Réponse européenne à la crise économique et financière mondiale

Publication_year: 
2009
RAPPORT ANNUEL : 
Yes
Summary: 
Pour devenir un acteur mondial dans sa réponse à la crise, l’Europe devrait travailler vers un partenariat inclusif avec tous les pays, et non pas seulement avec les pays les plus puissants. Elle devrait garantir que les mesures instaurées répondent aux besoins de toutes les populations, notamment les plus vulnérables aux effets de la crise, que ce soit au sein de l'Europe ou dans les pays en voie de développement. Tels sont les défis du nouveau Parlement et de la nouvelle Commission européenne, dont les mandats débutent à peine et prendront fin en 2015, coïncidant ainsi avec la date limite fixée pour atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement.

Mirjam van Reisen
Conseillers en politique extérieure européenne (EEPA, Europe External Policy Advisors) 
Simon Stocker, Louisa Vogiazides 
Eurostep

Pour devenir un acteur mondial dans sa réponse à la crise, l’Europe devrait travailler vers un partenariat inclusif avec tous les pays, et non pas seulement avec les pays les plus puissants. Elle devrait garantir que les mesures instaurées répondent aux besoins de toutes les populations, notamment les plus vulnérables aux effets de la crise, que ce soit au sein de l'Europe ou dans les pays en voie de développement. Tels sont les défis du nouveau Parlement et de la nouvelle Commission européenne, dont les mandats débutent à peine et prendront fin en 2015, coïncidant ainsi avec la date limite fixée pour atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement.

Depuis le début de la crise économique et financière, l’Union européenne s’est invariablement présentée comme acteur principal de la réponse mondiale à la crise et de tout type de réforme concernant l’architecture financière mondiale. Les dirigeants européens citent les réussites de l’UE des 50 dernières années et ses engagements envers la justice sociale et la solidarité afin de justifier leur rôle de leaders sur la scène mondiale. Comme l’a affirmé le Premier ministre britannique Gordon Brown au Parlement européen le 24 mars 2009, l’UE se trouve « dans une position unique » pour pouvoir diriger la « construction d’une société vraiment mondiale, durable pour tous, sûre pour tous et juste pour tous ». D'autres dirigeants, se faisant l’écho de ces paroles, reconnaissent que la crise financière mondiale a des impacts sociaux et humains dans le monde entier, notamment dans les pays en développement. Leurs réponses, disent-ils, reconnaîtront pleinement les besoins et réalités des pays en développement. Ce que cela signifie réellement dans la pratique commence déjà à se percevoir dans la façon dont l'UE et ses États membres abordent la crise et ses impacts. Malgré des failles systémiques évidentes dans le système actuel de promotion du développement équitable et durable, il n’y a jusqu’à présent aucun engagement visible en faveur d’un véritable changement.

Partie 1 : La position européenne face à l'architecture financière mondiale

Les dirigeants européens reconnaissent facilement les failles du système financier mondial. Il semble cependant que les mesures prévues pour combattre ces failles soient bien loin d'apporter une transformation radicale du système. Bien que tous les dirigeants européens ne fassent pas partie du G-20, celui-ci est largement accepté en tant que leader pour répondre à la crise. Les mesures adoptées lors du Sommet du G-20 à Londres en avril 2009 reflètent l’approche européenne pour aborder la crise économique et la réforme du système financier mondial afin de prévenir de nouvelles crises. Parmi ces mesures, il est recommandé d’injecter des fonds supplémentaires aux Institutions financières internationales (IFI) à hauteur de 1,1 billion d’USD, dont une proportion minime (50 milliards d’USD) serait destinée à « garantir le développement des pays à bas revenus ». Le 1,1 billion d’USD se répartit en 750 milliards pour le FMI, 100 milliards pour la Banque mondiale et 250 milliards pour soutenir le commerce mondial. Les dirigeants européens ainsi que les autres dirigeants du G-20 se sont mis d’accord pour injecter environ 5 billions d’USD d’ici fin 2010 afin de relancer leurs économies et de protéger l’emploi.

Il est à peu près certain que l’UE s'engagera à renforcer la supervision et la réglementation financière, avec divers niveaux de soutien envers l'amélioration du suivi des agences d'évaluation du crédit, la mise en place de standards réglementaires mettant un terme aux paradis fiscaux et au secret bancaire, le besoin de nouvelles normes de comptabilité plaçant les obligations sous la supervision de contrôleurs des finances.

Si certaines de ces mesures sont les bienvenues – du moment qu'elles ont une portée suffisamment importante – elles ne reflètent d’aucune façon un engagement pour la transformation de l'architecture financière mondiale. Au contraire, elles reflètent la détermination de maintenir intactes les structures et les approches actuelles, et de restaurer la stabilité au travers d’une meilleure gestion des modèles économiques et financiers mondiaux actuels. Cette réponse cherche à garantir que le contrôle sur toute modification restera entre les mains des principaux acteurs économiques mondiaux, parmi lesquels se trouve l’Europe. Etant donné que le G-20 regroupe des pays qui ont largement bénéficié du système mondial en vigueur, rien ne les incite véritablement à effectuer une transformation radicale du système. Et puisque l'architecture financière mondiale a non seulement échoué à éliminer les inégalités mais les a souvent augmentées, il n’est absolument pas prouvé que le maintien du modèle actuel puisse obtenir les résultats proclamés par Gordon Brown et d’autres dirigeants européens.

Pour que la réponse à la crise soit réellement mondiale et efficace, il faut faire participer, outre les principaux pouvoirs et les grandes économies émergentes, la communauté mondiale, et notamment l'ensemble des pays en développement. La Commission d'experts sur les réformes du système monétaire et financier international, présidée par l'économiste Joseph Stiglitz, argumente que « le bien-être des pays développés et en voie de développement est mutuellement interdépendant dans une économie de plus en plus intégrée ». En conséquence, « sans une réponse vraiment inclusive, qui reconnaisse l’importance de tous les pays dans le processus de réformes, il s’avère impossible de restaurer la stabilité économique mondiale, si bien que tant la croissance économique que la réduction de la pauvreté seront menacées dans le monde entier »1.

Le manque de volonté de l’Europe d’inclure effectivement les pays en développement dans l’effort mondial pour s’occuper de la crise est mis en évidence par son engagement dans le processus du G-20, plus important que dans d’autres forums internationaux, notamment à l’ONU. En règle générale, l’approche de l’Europe a consisté à confiner le rôle de l’ONU à s’occuper des impacts de la crise dans les pays en développement. Pour les gouvernements européens, le G-20 est le forum dans lequel toute modification du système mondial représentera au mieux leurs intérêts. La plupart d'entre eux n'ont montré aucun intérêt envers la Conférence de l'ONU sur la Crise économique mondiale et ses impacts sur le développement.

Cette préférence se manifeste également dans le manque d’engagement réel des dirigeants européens en faveur d’une augmentation de la représentation des pays en développement au sein des structures des IFI. Même s’il a été convenu, dans le cadre du G-20, d’octroyer 750 milliards d’USD au FMI pour aider les pays touchés par la crise, aucun engagement fort n’a été pris pour transformer le système de gouvernance des IFI afin de régler la question de leur déficit démocratique. Le communiqué du G-20 a fait un appel pour réformer « les mandats, la portée et la gouvernance [des IFI] afin de refléter les changements dans l’économie mondiale et les nouveaux défis de la globalisation », ajoutant que « les économies émergentes et en développement, y compris les plus pauvres, devraient pouvoir mieux faire entendre leur voix pour une meilleure représentation ». Les membres du G-20 ont réitéré leur engagement avec la mise en œuvre d'une série de réformes relatives aux voix, convenue par le conseil d’administration du FMI  en avril 2008, et ont stipulé que « les principales autorités » des IFI devraient être désignées suivant un « processus de sélection ouvert, transparent et basé sur les mérites ». Cet accord est cependant loin de comporter un engagement pour changer les institutions ou d'instaurer une meilleure représentation et participation à la prise de décisions des pays en développement.

Beaucoup des propositions et de commentaires publics concernant la réforme de la gouvernance du FMI sont énoncés par des gouvernements provenant de régions du monde avec très peu de représentation réelle. Les dirigeants européens argumentent pour un statu quo. Dans un entretien avec l’agence Reuters, le ministre belge des Finances Didier Reynders a déclaré que « pour le moment, la représentation autour de la table des débats est attrayante. Les pays européens financent largement le Fonds, et nous devons donc prendre en considération l’importance de la participation de chaque pays au Fonds ». Autrement dit, il faut maintenir le principe selon lequel les droits de vote doivent refléter les contributions financières. Les changements de gouvernance  doivent seulement refléter les modifications de la richesse mondiale : si les économies émergentes contribuent financièrement, elles pourront participer. Les pauvres continueront d’être exclus.

La position européenne concernant la gouvernance du FMI et le rôle des Nations Unies indique clairement leur désir de ne pas toucher à l'architecture du système financier mondial. Bien entendu, les gouvernements profitent de la possibilité d’apporter des modifications qui renforcent la place respective de leurs propres économies au sein du système financier, notamment en ce qui concerne les paradis fiscaux ou le secret bancaire, ceci leur permettant en même temps d’éviter des modifications à plus grande portée.

Partie 2 : Impacts sociaux de la crise en Europe

Depuis sa création en 1957, la Communauté économique européenne (CEE) a apporté une plus grande prospérité et a amélioré les conditions de vie de la plupart de ses habitants. Fondée avec notamment pour objectif principal l'intégration des économies de ses États membres, elle a progressivement évolué vers un marché commun européen, qui comporte la libre circulation de biens, de services et de personnes2.

Parallèlement à la croissance économique du marché, la CEE a cherché à estomper les inégalités économiques interrégionales au moyen de subventions et autres aides, afin de promouvoir la justice sociale et la solidarité. En règle générale, les pays européens ont une vision commune sur la façon d’améliorer le bien-être de leurs concitoyens ; cette vision, connue sous le nom de « Modèle social européen », comporte la promotion du plein emploi, d’un travail décent, de l’égalité devant les opportunités, d’une protection sociale et d’une inclusion sociale universelles.

Ces dernières années, la croissance de la dérégulation financière et les privatisations ont mis en danger le Modèle social européen. Dans ce nouveau paradigme, le bien-être des citoyens dépend de plus en plus du marché, d’où une rétrocession progressive de l’Etat dans diverses sphères sociales et économiques. Et bien que l’économie de marché ait contribué à l’amélioration des conditions de vie de la plupart des citoyens européens, celle-ci a également amené des problèmes. La dérégulation et la privatisation des systèmes de retraites illustrent bien ce problème. Dans le but de trouver une solution à la charge excessive et toujours croissante du système public de retraites, de nombreux États ont eu recours à la privatisation et à la libéralisation. Les citoyens ont été encouragés à se fier de plus en plus aux fonds de retraites privés qui eux aussi dépendent des vicissitudes du marché. Avant la crise, les fonds de retraites se portaient très bien étant donné que la valeur de leurs actifs étaient en constante augmentation. De façon collective, les fonds de retraites sont devenus des acteurs importants du marché de valeurs. La crise économique et financière actuelle en a pourtant largement réduit la valeur, mettant ainsi en danger les futures retraites de nombreux européens.

La récession économique due à la crise menace encore plus l’approche européenne de bien-être social. L’UE prévoit une récession de l’ordre de 4 % pour 2009 dans la zone euro, et selon certaines estimations, 8,5 millions de personnes perdront leur emploi entre 2009 et 2010. Cela se traduit en un taux de chômage de 11,5 % en 2010, le plus élevé depuis la seconde guerre mondiale. La crise affecte également largement les budgets. Dans la zone euro, le déficit public devrait atteindre 5,3 % en 2009 et 6,5 % en 20103.

De quelle façon l’Europe répond-elle à la crise ? Depuis le début, la Commission européenne et les États membres ont pris un train de mesures afin de contrecarrer les effets du déclin économique, principalement des plans de récupération et un ensemble de mesures de sauvetage, destinées pour la plupart au secteur financier. En avril 2009, l’UE a indiqué que le coût des mesures approuvées par la Commission pour venir en aide aux institutions financières s’élève à une estimation de 3.000 milliards d’EUR. Ce chiffre englobe le montant total des garanties (jusqu’à 2.300 milliards d’EUR), les plans de recapitalisation (300 milliards d’EUR) et l’aide octroyée pour sauver et restructurer les banques individuelles et les institutions financières (environ 400 milliards d’EUR)4.

L’aide octroyée au secteur financier suit la logique selon laquelle les garanties et recapitalisations publiques permettront aux banques de disposer de l’argent nécessaire pour accorder plus de prêts et ainsi stimuler une augmentation des investissements, qui devraient créer et maintenir plus d’emplois. Il n’est cependant absolument pas évident que l’octroi de ces énormes sommes de ressources publiques au système bancaire serve à répondre aux besoins de la majorité des citoyens. Ce scepticisme est largement fondé. Premièrement, le financement et l’aide octroyés aux banques proviennent des apports des contribuables, lesquels se trouvent dans une situation plus instable en raison de la récession économique. Deuxièmement, la plupart des mesures tendent à augmenter la disponibilité des crédits, avec la mise à disposition de 2.300 milliards d’EUR en garanties publiques. Suivant le même objectif, la Banque centrale européenne a baissé les taux d'intérêt à moins de 1 %, un niveau historiquement bas. Cependant, ce sont justement les politiques de crédit trop laxistes qui ont contribué à créer les conditions de la faillite financière. Il semble ironique que ce soient les contribuables, beaucoup d’entre eux souffrant fortement de la crise, qui apportent de l’argent à ces institutions en problème – et à beaucoup de leurs directeurs – ceux-là mêmes qui ont contribué à l’effondrement du système.

La croissance de la crise de l’emploi suggère que les impacts sociaux de la crise exigent d’être abordés plus énergiquement. Il s'avère nécessaire de prendre des mesures qui intègrent les exclus du marché du travail, investir dans les services sociaux et de santé, et améliorer les systèmes de protection sociale. Mais l’ampleur des mesures de stimulation financées par l’Etat et l’augmentation importante des déficits budgétaires des gouvernements européens réduisent radicalement leur capacité à financer des projets de bien-être social et à investir dans les services sociaux, que ce soit à court terme ou dans les années à venir.

Victime de la crise, la session extraordinaire du Conseil européen sur l’emploi aurait dû rassembler les ministres du travail de tous les États membres de l’UE. À la place, une réunion a eu lieu entre la dénommée « troïka sociale » (l'Espagne, la République Tchèque et la Suède), le CE et les acteurs sociaux. Cette « dégradation » du sommet sur l’emploi n’a pas été vue d’un bon œil par ceux qui avaient perdu leur emploi en conséquence directe de la crise. Selon John Monks, le président de la Confédération européenne des syndicats, ce renoncement « donne l’impression que la classe politique européenne ne se sent pas vraiment touchée par le problème du chômage »5.

La crise a engendré des réactions inattendues entre les politiciens européens. Ceux qui avant la crise souhaitaient des politiques débridées de marché libre ne cessent maintenant d’œuvrer pour sauver les entreprises publiques. La Commissaire à la concurrence Neelie Kroes, connue pour être une promotrice passionnée des politiques de marché libre, a déclaré que « les six derniers mois ont montré combien le contrôle de l’aide de la part de l'Etat joue un rôle clé pour aborder les défis de la crise économique de façon coordonnée à travers toute l'Europe... C'est maintenant au tour du secteur financier d’assumer la responsabilité de remettre ses comptes en ordre et de se restructurer pour s’assurer un futur viable »6. Avec cette approche, l’intervention de l’Etat n’est plus considérée comme un obstacle au développement et à la croissance économique. Au contraire, en général on est d’accord pour que les États prennent la responsabilité de faire face à la récession actuelle par le biais d'une intervention active sur le marché. Ce changement de paradigme suggère que lorsque les bénéfices et la croissance sont assurés, l'Etat est incité à se retirer, tandis que pendant les récessions l’intervention de l’Etat devient tout à coup la solution indispensable. En d'autres termes, les bénéfices continuent d'être privés et les pertes sont sociabilisées. Il s'agit-là d'une claire contradiction envers les principes de justice sociale et de solidarité fondés sur l’idée que les bénéfices et les pertes doivent être répartis de façon égale.

D’autre part, il se peut que la crise ait engendré une augmentation de l’« européanisme ». Un sondage d’opinion de la CE réalisé entre mi-juin et mi-février 2009 indique que près des deux tiers de la population de l’UE pensent que les européens seraient mieux protégés si les États membres adoptaient une approche coordonnée, tandis que seuls 39 % pensent que la coordination existante est suffisante7. Cela suggère un large consensus sur la nécessité d’une coopération à niveau européen pour aborder la crise financière.

Les résultats récents des élections en Islande suggèrent que le sentiment croissant d’européanisme ne se limite pas aux citoyens de l’UE. Après que le pays ait été au bord de la banqueroute, les Islandais ont élu à une large majorité un président en faveur de l’intégration à l’UE. Selon le président de la Commission, M. Barroso, les pays qui agissent pour leur compte comme l’Irlande, le Royaume-Uni, la France ou l’Allemagne, disposent de bien moins d’outils pour combattre la crise que s’ils agissaient ensemble : « Je pense que, si on considère que la crise pouvait modifier l’attitude envers le Traité de Lisbonne, ce serait probablement en faveur du traité »8.

Partie 3 : Le rôle de l’Europe pour la promotion du développement

L’UE réclame également un rôle protagoniste pour alléger les conséquences sociales de la crise dans les pays en développement. Selon le président de la CE M. Barroso, « l’Europe a assumé être le chef de file garantissant que le G-20 étaye les bases d’une récupération juste et durable pour tous, y compris pour les pays en développement »9. Il existe cependant une asymétrie entre les mesures prises par la CE pour s’occuper des effets de la crise à niveau interne et celles établies pour venir en aide aux pays en développement, comme le démontrent les sommes injectées dans les économies européennes comparées aux fonds disponibles pour venir en aide aux pays en développement. Cette asymétrie est également visible dans son soutien au FMI, qui a imposé des conditions très dures aux prêts octroyés aux pays pauvres, les empêchant de mettre en œuvre des politiques économiques anticycliques leur permettant d’affronter la crise.

Avec la brusque chute des revenus des exportations, des flux d’investissements étrangers et des envois de fonds, les pays en développement sont durement touchés par la crise économique et financière mondiale. La Banque mondiale estime que ces pays devront faire face à un trou financier d’entre 270 milliards et 700 milliards d’USD, et qu’environ 53 millions de personnes franchiront le seuil de la pauvreté au cours de 200910. Le président de la Banque, Robert Zoellick, a annoncé à Londres, à la veille de la réunion du G-20, qu’environ « 200.000 à 400.000 nouveau-nés mourront cette année en raison de la chute de la croissance »11. Selon les Nations Unies, les financements nécessaires pour atténuer les effets de la crise pourraient s’élever à 1.000 milliards d’USD. De nombreux pays en développement ont un espace fiscal trop limité pour pouvoir réagir face à la crise et ont besoin d'urgence d'une aide externe.

« Quand on observe les systèmes de bien-être et de protection sociale, la capacité des États membres de l’UE pour aborder la demande croissante de sécurité sociale varie considérablement. Dans certains cas, nous avons une augmentation des allocations de chômage, une extension des droits à l’assistance chômage, de même que des bénéfices sociaux, des réductions ou des exonérations d’impôts pour des groupes spécifiques, dont les retraités. Par ailleurs, d’autres États abaissent les allocations. La Hongrie a diminué les subventions, les salaires du secteur privé et a annulé les plans de dépenses de retraite ; la Finlande s’attend aussi à une réduction des dépenses des services sociaux. Pour enrayer les retombées sur le marché du travail, certains pays essaient aussi d’instaurer des politiques d’emploi actives en conservant les employés grâce aux horaires flexibles, mais malgré tous ces efforts, les effets restent très draconiens. »

Verena Winkler (Eurostep, Belgique)

Bien que l’Europe reconnaisse que les pays en développement soient confrontés à une brèche financière paralysante, l’aide publique au développement (APD) engagée continue d’être insuffisante. Presque 50 milliards d’USD ont été déboursés en 2008, mais les volumes de l’aide restent modiques si on les compare aux ressources injectées dans les économies européennes pour sauver les banques et stimuler la croissance. En avril 2009, les gouvernements de l'UE se sont engagés à verser 3 000 milliards d’EUR pour aider les institutions financières par le biais de garanties ou de revenus en liquide. S'il est possible de disposer si rapidement d'un tel volume de financement pour aider les institutions financières, il est très difficile de comprendre pourquoi les Gouvernements européens ne peuvent pas augmenter le budget de l'aide.

En mai 2009, les États membres de l’UE ont confirmé leur intention de tenir leur promesse collective d’octroyer 0,56 % du PNB européen en 2010 et 0,70 % du RNB européen en 2015 à l’AOD12. Cependant, l’Italie, l’Irlande, la Lettonie et l’Estonie ont déjà effectué une réduction de leurs budgets destinés à l’aide en conséquence de la crise.

Dans le même temps, la CE a proposé d’accélérer les envois d'aide avec une avance d'une portion importante des transferts financiers vers les pays en développement, pour un montant de 4,3 milliards d’EUR en 2009. Cette somme inclut les 3 milliards d’EUR de l’aide prévue par le budget, 800 millions d’EUR pour l’aide alimentaire et 500 millions d’EUR octroyés par le biais d'un mécanisme FLEX ad hoc conçu pour venir en aide aux pays les plus vulnérables. Cependant,  il ne s’agit pas là de nouveaux financements ; si les pays décidaient de recevoir cette aide dès maintenant, ils auraient moins de fonds disponibles dans les prochaines années. En outre, les États membres supposés accorder ces ressources montrent déjà des signes de résistance.

Parallèlement à leurs engagements d’aide, les pays européens ont contribué à hauteur de presque 100 milliards d’ USD d'1,1 billion d’ USD de rallonge aux IFI. Les 50 milliards d’USD prévus pour venir en aide au développement des pays à faible revenu ne semblent pas être accompagnés de mesures offrant plus de flexibilité dans les politiques fiscales et monétaires pour accéder aux prêts du FMI. Malgré la récente « modernisation » des politiques de conditions du FMI, les mêmes vieilles recettes de stricte discipline fiscale et de réductions des dépenses du gouvernement continuent à être appliquées. Dans un tel contexte, les possibilités d’investissements dans le secteur social sont toujours très faibles13. Une fois de plus, on constate une contradiction évidente entre les politiques anticycliques appliquées en Europe et les restrictions fiscales imposées aux pays en développement14. Si les Européens pensent que les politiques financières et monétaires expansives pourront les faire sortir de la crise, pourquoi encouragent-ils exactement le contraire dans les pays les plus pauvres ?

La crise : une façon de promouvoir les intérêts européens ?

Un autre impact de la crise sur la relation entre l’Europe et les pays en développement semble être la mise en place de mesures controversées comme l’aide budgétaire et la signature des Accords de partenariat économique (APE).

Aide budgétaire

En reconnaissance du besoin urgent des économies les plus pauvres en financement externe suite à la crise, les propositions d’avances de la CE prévoient une augmentation de l’utilisation de l’aide budgétaire qui comprend près de 500 millions d’EUR attribués par le 10e Fonds européen de développement pour venir en aide aux pays du Groupe des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) les plus durement touchés par la crise. La CE a également annoncé qu’elle passerait en revue les opérations en cours d’aide budgétaire aux pays les plus vulnérables afin d’évaluer les possibilités d’octrois d’avances. La CE argumente que l'aide budgétaire est un instrument de réponse rapide qui permet un financement prévisible à long terme pour les dépenses du gouvernement, notamment pour les secteurs sociaux comme la santé et l’enseignement.

L’aide budgétaire est cependant la source de diverses préoccupations. Premièrement, la plupart des pays ne disposent pas de la capacité interne ni de possibilités leur permettant d’effectuer le suivi de l’allocation des ressources du budget, un sujet crucial pour une reddition de comptes démocratique. Le recours à des sociétés internationales de comptabilité pour faire le suivi de la mise en œuvre tend à améliorer l'image du gouvernement à l'étranger quant à la mise en place du budget, mais ébranle l'« appropriation » interne et une reddition de comptes démocratique devant le parlement national. En second lieu, la CE a identifié une série de conditions à remplir avant qu’il ne soit possible de considérer toute aide budgétaire, notamment la démocratie et le respect des droits humains. Pourtant, plusieurs études concernant des accords d'aide budgétaire n'ont détecté aucun type d'évaluation exhaustive pour s'assurer que ces conditions soient remplies15. Enfin, la CE inclut l’aide budgétaire dans ses calculs de respect des obligations légales établies par le Parlement européen qui stipulent que 20 % de l’aide doit être utilisée pour la santé et l’enseignement de base, alors que même le CAD de l’OCDE, chargé du système de classification de l’aide au développement, considère que l’aide budgétaire devrait être classée indépendamment des allocations aux secteurs de la santé et de l’enseignement.

Les APE

La mise en place des Accords de partenariat économique (APE), qui créent un régime de libre échange entre l'UE et les pays ACP, est l'un des éléments les plus polémiques de l'Accord de Cotonou. L'intention des APE est de supplanter les accords de commerce préférentiel de la Convention de Lomé, qui sont considérés incompatibles avec les règles de l’OMC sur les obstacles commerciaux. Au départ, il était prévu de mettre en place les APE début 2008, mais à la mi-2009 ils continuent de faire l’objet de débats acharnés16.

La CE a toujours présenté les APE comme étant des accords pour le développement, mais leurs termes contredisent de telles affirmations. En premier lieu, il est probable qu’ils entraînent une perte importante des droits de douane pour un grand nombre de pays ACP, pour lesquels l’UE est souvent le principal partenaire commercial. En second lieu, les pays ACP ne disposent pas de l’infrastructure nécessaire pour pouvoir devenir compétitifs dans une économie de marché libre. Il est prévu, en tant qu’ajout aux mesures financières originelles octroyées par la CE, d’offrir une aide d’adaptation à l’APE, une « aide contre commerce », mais des analyses indiquent qu’une grande partie de cette aide ne sera pas additionnelle. En troisième lieu, avec l’inclusion de domaines commerciaux pour lesquels il n’y a aucun accord, comme les services et les acquisitions, une bonne partie de l’économie des pays ACP laisse la porte ouverte aux entreprises européennes.

Malgré ces préoccupations, la CE affirme qu’avec la crise actuelle, les APE contribueront à encourager la croissance économique et le développement dans les pays partenaires. João Aguiar Machado, l’un des principaux négociateurs de la CE pour les APE, explique que les accords viendront en aide au développement en créant un environnement commercial propice qui à son tour encouragera les investissements et permettra la création d’emplois. Dans le but d’apaiser la méfiance des gouvernements des ACP, la Commissaire au commerce Catherine Ashton a reconnu la nécessité d’accorder plus de flexibilité aux négociations et a promis que la négociation d’un APE complet reflètera et respectera les particularités régionales des différentes parties de l’accord. Cependant, lors de son discours devant l’Assemblée parlementaire conjointe de Prague en avril 2009, elle a exprimé son désir d’atteindre rapidement un accord acceptable pour toutes les parties et que tous les APE intérimaires soient signés avant la fin du mandat de l’actuelle Commission en octobre 2009. Les négociations des APE ont stagné pendant longtemps, mais il semblerait que l'urgence devant les effets de la crise financière et économique serve d'excuse pour accélérer le processus et augmenter la pression sur les gouvernements ACP pour qu'ils abandonnent leur résistance.

 

 

1 Comission d'experts sur les réformes du système monétaire et financier international (2009). Recommandations, 19 mars. Disponible sur : <www.un.org/ga/president/63/letters/recommendationExperts200309.pdf>.

2 La CEE a été créée en 1957 dans le but d’intégrer au niveau économique (notamment dans un marché unique) l’Allemagne, la Belgique, la France, l’Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas. Elle s'est par la suite élargie avec six nouveaux pays, et à partir de 1967, ses institutions ont également commencé à gouverner la Communauté européenne du Charbon et de l’Acier (CECA) et la Communauté européenne de l’Energie atomique (CEEA ou Euratom) sous le nom de Communautés européennes. Lors de la création de l’Union européenne (UE) en 1993, la CEE est devenue la Communauté européenne, l'un des trois piliers de l'UE ; les institutions de la CEE sont passées sous l'égide de l'UE.

3 Commission européenne. Economic forecasts Spring 2009. Disponible sur : <ec.europa.eu/economy_finance/publications/publication15048_en.pdf>.

4 Comission européenne (2009). State Aid Scoreboard – Spring 2009 update. Disponible sur : <ec.europa.eu/competition/state_aid/studies_reports/2009_spring_en.pdf>.

5 Anon. “Exit le sommet sur l’emploi”. Le Soir. 21-22 mars 2009, p. 17.

6 Commission européenne (2009). State aid : latest Scoreboard reviews Member States’ action to fight economic crisis. Disponible sur : <europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=IP/09/554&format=HTML&aged=0&language=EN&guiLanguage=en>.

7 Parlement européen (2009). European Parliament Eurobarometer hears calls for coordinated EU action in fight against financial crisis. Disponible sur : <www.europarl.europa.eu/news/expert/infopress_page/042-54004-110-04-17-907-20090420IPR54003-20-04-2009-2009-false/default_en.htm>.

8 Smyth, J. (2009). “Crisis likely to favour Lisbon Yes – Barroso”. The Irish Times,8 mai 2009. Disponible sur : <www.irishtimes.com/newspaper/world/2009/0508/1224246132086.html>.

9 Comission européenne (2009). Commission first to act on G20 with strategy to support developing countries. Disponible sur : <europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=IP/09/550&format=HTML>.

10 World Bank News, 12 février 2009.

11 Eurodad (2009). Not much on offer for poor countries to counter the crisis. Disponible sur : <www.eurodad.org/whatsnew/articles.aspx?id=3599&LangType=1036>.

12 Conseil de l’Union européenne. Communiqué de presse, 18-19 mai 2009. Disponible sur : <www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/en/gena/107921.pdf>.

13 Ibid.

14 Même si les pays en transition comme la Lettonie et la Roumanie se trouvent eux aussi dans l’obligation de solliciter des prêts au FMI, ils sont dans une meilleure position pour le faire étant donné que la CE a rassemblé un fonds de 50 milliards d’EUR pour aider les pays européens hors zone euro à respecter leurs obligations envers la balance des paiements.

15 Alliance 2015. “The EU‘s contribution to the Millennium Development Goals Poverty Eradication: From Rhetoric to Results?” Ed. EEPA, Bruxelles, septembre 2008.

16 En juin 2009, seuls les pays du CARIFORM (15 pays des Caraïbes) avaient signé un APE complet, et seuls le Botswana, le Cameroun,

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