré des plans et a créé des organismes pour promouvoir l’équité de genre. Cependant, le manque de ressources financières, qui a déterminé quelques erreurs d’implémentation, et le manque de conscientisation de la population ont empêché l´obtention des résultats attendus.

Dans le cadre de l’implémentation du Plan d’Action de Pékin en 1997, le Premier ministre a émis un décret pour la création d’un Comité mettant en œuvre le Programme de développement des politiques de genre 1998-2000. Ce programme sur trois ans était destiné à améliorer la situation de la femme mais il n’a jamais été mis en pratique par manque de financement. En 2000, le Conseil de la Femme, un organe consultatif volontaire a été créé sous le mandat du Premier ministre. Il a été ensuite aboli par son successeur.

La réussite la plus importante a été l’adoption du "Plan national d’action 2004-2010 de la République d’Arménie pour améliorer la situation de la Femme et renforcer son rôle dans la société". Ce plan définit les principes, priorités et objectifs clés de la politique publique pour s’attaquer aux sujets liés à la femme. Il se base sur les dispositions pertinentes de la Constitution et il est orienté vers la mise en œuvre de la Convention des Nations Unies sur l’Élimination de toute forme de violence à l’égard des femmes et les recommandations de la 4ème Conférence de Pékin. Son mandat couvre également les documents du Comité directif du Conseil de l’Europe pour l’égalité entre femmes et hommes, les ODM et les compromis de la République arménienne avec d’autres instruments internationaux.

Le plan d’action comprend sept sections relatives à :

  • Garantir l’égalité des droits et opportunités entre femmes et hommes pour la prise de décisions et dans la sphère politique et sociale.
  • Améliorer la condition sociale et économique de la femme.
  • Améliorer le secteur éducatif.
  • Améliorer la santé de la femme.
  • Eliminer la violence à l’encontre des femmes.
  • Examiner le rôle des médias et des institutions culturelles dans la présentation des rapports sur les sujets liés à la femme et la construction d‘un modèle de la féminité
  • Réformer les institutions.

 

Plusieurs brochures d'information ont été publiées afin de clarifier certains de ces points. Une des brochures contenait les conclusions et les recommandations d'une étude sur la violence de genre, y compris des données statistiques ventilées par genre. Durant la dernière décennie, plusieurs organismes ont été créés pour aborder des sujets sociaux, de santé et d’emploi, y compris l’Institut de l’ombudsman inauguré en 2004. Toutefois, ils ont manqué d’un financement adéquat ou ils n'avaient pas le pouvoir de développer ou de soutenir des politiques efficaces pour pouvoir surmonter les inégalités entre les sexes et établir des droits et des opportunités égaux pour les femmes et les hommes. D’autres obstacles se sont présentés en raison du manque de coordination des différents individus et organismes impliqués. Le faible niveau de sensibilisation du public face à ces questions doit également être pris en compte.

En 2006, le PNUD a publié une brochure sur l’Égalité des sexes et un Bulletin électronique sur le genre et le changement (BEGC). La brochure avait pour objectif de fournir une information générale sur les sujets liés au genre, les cadres nationaux et internationaux et les mécanismes de protection et de promotion des droits de la femme. Elle était destinée aux décideurs du Gouvernement aux niveaux central et local, aux organisations de la société civile, aux défenseurs des droits de la femme, aux chercheurs ainsi qu’à toute personne cherchant une information basique sur l’égalité des droits.

Trafic de femmes

Des femmes et des filles sont victimes de la traite de personnes vers les Émirats arabes et la Turquie pour être soumises à l’exploitation sexuelle commerciale et des arméniens, hommes ou femmes, sont envoyés en Russie aux travaux forcés4.

En octobre 2002, une Commission sur la Traite des femmes a été créée, à laquelle ont participé les représentants de tous les ministères et organismes intéressés ainsi que les ONG.

La Commission a élaboré le concept de lutte contre la traite des personnes et a créé un Plan d’action national pour la période 2004-2006 et un autre pour 2007-2009. Ces plans couvrent tous les aspects relatifs à la traite de personnes, tels que l’amélioration de la législation s’y afférant, la recherche et la portée de ces sujets, l’adoption de mesures préventives, la diffusion de l’information et l’assistance aux victimes. Cependant, tout comme les autres organismes déjà mentionnés, la Commission n’a pas compté avec l’autorité et le financement nécessaire pour mettre en place ces politiques de manière efficace. La Police Nationale a également établi en juin 2005, un Département de lutte contre la traite des personnes.

Conclusions

L’utilisation de la libération féminine comme outil de propagande politique durant l’ère communiste a été très effective. De nos jours, il est habituel en Arménie de considérer que l’équité était instaurée depuis longtemps. C’est uniquement à partir de l’enseignement des femmes à propos de l’importance de la démocratie qu´elles ont commencé à comprendre l’importance de l’activisme pour combattre la
« discrimination occulte » et le manque de mécanismes pour mettre les lois en vigueur. Les académiques féministes et les activistes devraient s’unir pour orienter leurs actions vers la situation des femmes arméniennes et établir une véritable équité de genre.

 

 

 

 

 

[1] Chercheuse principale, chef du Groupe de recherche de l’Institut de linguistique de l’Académie nationale des sciences d’Arménie. Une version de cet article a déjà été publiée par Social Watch, Cuadernos Ocasionales 06, La hora de la economía de género (mars 2010). Disponible sur : <www.socialwatch.org/es/node/11578>.

2 Ce fut le premier projet connu pour une démocratie constitutionnelle. 

3 Shahamir Shahamirian, Vorogayt parats (Les pièges de la gloire), Madras, Inde, 1773, réédité à Tiflis en 1919, Article 3.

4 Voir, par exemple, Département d’État des États-Unis, Trafficking in Persons Report, Washington, DC, 2009. De plus, selon des chiffres officiels, en 2009, 60 trafiquants de personnes ont été officiellement identifiés, ce qui représente le double par rapport à l’année précédente.

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