RAPPORTS THÉMATIQUES

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2009
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Yes
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Assemblée populaire sur la crise

Publication_year: 
2009
RAPPORT ANNUEL : 
Yes

Le 20 juin 2009, à l’église de la Sainte Trinité à New York, sous l’initiative de l’Audience populaire sur la Crise, des activistes de plus de trente organisations appartenant à la société civile, aux syndicats et aux groupes de base au niveau local, national et international se sont réunis dans le but d’analyser les conséquences sociales et environnementales de la crise financière et économique sur la population, hommes et femmes, travailleurs ou chômeurs, dans le monde entier. Lors de la rencontre, des activistes en faveur des droits sociaux et économiques, de l’égalité entre les sexes, du travail et de l’environnement ont présenté des témoignages montrant la manière dont la crise a frappé les communautés locales, depuis le Soudan jusqu'au Salvador et le sud du Bronx.

Ce forum a aussi été l’occasion pour que les leaders de la société civile partagent leurs idées et leurs expériences sur la manière de construire un mouvement mondial, aux racines locales, pouvant influencer la création d’un nouveau système économique basé sur les droits de l’homme et sur l’environnement durable.

L’Audience populaire sur la Crise s’est tenue dans le contexte de la Conférence des Nations Unies sur la crise économique et financière mondiale et son incidence sur le développement, lors du premier forum véritablement multilatéral ayant été convoqué pour traiter des impacts sociaux découlant de la crise financière actuelle. Le principal orateur de l’Audience Populaire, le père Miguel D’Escoto Brockmann, président de la 63ème session de l’Assemblée Générale de l’ONU, a remercié la société civile de son soutien aux solutions à la crise nées au sein de l’ONU, et il a invoqué pour tous les participants « un nouvel esprit de sagesse et de solidarité humaine » pour aider les gens qui sont atteints par les effets de la crise de manière disproportionnée. La rencontre a fini par un appel du Coordinateur de Social Watch, M. Roberto Bissio, en faveur d’une réforme à l’architecture de la crise financière actuelle qui pourrait aider à éloigner les gens de la pauvreté, au lieu de renforcer les inégalités économiques et sociales existantes au niveau national et international.

Ci-dessous, vous pourrez lire les interventions clé des participants à cette rencontre ainsi que quelques témoignages relevant de l’impact de la crise sur les citoyens ordinaires ayant été identifié par le réseau de Social Watch dans les pays du Sud.

• Organisations membres de l’Audience populaire sur la Crise : Social Watch, Eurostep, LDC Watch, Institute for Policy Studies, Global Policy Forum, Center of Concern, Red-DESC, Institute for Agriculture and Trade Policy, Global-Local Links Project, Jubilee USA Network, Jubilee South, GCAP Feminist Task Force, Alliance for Responsible Trade, Women's Environment and Development Organization, Consejo Internacional de Educación de Personas Adultas, Servicio de Enlace de Naciones Unidas con Organizaciones No Gubernamentales, Global Action on Aging, Latindadd, US Human Rights Network, CONGO Social Development Committee, Sub-Committee on the Eradication of Poverty, Hemispheric Social Alliance, Women’s Working Group on Financing for Development, Medical Mission Sisters International, World Federation of United Nations Associations, International Youth and Student Movement for the United Nations, Enlazando Alternativas, Transnational Institute, Our World Is Not For Sale Network.

Vidéos de l’Audience populaire sur la Crise disponibles sur le canal de Social Watch à YouTube: <www.youtube.com/SocWatch>.

 

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Défis énergétiques pour l’Europe

Publication_year: 
2009
RAPPORT ANNUEL : 
Yes

Elena Triffonova
Bulgarien-European Partnership Association

La croissance économique requiert un approvisionnement en énergie continu et croissant.  Le pétrole et le gaz sont des biens qui impulsent le marché mondial et définissent l’agenda géopolitique. Le secteur de l’énergie régente tous les autres : industriel, agricole, commercial et gouvernemental. S’il est vrai que l’Europe occidentale reconnaît sa vulnérabilité énergétique du fait de sa dépendance de la Russie, son principal fournisseur d’énergie, l’Europe de l’Est est encore plus vulnérable. Il faut prendre des mesures visant l’intégration du marché énergétique européen et l’amélioration de la sécurité énergétique, ce qui comprend l’efficacité, les sources d’énergie renouvelables et une administration qui agisse en fonction de la demande.

L’Union européenne est une énorme consommatrice d’énergie. En 2006 les 25 Etats membres1 ont consommé 1,72 milliards de tonnes-équivalent pétrole (Mtep). Pratiquement deux tiers provenaient des hydrocarbures : 706,3 millions de tonnes de pétrole (14,9 millions de barils par jour) et 420,6 Mtep (476, 4 milliards de mètres cubes) de gaz naturel. Le reste, soit 34,6 %, provenait du charbon, du nucléaire et des énergies renouvelables2. Certains pronostics prévoient que vers 2030 la consommation d’énergie de l’UE aura augmenté de 15 %3.

Cependant, l’UE n’a pas de marché d’énergie intégré. La fragmentation de ce secteur  remonte aux années 1970, quand les Etats membres affrontèrent indépendamment la crise du pétrole. Certains d’entre eux, comme l’Allemagne, ont accumulé des réserves stratégiques de gaz et ont investi dans le développement d’infrastructures ; d’autres, comme le Royaume-Uni, ont commencé à explorer leurs propres réserves.

La Russie est le plus grand producteur de gaz du monde, et elle fournit actuellement environ 30 % du total des besoins en gaz de l’UE4.  On peut diviser les pays européens en trois groupes selon leur degré de dépendance des importations de gaz russe5

  1. Les pays très peu dépendants – environ 15 % : la Belgique, l’Irlande, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Portugal, l’Espagne, la Suède, la Suisse et le Royaume-Uni.
  2. Les pays modérément dépendants – 20-40 % : la France, l’Italie et l’Allemagne.
  3. Les pays très dépendants – plus de 50 % : l’Autriche, la République Tchèque, la Grèce, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie et la Slovénie. Certains pays – la Bulgarie, la Croatie, la Finlande, la Lettonie, la Lituanie, la Serbie et la Slovaquie – dépendent de la Russie pour toutes leurs importations en gaz.

Par conséquent, la bataille du gaz entre la Russie et l’Ukraine début janvier 2009 a affecté directement 17 pays européens en tout. Dans une déclaration faite au milieu de l’année 2009, le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, a attiré l’attention sur la vulnérabilité toute particulière de plusieurs pays, entre autres, la Bulgarie et Slovaquie.

En Bulgarie, l’Etat est le seul acheteur d’énergie. Pendant la dernière décennie il a signé plusieurs contrats exclusifs avec le consortium russe Gazprom et le pays a par conséquent accru sa dépendance (90 %) à l’égard du gaz russe. D’autre part, depuis 1956, le Gouvernement bulgare a privilégié l’utilisation de l’énergie nucléaire. L’IRT-2000 a été fabriqué au départ en tant que réacteur de recherche, puis en 1966, un accord a été signé avec l’Union Soviétique pour installer des unités commerciales qui fourniraient la base du programme énergétique du pays. Se pliant aux exigences imposées pour son entrée dans l’UE, la Bulgarie a stoppé deux réacteurs nucléaires. Les deux autres produisent environ 35 % de l’électricité du pays6. La consommation d’électricité s’est accrue depuis 1980 et la Bulgarie est également un important exportateur d’énergie. En 2006, la Compagnie Nationale d’Electricité (NEK) a produit 46 milliards de kilowattheures et en a exporté 7,8 en Grèce, en Macédoine, en Serbie et en Turquie7

Dans le cas de la Slovaquie, même si son marché de production et de distribution d’énergie électrique est faible comparé à d’autres pays d’Europe centrale, les projections indiquent que son réseau électrique devra être agrandi pour satisfaire à la demande croissante. La production d’électricité dépend principalement des ressources hydroélectriques et nucléaires, bien que cette situation soit compensée d’une certaine façon par les centrales électriques thermiques (charbon, gaz naturel et pétrole). Le marché du gaz slovaque se caractérise par un haut niveau de dépendance à l’égard de l’approvisionnement russe et par la domination d’une entreprise essentiellement étatique et intégrée verticalement.

La Slovaquie joue un rôle significatif dans le réseau de gaz européen car elle est un important pays de transit pour le transport du gaz naturel vers les pays d’Europe centrale et de l’Ouest. En général, un des défis concernant les relations entre la Russie et l’UE en matière d’énergie, est le transport de gaz par des pays tiers. Bien que l’Europe attribue sa « vulnérabilité » à la Russie, une partie du problème – comme cela a été le cas avec la Biélorussie début 2007 et l’Ukraine début 2006 et 2009 – réside dans les pays de transit.

La crise énergétique de janvier 2009 met en évidence la carence d’une politique d’énergie intégrée de l’UE, même si la Commission européenne a admis la nécessité d’une telle politique et si différentes propositions ont été lancées. Cette carence se reflète dans le fait que l’énergie provenant de la Russie n’est pas écoulée dans la même proportion dans toute la région. De plus, le problème de la dépendance mutuelle est particulièrement complexe. Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi la Commission européenne a été incapable de concerter une vision commune, ni pourquoi certains pays, parmi lesquels la France, l’Allemagne et l’Italie, ont essayé de développer leurs propres relations de dépendance énergétiques. Les gouvernements nationaux doivent décider de l’équilibre entre dépendance et diversification et  des alternatives pour l’avenir.

Pendant la dernière décennie, la pression en faveur de l’industrie de l’énergie renouvelable a gagné du terrain dans l’UE. Une des propositions contenues dans la Politique énergétique pour l’Europe 2007 a été d’incorporer un minimum de 10 % de biocarburants sur la totalité de combustibles transportés vers 2020, qui devra s’accompagner de l’introduction d’un plan de durabilité pour les biocarburants. La régulation existante fixe l’objectif à 5,75 % pour 20108. Il y est proposé également un objectif obligatoire de 20 % pour la participation totale de l’énergie renouvelable vers 2020, effort qui sera partagé de façon appropriée entre les Etats membres.

Les objectifs principaux à atteindre dans la mise en oeuvre d’une stratégie européenne commune pour promouvoir les biocarburants sont : 1) accroître la sécurité énergétique, car les prix toujours en hausse du pétrole influent rapidement sur le coût de l’énergie et réduisent le pouvoir d’achat des européens et 2) réduire les émissions de gaz à effet de serre, facteur principal du changement climatique. L’augmentation de la température et les changements qui s’opèrent sur les saisons de pluie pourraient affecter les ressources aquifères ainsi que la production agricole.

L’avenir des ressources énergétiques alternatives met sur le tapis la question de la nutrition et de l’avenir de la Politique agricole commune de l’UE. La diversification de l’approvisionnement en énergie et l’investissement en sources d’énergie alternatives sont plus faciles à obtenir pour les Etats membres les plus anciens. Entre les exigences visant à réduire les centrales électriques au charbon pour des raisons environnementales et la résistance vis-à-vis du développement de l’énergie nucléaire, bien faible est le potentiel d’énergie renouvelable pour les membres nouvellement entrés à l’UE.  

Pour affronter des possibles désaccords politiques entre la Russie et l’Europe concernant le gaz, ainsi que les risques spécifiques à la sécurité de l’approvisionnement en gaz des pays de l’Europe centrale et de l’Europe occidentale, l’UE devrait privilégier l’intégration du marché du gaz dans sa politique stratégique de l’énergie9. Des mesures devront aussi être prises pour améliorer le développement de la sécurité énergétique, ce qui inclut de l’efficacité, des ressources renouvelables et une administration adaptée à la demande.

 

1 L’intégration de la Bulgarie et de la Roumanie en 2007 a élevé le chiffre à 27 membres.

2 Les données fournies sont de BP, “BP Statistical Review of World Energy”, juin 2007, pp. 11-12, 27-28, et 41. Disponible sur: <www.bp.com/productlanding.do? categoryId=6848&contentId=7033471> (consulté le 20 août 2007).

3 Commission européenne, Direction Générale de l’Energie et des Transports, European Energy and Transport: Trends to 2030 – Update 2005, 2006. Disponible sur : <ec.europa.eu/dgs/energy_transport/figures/trends_2030_update_2005/energy_transport_trends_2030_update_2005_en.pdf>.

4 Les relations en matière de gaz remontent à 1968, quand l’Union Soviétique a fourni du gaz à l’Autriche pour la première fois.

5 La classification offerte ici est extraite de Sánchez Andrés, A. (2007). “Russia and Europe: Mutual Dependence in the Energy Sector”. Disponible sur : <www.realinstitutoelcano.org/wps/portal/rielcano_eng/Content?WCM_GLOBAL_CONTEXT=/Elcano_in/Zonas_in/International+Economy/DT+25-2007>.

6 Données de la Compagnie Nationale d’Électricité (NEK). Voir :  <www.nek.bg/cgi?d=1000>.

7 World Nuclear Association. “Nuclear Power in Bulgarie”, 2009. Disponible sur : <www.world-nuclear.org/info/inf87.html>.

8Directive 2003/30/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 mai 2003 visant à promouvoir l'utilisation de biocarburants ou autres carburants renouvelables dans les transports. Journal officiel de l’Union européenne, 17 mai 2003, Nº. 15. Disponible sur : <www.miliarium.com/Legislacion/Energia/Europa/D03_30.asp>.

9 Noël, P. “Beyond Dependence: How to Deal with Russian Gaz.” Policy Briefs, European Council on Foreign Relations (ECFR), novembre 2008. Disponible sur : <ecfr.3cdn.net/c2ab0bed62962b5479_ggm6banc4.pdf>.

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Justice pour refroidir la planète

Publication_year: 
2009
RAPPORT ANNUEL : 
Yes
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La récession mondiale actuelle risque d’être une bénédiction pour la planète, puisque le fléchissement de la croissance économique amoindrit la pression sur l'environnement et il s’avère essentiel de réduire les émissions de gaz. En effet, cette crise constitue une chance unique pour faire prévaloir la justice sociale et environnementale. Seule une situation plus juste favorisera la durabilité et, pour y parvenir, il est nécessaire de mettre en œuvre un plan d'aide financière capable d’éradiquer la pauvreté mondiale, de restaurer l'environnement et de stabiliser le climat. Néanmoins, cela ne sera possible qu’à condition que les riches changent leurs modalités de consommation et de production et qu’ils apprennent à vivre dans des limites garantissant la durabilité. De même, les pays en voie de développement il faut éviter de suivre les pas des pays industrialisés et entamer, dès aujourd’hui, le chemin de la production et de la consommation écologiques.

Isagani R. Serrano
PRRM/Social Watch Filipinas

La récession mondiale actuelle risque d’être une bénédiction pour la planète, puisque le fléchissement de la croissance économique amoindrit la pression sur l'environnement et il s’avère essentiel de réduire les émissions de gaz. En effet, cette crise constitue une chance unique pour faire prévaloir la justice sociale et environnementale. Seule une situation plus juste favorisera la durabilité et, pour y parvenir, il est nécessaire de mettre en œuvre un plan d'aide financière capable d’éradiquer la pauvreté mondiale, de restaurer l'environnement et de stabiliser le climat. Néanmoins, cela ne sera possible qu’à condition que les riches changent leurs modalités de consommation et de production et qu’ils apprennent à vivre dans des limites garantissant la durabilité. De même, les pays en voie de développement il faut éviter de suivre les pas des pays industrialisés et entamer, dès aujourd’hui, le chemin de la production et de la consommation écologiques.

Les empreintes laissées par l'humanité sur le changement climatique actuel sont évidentes. La Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CMNUCC)1 et le Protocole de Kyoto2, montrent la façon de défaire ce qui a déjà été fait afin d’éviter la catastrophe. Pourtant, bien qu'il soit nécessaire de prendre des mesures, la confrontation entre les pays industrialisés et ceux en voie de développement semble être un conflit sans solution apparente. Dans le même temps, même les meilleurs scientifiques paraissent sous-estimer la vitesse réelle des changements climatiques. Par exemple, le Quatrième rapport d'évaluation du Groupe Intergouvernemental d'Experts sur les Changements Climatiques (IPCC) avait prévu que des glaces éternelles persisteraient dans l'océan Arctique jusqu'en 20503, Or, par la suite il a été démontré que l’on avait considérablement sous-estimé le degré de réduction des glaces marines et il est prévu que l'océan perde sa glace marine estivale bien avant4.

Il devient donc urgent de passer à l’action avant que les changements climatiques ne soient irréversibles. Mais aucune des deux parties ne veut céder du terrain. D’une part, les pays riches se sentent trop contraints à atteindre des objectifs difficiles et exigeants avant que les pays pauvres ne démarrent leurs propres actions. D’autre part, les pays pauvres ne veulent pas céder parce qu'ils considèrent qu'on exige d’eux les mêmes objectifs que les pays riches sans avoir la possibilité de les rattraper.

Assistons-nous à la fin de la partie ?

Dans les années 1880, dès que nous avons commencé à utiliser des combustibles fossiles et que nous avons installé la société industrielle actuelle, la concentration de dioxyde de carbone (CO2) dans l'atmosphère était équivalente à 280 parties par millions (ppm). Pendant les années 1950 elle avait atteint 315 ppm. Lorsqu’à la fin des années 80, le scientifique de la NASA James Hansen a donné l’alerte pour la première fois à propos des changements climatiques, il a fixé à 350 ppm le niveau maximal « si l'humanité désire préserver une planète qui ressemble à celle où se sont développées les civilisations et à celle à laquelle est adaptée la vie sur la Terre » 5.

“ En Colombie, il existe près de 84 tribus indigènes bien différenciées qui vivent dans les régions frontalières de la Colombie, du Pérou et du Brésil, précisément là où se trouvent les réserves de ressources naturelles les plus convoitées. Nous luttons pour défendre notre territoire et préserver notre culture. En raison de cette lutte, plus de 1.400 de nos leaders ont été assassinés depuis les années 70. Actuellement, de nombreuses régions indigènes sont militarisées et celles qui ne le sont pas ont des forces paramilitaires sur place. Le Gouvernement essaie de déplacer nos communautés pour pouvoir négocier avec des compagnies transnationales l’exploitation dans ces zones des ressources naturelles, telles que le bois ou le pétrole. Les peuples indigènes de Colombie s’opposent aux accords de libre échange parce que ces traités provoquent un déplacement plus important de nos communautés et, au lieu d’ouvrir les marchés, ils augmentent juste la frange de pouvoir des États-Unis »

Jesús Avirama (Conseil Régional Indigène du Cauca, Colombie)

Or, nous avons déjà dépassé cette limite. Nous sommes maintenant à 380 ppm et le niveau de CO2 dans l'air augmente de deux ppm par an. En fait, il n’existe pas encore de consensus sur le seuil de sécurité. Il y en a qui affirment qu'il se situe à 450 ppm. D'autres pensent qu'il devrait être bien plus bas.  Lors de la Conférence des Parties tenue à Poznan en décembre 2008, l’ancien vice-président des Etats-Unis, Al Gore, a vainement tenté de parvenir à un consensus autour de 350 ppm. Rajendra Pachauri, président de CMNUCC/IPCC, a dit que, si l’on n'adoptait pas de réformes de base d’ici 2012, on pourrait assister à la désintégration du système climatique. En outre, il a insisté sur le fait que les émissions mondiales de CO2  doivent commencer à se réduire vers 20506.

L'IPCC évite toutefois les prescriptions et il se contente de présenter aux autorités une série de scénarios possibles. Depuis 1990, il a élaboré 40 scénarios basés sur quatre canevas fondamentaux. Ces scénarios sont catégorisés selon deux contextes futurs ; tout d’abord un contexte avec prééminence du développement économique (appelé A) ou environnemental (B) ; puis, établir si ce développement sera orienté vers le plan mondial (numéro 1) ou régional (numéro 2). C’est ainsi que A1 signifie économique/mondial, A2 économique/régional, B1 environnemental/mondial et B2 environnemental/régional. Le scénario A1 comporte, à son tour, trois subdivisions : l'utilisation intensive de combustibles fossiles (A1F1), intermédiaire entre l'utilisation de fossiles et non fossiles (A1B) ; et la transition vers les combustibles non fossiles (A1T). Le scénario sans changement (ESC) – ne pas prendre de mesures pour réduire l'émission de gaz à effet de serre (GES) – est, évidemment, inadmissible.

Dans le même temps, il y a de plus en plus d’indices indiquant que le pire des scénarios possibles pourrait se produire plus tôt qu’on ne se l’imaginait. Les phénomènes extrêmes tels que les orages, les inondations et la sécheresse ont des conséquences dévastatrices sur les ressources hydriques, la sécurité alimentaire, l'agriculture, les écosystèmes, la biodiversité et la santé humaine. En août 2003, l’Europe a connu une vague de chaleur qui a provoqué la mort de presque 15.000 personnes en France et 35.000 autres dans neuf autres pays européens. Des incendies forestiers se sont récemment produits en Californie, aux Etats-Unis et en Australie, avec des inondations sans précédent dans d'autres régions. Ces phénomènes ont été prévus par toutes les études d'évaluation de l'IPCC. Cependant, de nos jours, ils sont monnaie courante partout et surviennent lorsqu’on s’y attend le moins. Les sécheresses prolongées dans des pays producteurs d'aliments pourraient provoquer une diminution dans la production d'aliments de 20 % à 40 % en 2009. Des maladies que l’on croyait contrôlées, comme la tuberculose, la malaria et la fièvre dengue réapparaissent dans de nombreuses régions. La déforestation, représentant 17 % environ des émissions de GES, s’est vue récemment aggravée à cause de la demande croissante de biocarburants. Entre 2000 et 2005, environ six millions d'hectares de forêts vierges ont été perdues par an et, dans la même période, la biodiversité n’a pas cessé de décliner.

Justice climatique

Un monde plus équitable a de meilleures possibilités de survie et d’adaptation aux changements climatiques. Le monde serait plus résistant si l’on fixait des limites à la croissance (même si les limites redoutées ont déjà été dépassées) et si l'on établissait l'équité entre et au sein des pays et des communautés, entre les hommes et les femmes, entre les générations actuelles et futures.

Le principe de justice climatique découle directement de la CMNUCC, dont l'article 3.1 établit que les pays doivent agir « sur la base de l'équité et conformément à leurs responsabilités
communes mais différenciées et à leurs capacités respectives ». Deux principes supplémentaires viennent compléter la Déclaration de Rio de Janeiro sur l'Environnement et le Développement et l'Agenda 21, convenus lors du Sommet de la Terre en 1992 : le principe de précaution et le principe directeur selon lequel le pollueur doit payer. Le premier indique que si l’on n’a pas de certitude quant aux bénéfices et aux conséquences des mesures, celles-ci ne doivent pas être prises. Le deuxième est évident. La justice climatique est aussi mentionnée, explicitement ou implicitement, dans de nombreuses déclarations et accords de l'ONU.

Les changements climatiques n’épargnent ni les riches, ni les pauvres, mais ils ont des conséquences néfastes principalement sur les populations pauvres, bien que, dans ce cas, leur responsabilité soit moindre. Les pays en voie de développement, également connus comme ceux non compris dans l'Annexe I, ont produit bien moins d’émissions de GES que les pays développés ou appartenant à l'Annexe I, mais ils en souffriront davantage. Les pays moins développés (PMD), qui ont moins contribué à la pollution, seront ceux qui en souffriront davantage. De nombreux petits pays insulaires en voie de développement pourraient tout simplement disparaître de la planète.

Le travail partagé de stabilisation de la concentration de GES dans l'atmosphère, dans le scénario choisi pour la stabilisation des émissions (350 ppm, 450 ppm, 550 ppm, 650 ppm) devra être fondé sur une proportion différenciée de la responsabilité selon les conséquences déjà provoquées et qui continuent à se produire, et sur les différents niveaux de développement. Les pays et la population du monde peuvent être divisés en trois groupes : les gros émetteurs ou grands consommateurs ; les petits émetteurs ou sous-consommateurs ; et les sustentateurs ou ceux qui vivent dans les limites du soutenable. Ce classement correspond respectivement aux (a) pays industriels – les membres de l'Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE) ; (b) aux pays moins développés, comprenant la plupart des pays africains ; et (c) les pays au développement avancé, tels que le Brésil, la Chine, l'Inde et d’autres pays de l'Est et du Sud-est asiatique.

Cependant, il y a dans tous les pays, riches ou pauvres, ceux qui n’entrent pas facilement dans les catégories mentionnées ci-dessus : un Philippin riche, par exemple, a un style de vie semblable (et, par conséquent, le même niveau d'émission de CO2) à celui de son homologue aux Etats-Unis. La classe moyenne en Chine et en Inde représente 600 millions de personnes riches ou qui ne sont pas pauvres et elle regroupe des sustentateurs et de gros consommateurs. Plus de 2.000 millions de personnes mal nourries, avec une éducation formelle insuffisante, au chômage, sans droit à la parole ni accès aux soins médicaux, sans eau ou sans assainissement, vivant dans une situation de précarité feraient partie de la catégorie des petits consommateurs ou émetteurs exclus. Ce sont eux qui doivent jouir en premier du droit au développement et devenir les principaux bénéficiaires des échanges de ressources au niveau national et international.

La solution pour éviter la catastrophe est claire et évidente : les riches des pays riches et des pays pauvres doivent céder davantage pour que les pauvres et nous tous, puissions vivre de manière durable.
 
L’atténuation, la base de la justice

De nombreuses propositions ont été formulées concernant notamment la stabilisation climatique parmi lesquels le principe « de la quote-part juste », les droits au développement écologique, la convergence commune mais différenciée, la contraction et la convergence pour 2050. 

Les pays à fortes émissions doivent s’engager à réduire leurs émissions de GES de manière radicale, profonde et contraignante, par rapport aux niveaux de 1990, et à assister les pays en voie de développement avec de l’argent « flexible » et de la technologie propre. La contraction exigée est énorme quel que soit le scénario de stabilisation d’émissions convenu. Il est prévu une variation entre 25 % et 50 % de réduction ou plus entre 2020 et 2050. La réduction comprend les six gaz inclus au Protocole de Kyoto : CO2, méthane (CH4), oxyde d'azote (N2O), hydrofluorocarbones (HFC), perfluorocarbones (PFC) et hexafluorure de soufre (SF6) – traduits en tonnes de CO2 équivalent (t CO2e) sur les inventaires de GES de chaque pays.

Il est vrai que les pays en voie de développement ont droit au développement mais pas pour autant à polluer l'environnement. Le droit au développement selon le principe de justice climatique concerne non seulement la croissance de l'économie mais, plus important encore, il concerne également la satisfaction des besoins de base menant à un niveau digne de sécurité et de bien-être pour tous. Les auteurs de Greenhouse Development Rights Framework (Cadre des Droits au Développement à Effet de serre) suggèrent un revenu de 9.000 USD annuels par personne comme niveau de convergence de tous les pays7. Ce qui signifie que les pays en voie de développement, tous en dessous de ce seuil, devraient avoir le droit de recevoir des transferts (APD, technologie, etc.) leur permettant ainsi d'augmenter leurs émissions de gaz à effet de serre en vue d’atteindre ce revenu.

« La crise actuelle est globale, par conséquent les politiques élaborées pour en venir à bout doivent être globales mais aussi reliées aux mouvements locaux. Nous pensons qu’il faudrait investir les séries de programmes de relance dans des choses comme une infrastructure écologique et sociale qui permette la création de travail écologique, une reconnaissance des impacts disproportionnés de la crise sur les travailleuses et la reprise de l’économie du soin. Ce genre de politiques vient en détail dans le Pacte mondial pour l’emploi de l’OIT. L’ONU est le seul endroit où les pays qui supportent le plus grand poids de la crise peuvent avoir une voix représentative. Le mouvement ouvrier travaille dans le cadre de l’ONU à diffuser l’Agenda du travail décent et des emplois écologiques. Il ne s’agit pas seulement d’accroître l’aide au développement et d’être un petit peu plus généreux, comme voudraient le prétendre certains pays industrialisés. La transformation sociale s’impose. Les institutions multilatérales doivent être réformées de façon systématique et des mécanismes spécifiques sont nécessaires pour être sûrs d’avoir des solutions durables à la crise économique et financière ».

Gemma Adaba (Confédération Syndicale Internationale)

Quelle est la quantité de carbone équivalente à 9.000 USD en PIB par habitant ? Probablement, environ neuf tonnes de CO2 par personne. Même si les pays riches accédaient à réduire les émissions à ce niveau et que les pays pauvres parvenaient à l'atteindre, et même si nous utilisions tous des combustibles fossiles et de l’énergie renouvelable, la quantité de carbone et d’énergie serait encore très élevée, compte tenu des projections de la population mondiale de 7,6 milliards d’habitants en 2020 et 9,1 milliards en 2050.

Face à ce niveau de revenus, les objectifs fixés par les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) semblent encore insuffisants même s'ils étaient atteints d’ici à 2015 (objectif impossible à atteindre au rythme actuel). Il faut absolument que les pays en voie de développement évitent le chemin de non durabilité choisi par les pays industrialisés. Plut tôt seront mis en place des modèles de production et de consommation utilisant des énergies propres, mieux ce sera pour la planète et pour toute la population mondiale. La mise en place de plans agricoles et de pêche durables, pour la conservation de l'eau et les ressources forestières, pour le développement des énergies renouvelables et la réduction de la pauvreté et de l'inégalité, permettra de s’adapter au changement climatique. Une authentique révolution verte appliquée à la pêche et à l’agriculture ainsi que la non contribution à la déforestation peuvent aider à capturer du carbone et à réduire son empreinte écologique.

Les pays non compris dans l'Annexe I ne sont pas tenus aux engagements d’atténuation, mais ils peuvent y contribuer en adoptant, par exemple, un impôt progressif sur le carbone appliqué aux consommateurs riches et s'engageant le plus tôt possible sur des voies de développement utilisant des énergies alternatives et à faible taux de carbone. Tous les pays doivent viser à ne pas dépasser leur capacité démographique8. Il est impératif que la stabilisation de la population à des niveaux soutenables devienne un véritable objectif dans des pays comme les Philippines, dont la population dépassera les 100 millions d’ici 2020 et qui atteindra, selon les prospectives, presque 150 millions en 2050.

Les pays gros émetteurs insistent sur le fait de favoriser les pays en voie de développement plus avancés, où le niveau d’émissions augmente rapidement. Lors de la 13ème Conférence des Parties en 2007 tenue à Bali, en Indonésie, on a suggéré que les objectifs contraignants de réduction des émissions devraient être également appliqués en Chine et en Inde. Il s’agit d’une question délicate et problématique qui en dit long sur les complexités de la « négociation » de la justice. Il est vrai que les émissions de la Chine augmentent rapidement du fait de son importante croissance économique et de sa dépendance au charbon sale. Mais la concentration actuelle de carbone dans l'atmosphère est la conséquence d'une accumulation constante au fil de nombreuses générations et la Chine comme l'Inde y ont relativement peu contribué (même si leur empreinte de carbone apparaîtra plus tard, étant donné l’importance de leur croissance actuelle).

En outre, le niveau d'émissions de la Chine est encore, en moyenne et proportionnellement à sa population, très inférieure à celui des Etats-Unis. La Chine utilise les matières premières dans le monde, mais elle accepte aussi de nombreux résidus que d'autres pays ne veulent pas introduire sur leurs territoires. Elle recycle les déchets mondiaux et applique l'agriculture durable et la plantation massive d'arbres. En fait, il est probable que la Chine possède la plus grande capacité démographique de la planète, puisqu'elle veille sur un membre de l’humanité sur six dans un espace comparativement restreint. Cependant, on pourrait se demander qui est-ce qui paie pour que la Chine puisse produire à des prix aussi bas. Une autre question à considérer est pourquoi Beijing ne peut pas adopter un système de production propre et commencer à produire davantage de biens durables. Si la Chine peut contribuer à sauver l'économie mondiale avec ses fonds excédentaires, pourquoi ne les utilise-t-elle pas à recycler ses déchets et n’adopte-t-elle pas une voie de développement à faible taux de carbone ?

Les émissions de carbone des Etats-Unis, 25 % du total mondial, sont encore très élevées. Le niveau d'émission de CO2 par habitant a connu une réduction faible ou nulle depuis 1990. Le Rapport mondial sur le développement humain 2006 : Equité et Développement a été quantifié à 19,8 tonnes par personne cette même année 9. L’Europe, le Japon et d'autres pays industrialisés ont réussi à réduire leurs niveaux, mais ils n'ont pas encore atteint le minimum fixé par le Protocole de Kyoto. En général, les émissions annuelles mondiales de CO2 n'ont pas diminué depuis 1990. Certains y voient un signe de prospérité, indiquant que les économies continuent leur croissance. Pour d'autres elle est néfaste, car nous nous approchons du point de non-retour. Les efforts de contraction et de convergence doivent empêcher que la moyenne des températures mondiales augmente de plus de 2 degrés Celsius d’ici 2050 : le seuil à respecter sous peine de mourir. Il est évident qu’il ne reste pas beaucoup de temps.

S'adapter ou mourir

Les pays pauvres ne peuvent pas se permettre d’attendre que l'on adopte des mesures radicales d’atténuation. Ils peuvent périr avant que justice ne soit faite. Avec ou sans assistance, ils doivent trouver la façon de s'adapter aux changements climatiques avant qu'il ne soit trop tard.

10

L'adaptation, définie dans le Troisième rapport d'évaluation de l'IPCC, et déjà comprise dans le mandat original de l'organisme en 1988, fait référence aux ajustements dans les systèmes écologique, social ou économique en réponse à des stimuli climatiques actuels ou prévus ainsi qu’à leurs effets ou à leurs conséquences11. Elle fait référence aux changements à réaliser au niveau des processus, des pratiques ou des structures en vue de modérer ou de compenser les dommages éventuels, ou bien pour profiter des opportunités liées aux changements climatiques. Ceci implique des ajustements afin de réduire la vulnérabilité des communautés et des régions due aux changements climatiques et à la variabilité.

L'User' s Guidebook on the Adaptation Policy Framework (APF) (Guide de l’Utilisateur dans le Cadre des Politiques d'Adaptation) du Fonds pour l'Environnement Mondial du PNUD définit l'adaptation comme « un processus d’amélioration, de développement et de mise en place des stratégies efficaces pour ralentir et combattre les conséquences des changements climatiques – y compris la variabilité du climat »12.  L'APF inclut sept composants : la définition de la portée du projet, l’évaluation de la vulnérabilité actuelle, la caractérisation des risques pour l’avenir,le développement de la stratégie d'adaptation, la poursuite du processus d'adaptation, l’engagement des parties prenantes et l’amélioration de la capacité d’adaptation. Les décisions sur l’utilisation de ce cadre dépendront de l’étude préalable du pays, de ses besoins, de ses objectifs et de ses ressources.

Conformément à l'IPCC, les conditions nécessaires pour qu'un pays possède une capacité d'adaptation importante sont : une économie stable et prospère, un degré élevé d'accès à la technologie à tous les niveaux, des rôles et des responsabilités bien définis pour la mise en œuvre des stratégies d’adaptation, des systèmes mis en place pour la diffusion nationale, régionale et locale des informations sur les changements climatiques et l'adaptation et la distribution équitable de l'accès aux ressources. Dans une grande mesure, les pays ne figurant pas dans l'Annexe I sont exclus.

La préoccupation croissante concernant l'adaptation a été abordée par les décisions de la Conférence des Parties (COP). Les accords de Marrakech issus de la COP-7 ont tracé les instruments et les mécanismes de soutien à l'adaptation, y compris la création de trois fonds : (a) Fonds Spécial pour les Changements Climatiques sous le CMNUCC pour soutenir « la mise en œuvre d'activités d'adaptation là où l’information sera suffisante », (b) Fonds pour les PMA consacré à la préparation et à la mise en œuvre de programmes d'action nationaux aux fins de l'adaptation (PANA) qui « communiquera les activités prioritaires pour répondre aux besoins urgents et immédiats et aux préoccupations des PMA en matière d'adaptation aux effets néfastes des changements climatiques » et (c) Fonds d'Adaptation créé par le Protocole de Kyoto et les recommandations du Fonds pour l’Environnement Mondial (GEF) concernant ses activités.

« Au Salvador, ça fait des années que nous sommes confrontés aux impacts du changement climatique : inondations, sécheresses, ouragans, rivières principales à sec et abattement moral des communautés. Chaque année les coûts matériels sont élevés, la perte de vies humaines et l’émigration de nos gens aussi, surtout chez les jeunes. Nous devons oeuvrer pour une ère nouvelle où la jauge du développement sera le bien-être de l’humanité et la Terre mère, et pas seulement les richesses matérielles ».

Marta Benavides (Groupe de Travail Feminista GCAP, Le Salvador)

L'agriculture et la pêche durable, le reboisement et la gestion durable des bassins hydrographiques et la gestion écologique des ressources constituent des voies d'adaptation pouvant aider à refroidir la planète. La sécurité alimentaire exige un changement radical au niveau de l'agriculture, une position soutenue depuis longtemps par les mouvements de producteurs agricoles dans le monde entier. Ce qui a été fortement favorisé par l'Evaluation Internationale des Connaissances Agricoles, de la Science et de la Technologie pour le Développement (EICASTD) lors de la conférence tenue en avril 2008 à Johannesburg, en Afrique du Sud. L’EICASTD a admis les insuffisances de la technologie de la Révolution Verte et a reconnu le rôle essentiel des connaissances autochtones et de l'agriculture durable pour atteindre la sécurité alimentaire. Un rapport a été présenté indiquant que l'agriculture moderne devra changer radicalement face au modèle d’entreprise dominant si le monde veut éviter la décomposition sociale et l'effondrement environnemental13.

Le rapport – avec l'opposition de l'Australie, du Canada et des Etats-Unis – a aussi critiqué la modification génétique (MG) et la conversion des terres agricoles pour les destiner à la production de biocarburants. Le rapport signale que la technologie appelée MG n'était pas le chemin à suivre pour nourrir les pauvres du monde, et que la culture des agro carburants destinés aux transports, dans des terres qui devraient être labourées pour nourrir la population aggravera sans doute la faim au niveau mondial et la situation, déjà fragile, de la sécurité humaine14.

« Alors que les pays industrialisés du Nord sont les principaux responsables (quant au calcul per capita surtout) des émissions à effet de serre qui provoquent le changement climatique ; les pays du Sud, et en particulier les pauvres et les femmes, sont ceux qui accusent plus fortement les effets du changement climatique et ses impacts socio-économiques. On compte parmi ces effets le déplacement des populations qui vivent dans les zones côtières basses ; la perte des moyens de vie ; l’insécurité alimentaire et un moindre accès à l’eau. Du point de vue de la dette écologique, les pays riches et industrialisés ont non seulement la responsabilité de réduire radicalement les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi l’obligation éthique et morale d’offrir un financement compensatoire et réparateur aux pays en développement pour que ceux-ci puissent assurer les coûts des efforts d’adaptation et de mitigation du changement climatique ».

Athena Peralta (Conseil mondial des Églises)

Bien que l'adaptation soit apparue comme une question politique clé dans les négociations sur les changements climatiques, le sujet n'a pas encore été abordé à tous les niveaux de planification du développement de politiques. Le renforcement de la capacité d'adaptation, ou le respect des objectifs des OMD est bien différent de la croissance de l'économie ou du travail pour le développement de la manière habituelle. Il s’agit de faire prévaloir la justice sociale et environnementale, une condition sine qua non pour assurer le chemin vers la durabilité. 

Justice dans les échanges financiers et technologiques

La CMNUCC signale que les pays riches sont tenus de procéder à des virements de fonds aux pays en voie de développement, mais aucun d’eux ne devrait jouer le rôle de mendiant. Si les agriculteurs pauvres adoptaient l'agriculture organique ou si les pêcheurs locaux géraient de manière adéquate leurs ressources côtières, ils le feraient non seulement pour eux-mêmes mais pour l'humanité toute entière. Si un pays pauvre veille à sa biodiversité, il rend également un grand service au monde entier. Ces efforts méritent une rétribution ou une réciprocité à travers, par exemple, un impôt sur le carbone pour les riches, APD sans conditions, un allègement inconditionnel de la dette, des conditions commerciales plus équitables, de la technologie ou d'autres formes de transferts de ressources.

Le financement de la stabilisation climatique exige d'énormes investissements. Oxfam International15 a dit que le coût de l'adaptation des pays en voie de développement atteindra au moins 50 milliards d’USD par an, outre le niveau actuel d'APD, qui inclut déjà un engagement financier pour la réalisation des OMD. Toutefois, lors de la présentation du Quatrième Rapport d'Evaluation à Bali, le président de l'IPCC, M. Pachauri, a dit que « en réalité, le coût de l’atténuation n'est pas aussi élevé », puisque l'on calcule qu'il représente annuellement moins de 1 % du PIB mondial. Les pays riches tirent d’affaire les banques qui ont provoqué l'actuel problème financier mondial. Il est juste que les pays en voie de développement demandent une aide équivalente pour l'éradication de la pauvreté mondiale, la réadaptation de l'environnement et la stabilisation du système climatique.

Bien que les parties de l'Annexe I conviennent que les changements climatiques constituent la menace la plus grave contre le développement durable, leurs actions jusqu'à présent ont été tout simplement décevantes. Les décisions vraiment importantes pour éradiquer la pauvreté et remédier aux inégalités mondiales prennent beaucoup de temps et elles terminent fréquemment en transferts nets insuffisants, voire même en refus, avec de fortes conditions. En outre, les riches doivent aussi commencer à changer radicalement leur conception du monde et leurs modes de production et de consommation. Autrement dit, ils doivent abandonner leur style de vie non durable.
           
Ralentir pour refroidir la planète

Quel scénario pourra refroidir une planète surchauffée et nous épargner la catastrophe : 350 ppm ou 450 ppm ? Quelque soit la réponse, l'action devrait être la même : il faut que nous allions tous plus lentement.  A la rigueur, les scénarios ne sont pas des prévisions ; ils constituent une gamme de possibilités pouvant mener à d’autres avenirs. Puisque l’avenir est par nature imprévisible, il n'existe pas de certitudes sur le résultat de l'action de tant de personnes. Cependant, les scénarios sont utiles parce que l'une des causes de l'imprévisibilité et de l'incertitude est justement l'action humaine (ou sa probabilité) pour changer le cours des événements. L’avenir est façonné par ce que nous croyons qu'il deviendra et par ce que nous faisons pour y parvenir.

Paradoxalement, la récession mondiale actuelle pourrait s’avérer être une bénédiction. Si cette récession est durable et profonde, ce sera peut-être mieux pour tous. Moins de croissance implique moins d'émissions de gaz et moins de pression sur l'environnement. Une production plus propre et la réduction universelle de la consommation par habitant impliquent une diminution de l’empreinte de carbone et – pourquoi pas – un mode de vie plus sain. Il est possible qu'un changement puisse se produire indépendamment des conclusions auxquelles on arrivera lors des négociations climatiques à Copenhague ou de décisions ultérieures.

Avons-nous encore du temps pour nous sauver ? Peut-être oui, peut-être pas. En tout cas, notre génération a suffisamment lutté pour faire prévaloir la justice.

 

 

1 Nations Unies. Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques. 1992. En vigueur depuis 1994. Disponible sur : <unfccc.int/resource/docs/convkp/conveng.pdf>.

2 Nations Unies. « Protocole de Kyoto à la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques. » 1998. Disponible sur : <unfccc.int/resource/docs/convkp/kpeng.pdf>.

3 IPCC. “Climate Change 2007 : Synthesis Report.” Quatrième rapport d'évaluation du Groupe Intergouvernemental d'Experts sur les Changements Climatiques. Genève : Groupe Intergouvernemental d'Experts sur les Changements Climatiques.

4 Lovett, R. “Arctic Ice Melting Much Faster Than Predicted.” National Geographic News, le 1er mai 2007. Disponible sur : <news.nationalgeographic.com/news/2007/05/070501-arctic-ice.html>.

5 Hansen, J. Témoignage devant le Congrès des Etats-Unis, le 23 juin 1988.

6 McKibben, B. “Think Again: Climate Change.” Foreign Policy, janvier/février2009.Disponible sur : <www.foreignpolicy.com/story/cms.php?story_id=4585>.

7 Baer, P., Athanasiou, T., Kartha, S. et Kemp-Benedict, E. The Greenhouse Development Rights Framework :The Right to Development in a Climate Constrained World. 2ème édition. Berlin : Heinrich Böll Foundation, 2008. Disponible sur : <www.ecoequity.org/docs/TheGDRsFramework.pdf>.

8 Le nombre de personnes pouvant être maintenues dans un territoire donné dans les limites des ressources naturelles et sans dégrader l'environnement naturel, social, culturel et économique pour les générations actuelles et futures. Voir : www.carryingcapacity.org.

9 La Banque Mondiale. Rapport mondial sur le développement 2006 : Equité et Développement. Washington, DC, 2006.

10 Voir : maps.grida.no/go/graphic/projected-impact-of-climate-change.

11 IPCC. “Climate Change 2001: Impacts, Adaptation, and Vulnerability.” Apport du Groupe de Travail II au Troisième Rapport d'Evaluation du Groupe Intergouvernemental d'Experts sur les Changements Climatiques. Cambridge : Cambridge University Press.

12 Dougherty, B. et Spanger-Siegfried, E. User’s Guidebook on the Adaptation Policy Framework.Boston : Stockholm Environment Institute US et le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), 2005.

13 IAASTD. Agriculture at the Crossroads :Global Report. Washington, DC : Island Press. 2008.

14 Vidal, J. “Change in Farming Can Feed World – Report.” The Guardian, le 16 avril 2008.

15 Oxfam International. “Adapting to Climate Change : What’s Needed in Poor Countries and Who Should Pay.” Oxfam Briefing Paper 104, mai 2007. Disponible sur : <www.oxfam.org/sites/www.oxfam.org/files/adapting%20to%20climate%20change.pdf>.

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left

La crise mondiale et le prix des aliments

Publication_year: 
2009
RAPPORT ANNUEL : 
Yes
Summary: 
Dans les pays en voie de développement, les pauvres dépensent plus de 50 % de leurs revenus en alimentation ; les plus pauvres dépensent 80 % ou plus. La hausse des prix des aliments a provoqué l’augmentation, non seulement de la pauvreté, mais aussi de la faim. La hausse des prix des produits agricoles a été influencée, entre autres facteurs, par le faible approvisionnement d'eau, les coûts élevés de la production, la sécheresse et le changement climatique. Un nouveau système alimentaire respectant les droits politiques, sociaux, culturels et environnementaux s’avère nécessaire, ainsi que l’importance économique de l’agriculture. Les gouvernements doivent respecter le droit d’accès à l’alimentation, garanti par les droits de l’homme, et l’ intégrer aux politiques de planification économique.

Sophia Murphy
Consultante principale, Trade and Global Governance Programme (Programme sur le Commerce et la Gouvernance Mondiale)
Institute for Agriculture and Trade Policy (institut pour l’Agriculture et la Politique Commerciale)

Dans les pays en voie de développement, les pauvres dépensent plus de 50 % de leurs revenus en alimentation ; les plus pauvres dépensent 80 % ou plus. La hausse des prix des aliments a provoqué l’augmentation, non seulement de la pauvreté, mais aussi de la faim. La hausse des prix des produits  agricoles a été influencée, entre autres facteurs, par le faible approvisionnement d'eau, les coûts élevés de la production, la sécheresse et le changement climatique.  Un nouveau système alimentaire respectant les droits politiques, sociaux, culturels et environnementaux s’avère nécessaire, ainsi  que l’importance économique de l’agriculture. Les gouvernements doivent respecter le droit d’accès à l’alimentation, garanti par les droits de l’homme, et l’ intégrer aux politiques de planification économique.

Avec une hausse commencée en 2005 et atteignant son point maximal en juillet 2008, les prix des produits agricoles ont atteint leur plus haut niveau depuis lestrente dernières années sur les marchés mondiaux. Dans certains cas, ils ont battu de nouveaux records. Depuis mars 2007 jusqu’en mars 2008, le prix du riz a augmenté de 74 %, et la plus grande partie de cette augmentation n’a eu lieu qu’en quelques semaines au mois de mars 2008. Le prix du blé a plus que doublé, avec une augmentation de 130 % pendant la même période : mars 2007 - mars 20081.

Mais lorsque le prix du pétrole s’est effondré (depuis son niveau maximal de 150 USD le baril en juin 2008 pour chuter à 40 USD quelques mois plus tard), les prix des produits agricoles ont également chuté au niveau mondial. Cependant, tel que nous le rappellent la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’Agriculture et l’Alimentation) et d’autres organismes, les prix des aliments n’ont pratiquement pas diminué dans beaucoup de pays en développement ; bien au contraire, ils sont plus élevés qu’il y a deux ou trois ans.   Les prix actuels sont les plus élevés ayant été enregistrés dans dix pays. La FAO informe que la persistance des prix élevés est plus évidente en Afrique Subsaharienne ; dans chacun des pays concernés , les prix du riz sont au-dessus de ceux enregistrés douze mois auparavant.  Les prix du maïs, du millet et du sorgho ont augmenté par rapport à l'année précédente dans 89 % des pays africains. Suivant l’article, d’autres régions comme l’Asie (prix du riz), l’Amérique Centrale et l’Amérique du Sud (prix du maïs et du blé) ont été atteintes par ce phénomène. 

Les personnes pauvres dépensent plus de 50 % de leurs revenus en alimentation, alors que les plus pauvres en dépensent 80 % ou plus. Par conséquent, les aliments deviennent inaccessibles en raison de la récente hausse des prix, avec comme conséquence non seulement l’augmentation de la pauvreté (impossibilité de faire face aux soins médicaux, aux frais d’éducation, d’entreprendre des projets, ou quoi que ce soit d’autre), mais également l‘augmentation de la faim. Ceci se traduit par une diminution de la productivité, par un développement physique et mental insuffisant des fœtus, des bébés et des enfants et, finalement, par la mort. Aucune de ces morts n’est inévitable. Rappelons qu’en 1966, 1 personne sur trois souffrait de faim chronique. A l’époque, 35 % de la population globale avait faim, tous les jours. Vers 2005, la crise atteignait environ une personne sur sept, c'est-à-dire près de 15 % . Cette réduction radicale s’est produite alors que la population mondiale était en pleine croissance. L’effet net a permis d’éviter à des milliards de personnes une vie en mauvaise santé ou avec des capacités mentales réduites.   

La faim chronique est quelque chose que nous, les gouvernements, les sociétés, les organisations communautaires et les citoyens en général, sommes en mesure d’éliminer.

Pourquoi en est-on arrivé là ?

Le prix dépend de l’offre et la demande, de l’influence des valeurs monétaires et de la spéculation sur ce que nous réserve l’avenir. Il faut prendre en considération l’offre, la demande, et les facteurs institutionnels.

La diminution de l’offre est fréquente dans le secteur agricole. Généralement, un déficit de l’offre provoque une augmentation de la production ; ceci, dans le but d’obtenir des prix plus élevés (les agriculteurs tendent à semer en fonction d’une récolte pouvant être vendue au prix fort). Normalement il existe un décalage (les produits agricoles ont besoin d’un certain temps de maturation avant la récolte) et bien souvent, la réponse de l’offre accable la demande potentielle, de sorte qu’il existe, en agriculture, un modèle commun : les hausses de prix entraînent des périodes de surabondance d’offre qui entraîne elle-même une dépression relative des prix, celle-ci durant bien plus longtemps que la hausse elle-même. Ce phénomène est associé à ce que les économistes appellent « demande inélastique » : il faut bien que les gens mangent pour survivre, mais, dès que l'alimentation est satisfaite, l’argent est destiné à l’achat d’autres types de biens. Plus les personnes sont riches, plus petite sera la portion de leurs revenus destinée à l’alimentation. Ce principe est aussi connu comme la Loi d’Engel, ainsi nommée en l’honneur du célèbre économiste du XIXe siècle, qui a été le premier à écrire sur ce comportement.

Au XXIe siècle, les choses sont un peu différentes. Il existe notamment une nouvelle source de demande de produits agricoles, théoriquement illimitée, provenant du secteur des biocarburants, associée à une plus grande pression sur la quantité et la qualité du sol, sur l'eau disponible, sur l'incertitude concernant la manière dont le changement climatique va influencer les conditions de croissance des produits agricoles. Il existe des preuves inquiétantes annonçant que l’amélioration constante de l’activité agricole lors des 50 dernières années pourrait arriver à sa fin.

Il s’agit de changements structurels ayant des conséquences dramatiques en termes de politiques publiques destinées à la protection de la sécurité alimentaire et de la future production agricole. Si la crise alimentaire a trait à des problèmes à court terme ou réversibles (par exemple, une loi défectueuse, une nécessité urgente de flux de fonds, le besoin de subventionner les engrais), alors les gouvernements prendront des décisions bien différentes que si l’on comprend qu’il s’agit de problèmes plus profonds concernant les systèmes agricoles et alimentaires. 

Nous présenterons ci-dessous un examen rapide des causes de la dramatique et soudaine augmentation des prix des produits agricoles. A l’heure actuelle, un débat est mené sur l'importance actuelle et future de chacun de ces éléments.

Tout d’abord, l’offre :

1. Eau. L’agriculture irriguée représente presque 70 % de l’utilisation mondiale d’eau. Elle produit  40 % des aliments au niveau mondial sur 20 % des terres agricoles de la planète. Il s’agit d’une agriculture très productive mais le volume d’eau employé ne convient pas à une utilisation durable de la ressource. 1,4 milliard d’habitants environ, vivent dans des régions souffrant de pénurie d’eau. Une alimentation riche en viandes et en produits laitiers, normale dans les pays plus développés et de plus en plus habituelle dans la plupart des pays du sud, a besoin de quantités d’eau plus importantes qu’une alimentation basée sur les protéines végétales.

2. Réserves. Les réserves mondiales d’aliments se sont réduites de moitié depuis 2002. On estime que, de nos jours, le monde possède des réserves pour deux mois environ, ce qui représente le quota minimal recommandé par la FAO au cas où l'approvisionnement serait interrompu. Si les réserves diminuent, cela veut dire que les petits changements au niveau de l’offre ont un effet significatif sur les prix. Pour les graines, la relation réserves – utilisation n’avait jamais été aussi faible depuis la période 1972 - 1973 ; les réserves de blé, en particulier, n’ont jamais été aussi réduites. Les gouvernements et les entreprises privées ont pensé que les faibles réserves au niveau national pourraient être compensées par l’accès à un marché global soumis à des traités commerciaux libéralisés. Par conséquent, la diminution des réserves n’a pas provoqué une hausse des prix immédiate, alors que cela se serait produit auparavant. Lorsqu’un climat adverse a frappé plusieurs des principaux fournisseurs mondiaux, simultanément et pendant plusieurs années consécutives, personne n’avait suffisamment de réserves ; les prix ont alors commencé leur hausse, tardive mais rapide. 

Il existe un débat concernant le niveau des réserves : on se demande s’il était véritablement aussi réduit. Par exemple David Dawe, membre de la FAO, suggère qu’une grande partie de la baisse est due principalement à la Chine qui a décidé de diminuer ses réserves tout à fait considérables à un niveau plus facile à gérer2. Cependant, il est possible d’argumenter que plus la Chine (plus de 15 % de la population mondiale) dépendra des marchés mondiaux, plus il sera important de maintenir une forte réserve parce que la Chine, à elle seule, a besoin d’énormes quantités d’aliments pour maintenir la sécurité alimentaire au niveau interne.  Dawe signale également que les réserves de certains produits agricoles, comme le blé, ont diminué pendant des décennies. Et maintenant, voici la question : que signifie véritablement « trop bas » ? Le blé est toujours fondamental pour la sécurité alimentaire. Le moment arrivera-t-il où la réserve de blé sera simplement trop faible pour penser qu'elle puisse être disponible sur les marchés mondiaux au cas où un ou plusieurs grands exportateurs auraient de mauvaises récoltes ?

« Au Soudan, 69 % de la population vit sous le seuil de la pauvreté, en particulier les femmes travaillant dans le secteur agricole. Ces dernières années les services de la santé se sont améliorés, mais les pauvres pâtissent encore à cause de la flambée des prix des aliments. La société civile soudanaise réclame plus de financement pour le développement, mais dans une optique multidimensionnelle et pas seulement économique, qui permette d’améliorer vraiment la qualité de vie. Le développement doit être stratégique et compter sur la participation des femmes à la base. »

Niemat Kuku (Gender Research and Training Center, Soudan)

3. Coûts de production. Le prix des engrais, du pétrole, des pesticides et des semences ont augmenté abruptement lors de la période 2007/2008. Les engrais ont augmenté bien plus que tous les autres groupes de matières premières (y compris le pétrole) depuis 2007 et depuis 2008 (c'est-à-dire, aussi bien à court qu’à long terme). L'enchérissement du pétrole a été le responsable de la presque totalité de l’inflation du prix des aliments dans les pays développés ; il a aussi porté préjudice aux pays pauvres. Les coûts des intrants, plus élevés, enchérissent la production d’aliments et réduisent les revenus nets des producteurs agricoles dans les zones rurales qui dépendent des intrants externes pour leur travail.

4. Sécheresse. A présent, la sécheresse est de plus en plus fréquente et bien plus répandue qu’à tout autre moment de l’histoire récente ; ceci, du fait de la désertification et de la déforestation, d’une planification urbaine déficiente et de l’utilisation excessive des réserves d’eau souterraine. En 2007, la plupart des principaux exportateurs de blé - dont l'Australie, l'Argentine et les États-Unis – ont eu des problèmes de récoltes comme conséquence du climat ayant comme résultat la diminution de l’offre sur les marchés mondiaux. 

5. Changement climatique. Le changement climatique affecte les précipitations et les températures, toutes les deux essentielles pour la productivité agricole. Une variation d’à peine un ou deux degrés (un seuil qui, d’après la plupart des experts, sera dépassé) réduira la production d’aliments dans les régions tropicales et subtropicales. Les experts prévoient qu’entre 75 et 250 millions de personnes, en Afrique, sentiront l'impact du changement climatique ; l'on s’attend à ce que, dans certaines régions alimentées par la pluie, la production agricole perde la moitié de son potentiel vers 2020. En Asie Centrale, Méridionale et Sud-Orientale, la baisse du niveau des rivières réduira l’irrigation et, par conséquent, la production. La FAO estime que 65 pays – concentrant la moitié de la population mondiale environ – connaîtront une chute de la production de céréales comme conséquence du changement climatique3.

Ensuite, la demande :

6. Population. Chaque année, la population mondiale totale augmente de 78 millions d’habitants.  La croissance diminue graduellement, mais il est prévu que l’on atteindra les 9 milliards d’habitants avant la stabilisation de la population mondiale en 2050. 

7. Habitudes alimentaires. Encore plus important : les habitudes alimentaires changent en permanence. Chaque année, il y a plus de personnes qui mangent à la manière des occidentaux riches. Autrement dit, ils mangent trop de calories, notamment des graisses, du sucre et des produits tout préparés, traités et transportés, qui consomment excessivement d’eau et d’énergie. Dans les pays développés, presque la moitié des aliments sont gaspillés ; la plupart d’entre eux sont jetés dans les foyers, dans les supermarchés ou dans les restaurants où les portions sont excessivement grandes4. Les habitudes alimentaires occidentales dégradent les écosystèmes et détériorent la santé. Le changement des habitudes alimentaires de la portion riche de la population rend plus chère l'alimentation des plus pauvres du fait de la réduction des terres disponibles pour des cultures traditionnelles telles que le manioc, le millet, le blé et les végétaux cultivés au niveau local.

8. Biocarburants. Les biocarburants (aussi dénommés agrocarburants) sont des carburants liquides, fabriqués à partir de matières végétales. Actuellement, la plupart des biocarburants végétaux sont fabriqués à partir de la canne à sucre, du maïs, du colza, de l’huile de palme et du soja. Il y a de plus en plus de plantations de jatrophe, une plante riche en huile pouvant être utilisée pour la fabrication de biodiesel. Depuis 2006, aussi bien la demande que l’offre de biocarburants ont augmenté de manière exponentielle.  On pense qu’en 2007 les biocarburants ont consommé plus de 7 % de l’offre mondiale de semences oléagineuses et environ 4,5 % de la récolte globale de céréales. On estime que cette demande a affecté les prix mondiaux des aliments entre 10 % et 70 % ou plus. Les résultats dépendent de suppositions. Cependant, l’attente d’une croissance continue de la demande de biocarburants, soutenue par d’ambitieux objectifs pour leur utilisation dans l’Union Européenne et aux États-Unis, ont provoqué une augmentation des prix spéculatifs sur les marchés à terme et une production accrue de matières premières pour la fabrication de biocarburants, y compris sur des terres écologiquement sensibles, comme par exemple les tourbières d’Indonésie ou le Cerrado brésilien.

Finalement, un troisième élément dont il faut tenir compte est le marché qui gère l’offre et la demande. La gouvernance du marché a sensiblement changé pendant les vingt dernières années. Les nouvelles règlementations ayant trait au commerce, aux investissements et aux bourses de commerce ont joué leur rôle dans la crise des prix des aliments. 

9. Spéculation. La plupart des produits agricoles sont négociés dans les bourses du monde entier. Jusqu’à récemment, les bourses du commerce (pour la plupart situées aux États-Unis ou au Royaume Uni) étaient gérées par des lois limitant la participation des acteurs qui n’avaient pas l’intention d’acheter ou de vendre des matières physiques, mais qui étaient plutôt intéressés par la spéculation des prix. C’est ainsi que les lois contrôlaient le niveau de l’activité spéculative. Depuis la fin des années 1980, les lois ont commencé à changer. Dans la bourse aux céréales, par exemple, les spéculateurs ont été limités à 11 millions de boisseaux5 de grains. En 2008, les deux principaux fonds indiciels, avaient une position cumulée de plus de 1,5 milliard de boisseaux. Lors de la flexibilisation des règlementations, les investissements des spéculateurs ont augmenté rapidement de 13 milliards d’USD en 2004 à 260 milliards d’USD en mars 2008. 

10. Investissement. Les gouvernements, dans le monde entier, ont libéralisé considérablement les lois sur les investissements depuis l'apparition des programmes d'ajustement structurel et de la prolifération des traités commerciaux bilatéraux et régionaux. Beaucoup de pays ont réduit ou bien éliminé les lois interdisant la propriété de la terre aux étrangers ; d’autres ont réduit la demande sur les entreprises étrangères de réinvestir leurs bénéfices dans le pays d’accueil, ce qui a diminué les avantages potentiels de l’investissement pour l’économie du pays en question. Récemment, il y a eu une augmentation significative des loyers ou des prix d’achat des terres à l'étranger consacrées à la culture de produits agricoles destinés à l’alimentation ou bien aptes pour la fabrication de biocarburants. Dans ce dernier cas, dans le but de réexporter ces produits vers le pays investisseur ou, s’il y avait des entreprises privées concernées, pour les exporter là où il y aurait une demande. Par exemple, une entreprise située à Londres (Central African Mining and Exploration Company) a loué 30.000 hectares pour cultiver la canne à sucre au Mozambique. Au Kenya, le Gouvernement a signé un bail pour 40.000 hectares destinées à la culture de fruits et légumes pour les exporter au Qatar. Ces affaires commerciales augmentent la pression sur la terre, l’eau et l’infrastructure ; on court donc le risque de ne pas produire suffisamment d’aliments pour les marchés locaux.

11. Commerce. Les traités commerciaux au niveau régional et international ont changé la relation des prix mondiaux sur les marchés alimentaires internes. Lorsque les obstacles commerciaux se réduisent, les prix mondiaux sont de plus en plus liés aux prix nationaux – qui ne sont pas nécessairement les mêmes, mais dont l’impact sur les prix internes est bien plus fort. Bien souvent on encourage l’accès à un fond global d’offres fourni par les marchés globaux. Cependant, l’aspect de cette intégration, dont on ne tient pas compte, c’est la création d’une concurrence globale entre les consommateurs. Sans protection, les consommateurs les plus pauvres perdent la bataille ; ils permettent à la mondialisation de s’approprier de plus en plus de terres pour produire des carburants et des fourrages au lieu de les destiner à l'alimentation humaine.

Causes structurelles

Certaines questions qui sous-tendent la crise sont censées être examinées en détail. Par exemple, il existe un accord généralisé sur le besoin d’investir pour augmenter la capacité productive. La proportion de l’aide officielle pour le développement, destinée à soutenir l’agriculture, a chuté de 11,5 % dans les années 1980 à environ 3 % pendant les dernières années. L’investissement national a également diminué, surtout dans les pays en développement.  Cette tendance doit être inversée et il existe des signes prometteurs indiquant que cela est possible.  Cependant la question demeure : investissement dans quel type de technologies et pour quel type de systèmes de production ? Le Gouvernement américain, la Fondation Gates, plusieurs groupes d’experts et des entreprises privées favorisent le développement de la biotechnologie pour augmenter la production des pays en développement. Leur devise est la suivante : « Une nouvelle révolution verte pour l’Afrique ». Mais la révolution verte en Afrique a déjà été tentée. Et elle a échoué. Si la question est simplement perçue comme un problème technologique et de productivité, les nouveaux efforts sont alors également condamnés à l'échec. 

La Banque Mondiale, entre autres, encourage les pays à libéraliser les marchés des engrais et même à subventionner l’accès aux engrais et aux pesticides (par le biais des ressources nationales et de celles des donateurs). Cependant, ce modèle n’est pas durable. La politique engage aussi les petits producteurs à acheter (et bien souvent à importer) les intrants. C’est ainsi qu’ils augmentent leur dépendance à une économie basée sur l’argent comptant et, de ce fait, ils réduisent leur pouvoir sur le marché. 

Il existe pourtant des alternatives. Par exemple, le potentiel pour l’agroécologie est énorme et, également, de mieux en mieux documenté. En 1988, au Bangladesh, une région dénommée Tangail, située au nord-est de Dhâkâ, a été affectée par des inondations. L’ONG Unnayan Bikalper Nitinirdharoni Gobeshona (UBINIG) [Recherche sur des politiques alternatives de développement], qui travaille déjà avec les tisseurs de la région, a proposé son aide. L’équipe de l’UBINIG a interviewé des femmes ; elles se sont plaintes que les pesticides utilisés pour l’agriculture nuisaient à leur santé et à celle de leurs enfants, qu’ils tuaient aussi bien les plantes sauvages que le poisson, base de leur alimentation. Les villageois ont commencé à travailler sur un projet pour développer un système de production agricole n’utilisant pas de produits chimiques. Le projet a avancé ; il s’appelle « Nayakrishi Andolon », ce qui signifie Nouveau Mouvement d’Agriculture au Bengale. Le mouvement comprend plus de 170.000 foyers ruraux sur 15 districts dans tout le pays. Certaines administrations municipales ont déclaré que leurs juridictions sont libres de pesticides6.

L’Evaluation internationale des sciences et des technologies agricoles pour le développement (IAASTD), un projet sur quatre ans auquel ont participé plus de 400 experts et ayant été ratifié par 58 gouvernements, affirme : « Laconnaissance, la science et la technologieagricoles (AKST) doivent aborder les besoins des petits établissements agricoles de divers écosystèmes et créer également des opportunités réalistes pour leur développement où le potentiel pour améliorer la productivité du secteur soit faible et où le changement climatique puisse avoir des conséquences défavorables ». 

Pétrole et biocarburants

Si l’on comprend l’importance du pétrole en tant que composant central de l’agriculture industrielle, cela aide à comprendre les causes structurelles les plus profondes de la crise alimentaire. En effet, la révolution verte a utilisé la culture des plantes et la technologie pour augmenter la photosynthèse – le système agricole basé sur l’énergie solaire qui a nourri, depuis toujours, l’humanité et toutes les créatures de la planète – avec des combustibles fossiles. La révolution verte s'est basée sur la culture des semences pour pouvoir répondre aux niveaux plus importants d’engrais inorganiques et d’eau. Et des résultats extraordinaires ont été obtenus, avec une augmentation considérable du rendement par plante. Une révolution technologique antérieure avait déjà substitué le travail rural, humain et animal, par des machines fonctionnant au pétrole. Avec la révolution verte, les combustibles fossiles ont également commencé à fournir des engrais, des pesticides et de l’électricité pour les bombes d’irrigation. 

La première conséquence de l’augmentation du pétrole en tant qu’ingrédient vital de la production de denrées alimentaires est, sans doute, que l'agriculture est devenue l'une des sources principales des émissions de gaz à effet de serre.  La deuxième : l’agriculture est devenue dépendante d’une ressource non renouvelable. Troisièmement, l’économie des établissements agricoles a été transformée par le remplacement des intrants générés par l’établissement (énergie, semences, engrais, fumigation) avec des intrants qu’il faut acheter.  Pour beaucoup d’agriculteurs, tant au Nord qu'au Sud, les intrants achetés sont importés ; leur prix est donc moins prévisible.

Des chiffres récents aux États Unis montrent que les augmentations des coûts agricoles en 2007 et 2008 ont été les plus importantes ayant été enregistrées d’une année sur l’autre : 20,5 milliards d’USD en 2007 et 36,2 milliards d’USD en 2008. Une diminution de 22,7 milliards d’USD est prévue en 2009 ; mais, même dans ce cas, il y aura 9 % de plus qu’en  20077. Les prix des carburants, du fourrage et des engrais ont contribué considérablement à l’augmentation des coûts. 
 
A ce jour, il existe toujours un débat qui fait rage sur le rôle des biocarburants dans la crise alimentaire. Le rôle joué par la demande de biocarburants sur l’augmentation du prix des aliments n'est pas en discussion ; il faut cependant évaluer quelle a été son importance et quels ont été ses effets. Les prix plus élevés pour la plupart des agriculteurs sont une nécessité. Dans le même temps, il faut protéger les intérêts des consommateurs pauvres ; parmi eux, les petits agriculteurs qui, souvent, sont des consommateurs nets de denrées alimentaires. Mais les prix plus élevés pour les agriculteurs ne sont qu'une partie de la réponse. Le défi consiste à assurer une distribution plus équitable de la valeur des matières premières entre les agriculteurs, les intermédiaires et les détaillants. Les décideurs des politiques mises en oeuvre doivent redresser le pouvoir disproportionné sur le marché des grandes entreprises agroalimentaires.

Investissements en terres situées à l’étranger

La crise alimentaire a provoqué un phénomène inquiétant : une explosion d’intérêt parmi les investisseurs pour acheter ou louer des terres à l’étranger. La presse a qualifié ce phénomène comme une usurpation des terres.   En octobre 2008, l’ONG GRAIN, située à Barcelone, a publié dans sa revue en ligne, une liste de près de 180 affaires immobilières offertes intitulée : "Ils se sont approprié les terres ! La saisie des terres au nom de la sécurité alimentaire et financière en 2008".Un rapport concernant cette affaire, publié par l’Institut International de Recherche sur les Politiques Alimentaires (IFPRI) en avril 2009 estime que, depuis 2006, 20 millions d’hectares ont été vendues comme conséquence d’environ 50 accords économiques, notamment en Afrique8.

Les deux grands moteurs sont les préoccupations sur la sécurité alimentaire et sur la demande de biocarburants. Les pays importateurs nets de denrées alimentaires, comme l’Arabie Saoudite et la Corée du Sud, ne croient pas que les marchés mondiaux puissent garantir suffisamment l’approvisionnement en denrées alimentaires. En attendant, les mandats et les objectifs pour incorporer les biocarburants aux politiques énergétiques – notamment dans l’Union Européenne et aux États-Unis, mais aussi dans d’autres pays - ont éveillé un énorme intérêt chez les investisseurs privés pour la culture des matières premières destinées à la fabrication de biocarburants (soja, huile de palme et jatrophe pour le biodiesel et canne à sucre et maïs pour le bioéthanol). 

Les accords préoccupent à plusieurs niveaux. Les relations de pouvoir son asymétriques ; les grandes entreprises et (notamment) les pays les plus riches établissent des rapports avec des pays plus petits et souvent appauvris ; pas mal d’entre eux ayant une gouvernance et des institutions faibles9. Parmi ces pays nous pouvons signaler le Soudan, le Pakistan, l’Ethiopie, Madagascar et le Zimbabwe. Certains pays de grand intérêt pour les investisseurs reçoivent l’aide alimentaire du Programme Alimentaire Mondial : le Cambodge, le Niger, la Tanzanie, l’Ethiopie et la Birmanie10.

Le droit à l’alimentation

L’Observation Générale sur le Droit à l’Alimentation établit : « l’origine du problème de la faim et de la dénutrition n'est pas le manque d'aliments, mais le manque d'accès aux aliments disponibles »11. Un rapport récent de l’IATP (Institut pour la Politique Agricole et Commerciale) affirme que « les États-Unis ont une sécurité alimentaire ; pourtant, le gouvernement ne protège pas le droit de sa population d’accéder à l’alimentation. Le Département de l’Agriculture informe qu’environ 11 % des foyers américains (et 18 % des enfants, garçons et filles) ne peuvent pas accéder à une alimentation appropriée à certaines périodes de l’année. Cette statistique représente 12,6 millions de personnes. Et pourtant, même en déduisant les exportations, l’offre interne d’aliments aux États-Unis permettrait d’alimenter doublement chaque habitant dans le pays »12.

Plus tard, le rapport établit une comparaison entre les États-Unis et le Népal, l’un des pays les plus pauvres du monde ; « le Népal … prend des mesures pour garantir le droit à l’alimentation. Le nouveau gouvernement, formé après dix ans de guerre civile, a incorporé le droit à la souveraineté alimentaire dans sa Constitution préliminaire. Le 25 septembre 2008, la Cour Suprême du Népal, dans le respect de ce droit, a ordonné au gouvernement de fournir, immédiatement, des aliments dans les 32 districts où sévit une pénurie alimentaire ».

Que fait la communauté internationale ?

En avril 2008, le Secrétaire Général de l’ONU, Ban Ki-moon, a créé un groupe de travail de haut niveau sur la crise alimentaire. L’objectif était de « promouvoir une réponse consensuelle au défi de parvenir à la sécurité alimentaire mondiale »13. Le groupe de travail a été établi pour coordonner les actions des organismes de l’ONU et de Bretton Woods, dans le but d’élaborer une réponse collective à la crise alimentaire. Le groupe de travail est intégré par près de 15 organismes, bureaux et programmes de l’ONU, par la Banque Mondiale, le FMI et l’OMC. Le groupe manque de ressources et son rôle n’est  pas encore bien défini.

En fait, le groupe de travail a produit un Cadre Intégral pour L’Action (MIA) en juillet 200814. Le document met en évidence les forces et les faiblesses de sa composition : du bon travail a été réalisé en établissant les causes multiples ayant contribué à la crise et en faisant des recommandations importantes. Par ailleurs, le document favorise les politiques macroéconomiques qui nuisent à ses propres recommandations15. Par exemple, le document met en évidence l’importance de l’investissement à petite échelle en agriculture.  En effet, s’il existe un acquis de la crise alimentaire à revendiquer – en commençant par le Rapport du Développement Mondial 2008  de la Banque Mondiale – c’est l’acceptation, dans le discours multilatéral, du rôle des petits agriculteurs et de l’importance de leur voix politique. Cependant, le MIA encourage les gouvernements à compléter la Ronde de négociations commerciales multilatérales de Doha, et soutient le financement de l’Aide au Commerce.  L’agenda de Doha n’a pratiquement rien à offrir aux pays qui luttent contre la crise du prix des denrées alimentaires16. L’agenda est le produit d’un autre temps, bien que récent, et il semble de plus en plus inapproprié face à la pénurie des matières premières, à l’ambivalence régnante dans le commerce entre les principaux exportateurs de denrées alimentaires et à une sévère contraction du crédit qui contribue à ce que l’OMC envisage de réaliser,  la contraction la plus importante, en volumes commerciaux globaux, depuis la seconde guerre mondiale17.

Le président français Nicolas Sarkozy a eu une autre idée : celle d’un « Partenariat Mondial pour l’Agriculture et la Sécurité Alimentaire ». Présentée tout d’abord lors du sommet de la FAO sur la crise alimentaire en juin 2008, l’idée a été reprise par les membres du G-8 pendant les mois suivants et elle a été très fortement encouragée par le gouvernement espagnol, qui a fait circuler le document intitulé « Le Processus de Madrid : Vers un partenariat mondial inclusif pour l’agriculture et la sécurité alimentaire », quelques jours avant la  Réunion de haut niveau sur la sécurité alimentaire pour tous, qui a eu lieu à Madrid en janvier 2009 et qui a mis en mouvement un effort conjoint dans le but d'augmenter l’efficacité de la lutte contre la faim, aussi bien au niveau local que mondial. 

L’initiative du Partenariat Mondial a un bon potentiel, mais son objectif reste flou. La proposition initiale de Sarkozy prévoyait une initiative orientée vers les politiques de grande portée qui, en plus d’un nouveau financement, fournirait un espace pour que les gouvernements puissent établir une stratégie globale en faveur de la sécurité alimentaire basée sur le leadership d’un groupe d’experts internationaux en la matière. Les discussions sur ce sujet ont tendu à augmenter la coordination des donateurs, laissant de côté les discussions politiques.  Il existe également un désaccord : l’initiative devrait-elle être dirigée principalement par le G-8 ou devrait-elle rester au sein de l’ONU ?
Jusqu’à présent, aucun calendrier ni soutien disponible pour faciliter le processus n’ont été identifiés.

Que pourrait-on faire de plus ?

L’échec de l’éradication de la faim est le résultat de choix politiques.  Nous savons comment mettre en œuvre une agriculture plus durable.  Nous savons comment mieux réglementer les marchés. Nous savons que la sécurité alimentaire doit être construite à partir d’une forte base locale. Les nouveaux systèmes agricoles et alimentaires devraient promouvoir l’intégrité environnementale, la souveraineté démocratique, la responsabilité extraterritoriale ; ils devraient donner la priorité aux besoins locaux ; et ils devraient protéger l’équité ainsi que l’efficacité des échanges commerciaux18.

Il n’y a pas qu'un seul et simple chemin pour mettre fin à la crise alimentaire et pour transformer le secteur agricole pour protéger les être humains de la faim. Des mesures à court, moyen et long terme sont nécessaires. Les actions doivent inclure différents groupes de pression.  Elles doivent inclure également divers secteurs : l’agriculture, l’énergie, les finances, le commerce, l’environnement, la recherche et le développement. Pour obtenir des résultats rapides, voici quelques mesures importantes : contrôler la pression engendrée par la demande de biocarburants (par exemple, en éliminant les objectifs des biocarburants ou en insistant sur des critères bien plus stricts, recevant le soutien des citoyens) ; parvenir à une meilleure et plus efficace aide humanitaire priorisant l'investissement au niveau de la capacité productive locale et régionale ; contrôler la demande spéculative des marchés à terme de produits agricoles  ; examiner les restrictions internes sur le commerce agricole ; et augmenter la production agricole.

Un deuxième ensemble d’actions doit signaler le chemin à suivre pour transformer les modèles industriels agricoles et réussir à mettre en œuvre un modèle plus durable du point de vue écologique et plus contrôlé au niveau local. Ces mesures d’action d’un processus plus lent incluent l’investissement en infrastructure et en capacité productive, dans le respect de la production et du traitement à niveau local, l’investissement dans la recherche et le développement, mettant l’accent  sur les modèles culturels de consommation d’aliments locaux, le renforcement des institutions (y compris les procédures légales et la responsabilité politique), une mise en valeur des politiques commerciales agricoles, une plus grande régulation du pouvoir du marché (notamment des corporations internationales actives dans le système alimentaire), l’établissement de réserves de céréales de comptes publics, et l’investissement en énergies renouvelables. Il est également prioritaire de mettre fin au colossal gaspillage d’aliments. Au sud, les ordures s’accumulent comme conséquence des mauvais stockages, du transport et des infrastructures déficientes. Au nord, il est dû à un système alimentaire excessif lors de chacune des phases : la production, le traitement et la distribution d’aliments. Tout cela peut être amélioré et il faut y parvenir.

La crise alimentaire signifie bien plus que des problèmes à court terme, réversibles. Les gouvernements doivent établir simultanément des réseaux de protection pour ceux qui souffrent de la faim ; ils doivent investir en production agricole durable et commencer à aborder la problématique de l'accès à l’alimentation. Voilà le quid de la question depuis la perspective du droit à l’alimentation, et le noyau de la véritable crise alimentaire qui sévit dans le monde actuel.

 

1 L’augmentation des prix a été bien plus dramatique pour le cas des dollars nominaux que pour d’autres devises. Depuis 2002, le prix du riz au niveau mondial a augmenté de 143 % en dollars nominaux, mais de seulement 37 % en euros réels (c’est-à-dire, constants). Les pays en développement qui paient leurs importations de denrées alimentaires dans une monnaie liée au dollar américain, ont supporté une variation des prix bien plus significative que les pays plus indépendants ou ceux dont les monnaies sont liées à l'euro.

2 Dawe, David. “The Unimportance of ‘Low’ World Grain Stocks for Recent World Price Increases”, ESA Working Paper No. 09-01, Genève, février 2009.

3 Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO).  “Falling prices in perspective, 2009”. Disponible sur : <www.fao.org/docrep/011/ai474e/ai474e13.htm>.

4 L’Institut International de l’Eau, en Suède, estime que les pays en développement gaspillent la moitié des aliments qu’ils produisent : parce qu'ils ne sont pas récoltés, parce que les conditions de stockage ne sont pas idéales, parce qu’il est impossible de les transporter faute de routes appropriées ou d’autres infrastructures de transport. 

5 Le boisseau est une unité de poids utilisée pour l’achat/vente sur les marchés de matières premières.  Un poids standard est attribué à chaque céréale mesurée en boisseaux.  Suivant la céréale et le contenu en humidité, le boisseau peut varier entre 14 et 27 kilos. 

6 Voir Mazhar, F. et autres Food Sovereignty and Uncultivated Biodiversity in South Asia, Academic Foundation: New Delhi; International Development Research Centre: Ottawa, 2007 pp. 3-4. Disponible sur : <www.idrc.ca/openebooks/337-9/>.

7 Voir : <www.ers.usda.gov/Briefing/FarmIncome/nationalestimates.htm>. Consulté le 7 mai 2009. Les chiffres sont mises à jour régulièrement.

8 Van Braun, J. y Meinzen-Dick, R. “Land Grabbing by Foreign Investors in Developing Countries: Risks and Opportunities”, IFPRI Policy Brief, 13 avril 2009.

9 Cotula, L., Dyer, N. y Vermeulen, S. Bioenergy And Land Tenure: The Implications Of Biofuels For Land Tenure And Land Policy. International Institute for Environment and Development (IIED) y FAO: Londres et Rome, 2008.

10 World Food Programme Operations List. Disponible sur : <www.wfp.org/operations/list>.

11 Cité à Smaller, C. y Murphy, S. “Bridging the Divide: A Human Rights Vision for Global Food Trade”, 2008 Disponible sur : <www.tradeobservatory.org/library.cfm?RefID=104458>.

12 Cotula, L., Dyer, N. y Vermeulen, S. op. cit.

13 Voir : <www.un.org/issues/food/taskforce/>.

14 Disponible sur : <www.ransa2009.org/docs/Comprehensive_framework_for_action_ransa2009.pdf>.

15 Pour une perspective critique de la MIA voir aussi Foodfirst Information & Action Network (2008).

16 Voir : Institute for Agricultural and Trade Policy (IATP) “Can Aid Fix Trade? Assessing the WTO’s Aid for Trade Agenda”, 22 septembre 2006. Disponible sur : <www.iatp.org/tradeobservatory/genevaupdate.cfm?messageID=120812> y “Seven Reasons Why the Doha Round Will Not Solve the Food Crisis”, mai 2008. Disponible sur : <www.iatp.org/iatp/publications.cfm?refid=102666>. Tembién Trócaire. Briefing Paper: Implementing Aid for Trade (AfT) to Reduce Poverty, mars 2009. Disponible sur : <www.trocaire.org/uploads/pdfs/policy/implementingaidfortrade.pdf> y Caliari, A. “Civil Society Perspectives on the Aid for Trade Debate,” en Njinkeu, D. y Cameron, H. (eds.), Aid for Trade and Development, Cambridge University Press: New York, 2007.

17 Organisation Mondiale du Commerce (OMC). “WTO sees 9 % global trade decline in 2009 as recession strike’, Communiqué de presse, 23 mars 2009. Disponible sur : <www.wto.org/english/news_e/pres09_e/pr554_e.htm>.

18 Voir : De la Torre Ugarte, D. y Murphy, S., “The Global Food Crisis: Creating an Opportunity for Fairer and More Sustainable Food and Agriculture Systems Worldwide.” Ecofair Trade Dialogue Discussion Papers, 11, 2008 Misereor & the Heinrich Böll Stiftung: Allemagne.

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Region: 
left

La crise mondiale multiplie les défis du dévéloppement : choix de politiques dans la région arabe.

Publication_year: 
2009
RAPPORT ANNUEL : 
Yes
Summary: 
La crise économique mondiale survient à un moment où les pays et citoyens de la région arabe tentent de s’adapter aux prix incontrôlés des aliments et des combustibles. De plus, la région ressent de plus en plus les effets du changement climatique : la désertification et le niveau des eaux littorales augmentent, on assiste aussi à une plus grande pénurie en eau potable. La confluence de cette crise laisse apparaître les faiblesses explosives de toute la région, dont les éléments centraux sont la pauvreté et le chômage. D’où la nécessité d’intervention des différents groupes engagés, alors que les réponses à la crise économique doivent prendre en compte le besoin d’aborder les autres crises. Les Gouvernements arabes doivent renforcer la coordination, permettre la participation des citoyens au moment de fixer les priorités de développement et orienter les politiques sociales en vue d’une baisse de la pauvreté qui soit durable et équitable.

Kinda Mohamadieh
Arab NGO Network for Development
Oliver Pearce
Christian Aid1

La crise économique mondiale survient à un moment où les pays et citoyens de la région arabe tentent de s’adapter aux prix incontrôlés des aliments et des combustibles. De plus, la région ressent de plus en plus les effets du changement climatique : la désertification et le niveau des eaux littorales augmentent, on assiste aussi à une plus grande pénurie en eau potable. La confluence de cette crise laisse apparaître les faiblesses explosives de toute la région, dont les éléments centraux sont la pauvreté et le chômage. D’où la nécessité d’intervention des différents groupes engagés, alors que les réponses à la crise économique doivent prendre en compte le besoin d’aborder les autres crises. Les Gouvernements arabes doivent renforcer la coordination, permettre la participation des citoyens au moment de fixer les priorités de développement et orienter les politiques sociales en vue d’une baisse de la pauvreté qui soit durable et équitable.

La crise économique et financière mondiale arrive à un moment où les pays et citoyens de la région arabe tentent de s’adapter aux prix incontrôlés des aliments et des combustibles.Comme dans d’autres parties du monde, la région connaît une baisse de son activité économique, des taux de pauvreté et de chômage en hausse, des services sociaux davantage sollicités, une insécurité économique rénovée et des violations des droits économiques et sociaux qui se multiplient.

Les crises économiques du passé ont eu des impacts disproportionnés sur les pauvres et, dans ce sens, la crise actuelle n’est pas différente. Ceci se traduit par un stress plus important pour les communautés qui subissent déjà le changement climatique et les fluctuations des prix de l’énergie et de l’alimentation. Les pays arabes sont particulièrement exposés aux conséquences de la crise mondiale, les améliorations récentes des indicateurs du développement humain sont fragiles et ne bénéficient pas du soutien des politiques gouvernementales à long terme qui aideraient à les protéger et les pérenniser. Par ailleurs, les conflits et l’instabilité politique sont généralisés et leur aggravation est probable en raison de la détérioration économique.

Défis clé pour le développement de la région.

Le nombre de personnes vivant dans la pauvreté augmente

La région arabe a expérimenté une sensible diminution des niveaux de pauvreté depuis les années 1980 jusqu’au début des années 1990. Au milieu de cette décennie néanmoins, le pourcentage de personnes qui vivaient dans la pauvreté – en considérant les seuils de pauvreté les plus basiques d’1 USD et 2 USD par jour – a augmenté et, de façon générale, il a stagné lors du passage au XXIème siècle, pour connaître un déclin très progressif. En prenant en ligne de compte le fait que la démographie de la région se développe en permanence, le nombre total de personnes vivant dans des conditions de pauvreté extrême a, en réalité, augmenté.

De plus, si on élève légèrement le seuil de pauvreté – pour passer, par exemple, d’1 USD à 2 USD par jour ou de 2 USD à 3 ou 4 USD par jour – les chiffres augmentent considérablement. En effet, en rehaussant le seuil de pauvreté de 2 USD à 3 USD par jour, on double le nombre total de personnes vivant dans la pauvreté, il passe de 45 millions à 92 millions. En Egypte, plus de 70 % de la population vit avec 3 USD par jour ou moins, mais cette proportion passe à plus de quatre personnes sur cinq si le seuil est élevé à 4 USD par jour2.

Les mesures liées aux seuils de pauvreté très élevés sont particulièrement importantes maintenant que les familles de la région ont dû faire face aux coûts très élevés des biens élémentaires, comprenant l’alimentation et le carburant qui représente une part importante de leurs dépenses. A l’ONU on affirme qu’en raison de la crise, ce sont environ 31 millions de personnes dans les pays arabes qui souffrent de la faim (environ 10 % de la population totale). Par rapport à 1992, ceci reflète une hausse de 6 millions de personnes souffrant de la faim, avec des chiffres record au Soudan et au Yémen3, précisément sur une période au cours de laquelle, en général, les indicateurs de développement humain ont été en amélioration continue. En effet, la crise liée aux prix des denrées alimentaires a mis en évidence les faiblesses d’une région qui importe plus de 50 % des aliments qu’elle consomme.

Les Gouvernements arabes ont mis en place une série de mesures en réponse à la crise alimentaire comprenant souvent la fourniture directe de produits alimentaires de base ou l’augmentation des subventions pour l’alimentation. Ces mesures – associées au contrôle des exportations – ont permis peu à peu de garantir que les prix n’augmentent pas excessivement dans l’avenir ou, plus important encore, que les approvisionnements en produits de base soient suffisants. Il est nécessaire d’attirer l’attention sur les questions essentielles qui n’ont pas été suffisamment abordées comme par exemple l’augmentation de la production de denrées alimentaires, la possibilité pour les petits producteurs de vendre leurs produits et d’avoir accès aux marchés, la garantie de l’approvisionnement de denrées accessibles aux consommateurs les plus pauvres et le traitement de la question des déséquilibres du système de commerce mondial et les accords sur l’agriculture.

Des inégalités qui persistent et qui s’aggravent

Le niveau élevé d’inégalités entre les pays, ainsi que les inégalités persistantes dans nombre de ces pays est un autre caractère notable de la région à prendre en compte. L’augmentation de la richesse de ces dernières années ne s’est pas traduite par davantage d’équité et, comme les privilégiés ne partagent pas, une grande partie de la population de la région vit actuellement en-dessous du seuil de pauvreté ou sur ce même seuil. De plus, les pays en guerre comme l’Iraq, le Liban, le Soudan et les territoires occupés de Palestine n’ont pas connu la tendance à la croissance qu’ont pu expérimenter de nombreux pays de la région.

Chômage chronique

Une des raisons de la forte proportion de pauvreté dans la région est le chômage chronique. En effet, même lors des années de croissance économique et où les revenus personnels affichaient aussi une tendance à la hausse, le chômage était élevé et allait en augmentant. D’autres facteurs qui font que la pauvreté soit au centre des préoccupations majeures à la lumière de la crise mondiale, sont : (1) Le taux de natalité élevé et les populations relativement jeunes dans la région, ce qui signifie que de nombreux nouveaux diplômés et de jeunes quittant l’école vont entrer sur le marché du travail avec moins de perspectives pour trouver du travail et que (2) la concentration de l’activité économique sur des secteurs où les possibilités de création d’emplois sont réduites, comme l’immobilier et les finances4.

« Nous devons former une coalition de vigilance internationale pour contrôler ce qu’il advient des séries de programmes de relance et être capables de réagir rapidement si les gouvernements n’utilisent pas à bon escient cet argent. Pour en finir avec la crise, nous devons concevoir des approches commerciales et financières basées sur les droits, surtout pour mettre en place des réseaux de sécurité dans le Nord et le Sud. Nous ne voulons pas simplement “retoucher” le modèle économique pour l’améliorer, mais le rebâtir complètement. Pour y arriver, nous devons profiter des événements politiques, comme la Conférence de l’ONU ou le Forum social mondial, pour réunir les personnes et les mouvements sociaux au moment critique ».

Tanya Dawkins (Global-Local Links Project, Miami)

En diminuant la production au niveau mondial, il est probable que le fossé entre les emplois disponibles et la quantité de main d’œuvre s’élargisse brusquement. Le retour au pays de citoyens qui travaillaient à l’étranger comme des émigrés économiques sera une pression supplémentaire sur le marché du travail. De même, la diminution de l’activité économique dans les pays du Conseil de Coopération du Golf (CCG) aura des répercussions sérieuses sur ces pays les plus pauvres5. Il est donc important que les Gouvernements et autres institutions dont dépendent les communautés pauvres et vulnérables – comme les familles installées à l’étranger, les associations d’aide et les banques – soient capables de colmater les brèches lorsque les revenus individuels sont soumis à une telle pression.

Des outils gouvernementaux de politique économique et sources de revenus

Les économies de la région arabe se sont développées sur la base de modèles semi-rentiers et rentiers. On trouve entre autres des pays producteurs de pétrole, pour lesquels la majeure partie du PIB et les revenus du Gouvernement proviennent des exportations de produits pétroliers, et des pays non-pétroliers, qui dépendent des différents types de revenus, principalement des envois de fonds de l’étranger, de l’aide extérieure et des prêts bilatéraux et multilatéraux6.

Depuis le milieu des années 1980, les Gouvernements arabes ont mené des réformes économiques à la suite de la baisse des revenus du pétrole soumis à fluctuation et à la diminution des envois de fonds. Les réformes ont également été imposées de l’extérieur ; les programmes prescrits par des institutions comme le FMI et la Banque Mondiale donnaient des recommandations en faveur des politiques cycliques, des coupes dans les dépenses du Gouvernement, des privatisations ainsi que la libéralisation du commerce, les politiques d’intérêt et les taux de change7. En même temps, les politiques sociales se sont de plus en plus marginalisées.

En assumant différents choix politiques et en élaborant des mesures, les Gouvernements des pays non-pétroliers ont donné de plus en plus la priorité aux circuits d’aide, à l’Investissement Étranger Direct (IED), à la libéralisation commerciale et aux remises, alors que les pays producteurs de pétrole ont continué à se concentrer sur la rentabilité des exportations de pétrole8. Ils ont néanmoins expérimenté des déficits budgétaires croissants et les déficits sur le compte courant en 2008 se sont élevés à 1 % du PIB en Égypte, 2,7 % en Syrie, 13,5 % au Liban et 18 % en Jordanie9. Le FMI a signalé un déficit de compte courant situé entre 1 et 2,6 % pour les pays du Maghreb en 2008, il s’attend à une aggravation jusqu’en 2012. Parallèlement à la diminution des opportunités d’exportation, on s’attend à ce que les déficits budgétaires augmentent – surtout en raison de la chute de la demande du marché européen qui absorbait la majeure partie des exportations de la zone arabe et de la demande des pays du Golfe qui absorbaient les exportations d’autres pays arabes avec une main d’œuvre abondante. Par ailleurs on s’attend à ce que les recettes fiscales diminuent suite à la crise tout comme les salaires, les envois de fonds et les transferts du Gouvernement. Par conséquent, la diminution des recettes publiques et privées met sérieusement en danger les récentes conquêtes de développement ce qui entraînera certainement une hausse de l’incidence et de la gravité de la pauvreté et du chômage à moins que l’on ne prenne des mesures et des actions spécifiques et décisives.

La crise a exposé la nature fluctuante de l’aide et des envois de fonds mais aussi des avantages limités de la libéralisation commerciale. Ces choix politiques ne peuvent être considérés comme des facteurs stables sur lesquels on peut bâtir une politique de croissance durable à long terme. Ces instruments politiques devraient être considérés comme complémentaires d’une politique plus stable qui a besoin d’être développée dans la région, qui donne surtout la priorité au soutien des cycles de production intra-régionaux, au commerce, à la consommation et à la production nationales ainsi qu’intra-régionales.

Aide et investissement étranger direct (IED)

Pour quelques pays arabes, l’aide constitue une part significative du PIB, en particulier les pays touchés par des conflits comme l’Iraq, le Liban et les territoires occupés de Palestine, même si les montants fluctuent énormément. L’aide officielle au développement (AOD) nette attribuée à 22 pays arabes par tous les donateurs a atteint 17,1 milliards d’USD en 2006. Ceci correspondait pratiquement à 20 % de l’AOD totale délivrée par les donateurs aux pays en voie de développement10.

Cette augmentation s’est focalisée sur quelques pays et elle tend à refléter les évènements géopolitiques et militaires de la région ainsi que les stratégies sous-jacentes des principaux acteurs internationaux. En effet, les pays les moins développés de la région (comme les Comores, Djibouti, la Mauritanie, la Somalie et le Yémen) ont reçu seulement 25,3 % de l’AOD perçue entre 2000 et 2006. D’autre part, 46 % de l’aide perçue sur cette période était destinée à l’Iraq. En général, l’Iraq, les territoires occupés de Palestine et le Soudan ont reçu 63 % de l’aide totale11. Il est évident qu’il existe une nette différence entre l’orientation de l’aide qui circule dans la région et les priorités de développement humain12.

Par rapport à l’IED totale, la participation arabe au cours de la décennie 1990 – 2000 a été d’à peine 2,1 % (1 % entre 1990 et 1999). Elle a par la suite augmenté drastiquement, passant de 6 milliards d’USD sur la période 1995-1999 à plus de 24 milliards d’USD en 200613. Environ 34 % de l’IED des pays provient d’autres pays arabes. De 1996 à 2006, la participation en pourcentage de l’IED à la formation du PIB a représenté 1 à 1,7 % pour toute la région (en excluant l’Iraq). Dans les pays aux revenus les plus faibles et à la main d’œuvre abondante, l’IED a considérablement augmenté de 2,4 % à 8 %, dans les pays riches et où la main d’œuvre abondante a été de 0,2 % à 0,9 % et dans les pays riches qui importent la main d’œuvre elle a diminué de 0,7 % à 0,3 %.

Ces affluences, concentrées sur l’Égypte, la Jordanie, le Liban, le Maroc, la Tunisie et les Émirats Arabes Unis, sont encouragées par la conclusion d’importants accords de privatisation et une augmentation des investissements dans le secteur de l’énergie. Par exemple, l’IED en Égypte a augmenté de 6,1 milliards d’USD depuis 2006 en raison d’une licence de télécommunications et à la privatisation du secteur bancaire. Ceci laisse entendre que les flux de l’IED n’ont pas été conçus en fonction des priorités de développement humain et n’ont pas donné la priorité à la valeur sociale ajoutée.

Il est raisonnable de penser que l’AOD tout comme l’IED peuvent ne pas être versées au vu des projections antérieures en raison de la contraction des budgets au niveau mondial. Ceci se traduira par moins d’investissement par personne puisque la chute des revenus liés aux hydrocarbures et aux impôts donne déjà lieu à des ajustements budgétaires. Ceci exercera aussi une plus forte pression sur les budgets des pays ayant peu de revenus et une main d’œuvre abondante et qui dépendent à l’heure actuelle de l’IED pour plus de 8 % de leur PIB.

Commerce

La libéralisation commerciale a constitué une des principales recommandations politiques encouragées et adoptées dans la région comme outil pour une plus forte croissance et pour attirer plus d’IED. Les pays arabes ont élargi et approfondi des traités commerciaux entre eux puis ils ont ouvert considérablement leurs économies au commerce, investissements et aux flux de capitaux avec des pays appartenant à d’autres régions. Malgré toutes les réformes, le commerce pris dans sa globalité en 2005 n’a représenté dans les pays arabes que 4 % du commerce mondial. De plus, malgré l’exportation massive d’hydrocarbures et la libéralisation commerciale, la région ne pèse que 5,5 % des exportations mondiales, dont 90 % de pétrole 14.

Sur le front régional, malgré le lancement de l’Accord de Libre Échange Arabe (ACLA) en 1997 et la suppression à ce jour des taxes sur les mouvements de biens entre 19 des 22 pays arabes, le commerce entre ces pays varie aujourd’hui entre 10 et 13 % de son chiffre d’affaire total, soit une légère augmentation par rapport au 9 % obtenu en 1997. A l’heure actuelle, un des principaux obstacles auxquels doit faire face l’ACLA est le manque d’accord par rapport aux règles d’origine sur les produits qui sont importants depuis un point de vue commercial intra-régional.

En élargissant les traités commerciaux régionaux et bilatéraux15, les tarifs commerciaux se sont considérablement réduits dans pratiquement tous les pays de la région : la majorité des barrières non-tarifaires ont été éliminées ou réduites significativement. En général, la région se classe à la deuxième position parmi les régions en voie de développement pour ce qui est des réformes tarifaires entreprises depuis 2000, après seulement l’Europe et l’Asie Centrale.

Tous les pays arabes – qu’ils soient exportateurs de pétrole ou non – ressentiront le contrecoup de la crise sur leurs comptes commerciaux. Alors que les premiers sont touchés par les fluctuations du prix du pétrole et la chute de la demande, les seconds observeront une baisse de leurs exportations vers l’Europe et les pays du Golfe en raison de la diminution de la demande, ils devront tous limiter leurs importations. En marge des coûts relatifs élevés de la majeure partie des importations nécessaires, comme les produits alimentaires, l’impact sur la balance commerciale de la région sera dramatique.

Envois de fonds depuis l’étranger
Les envois de fonds qui ont dépassé les 30 milliards d’USD, ont un impact supérieur à celui de l’aide à la région arabe et elles ont une répercussion énorme sur les familles et les communautés. Une proportion sensible des foyers aux revenus les plus faibles dépendent de ceux-ci. Les pays aux revenus les plus bas et à la main d’œuvre abondante – comme Djibouti, l’Égypte, la Jordanie, le Liban, le Maroc, la Tunisie et les territoires occupés de Palestine – ont vu leurs envois de fonds passer de 8 milliards d’USD en 1996-1999 à 13 milliards d’USD en 200616. De façon tout à fait similaire, dans les pays riches en ressources et en main d’œuvre, comme l’Algérie et la Syrie, les envois de fonds sont passés respectivement d’1 milliard d’USD à 2,5 milliards d’USD et de 500 millions d’USD à 900 millions d’USD sur la même période17. En 2007, l’affluence d’envois de fonds a représenté environ 9 % du PIB au Maroc, 5 % en Tunisie et 2,2 % en Algérie18.

La Banque Mondiale a pronostiqué que les envois de fonds, après avoir augmenté de pratiquement 8 % en 2008, allaient diminuer en 2009. L’amplitude de la diminution est difficile à évaluer même si le pire des pronostics, élaboré l’année dernière, calcule une diminution de 5 % pour 2009 en comparaison à 2008 et une nouvelle diminution pour 2010.

Politiques sociales

Les pays arabes présentent un déficit flagrant en termes de politiques sociales. Ceci reflète, en partie, un niveau insatisfaisant par rapport à la participation au processus d’élaboration de réponses politiques ou de plans de sauvetage par les différents groupes concernés – parmi eux, les organisations de la société civile. Ceci reflète aussi les capacités limitées des institutions officielles à développer des politiques économiques et sociales complètes. Des services sociaux de qualité et accessibles manquent, de même, les mesures de protection sociale disponibles pour plusieurs groupes sociaux ont une portée limitée19.

Les problèmes de politiques sociales sur le marché du travail sont liés au manque de services sociaux de qualité et accessibles. Un autre problème est la portée des mesures de protection sociale disponibles pour les différents groupes sociaux. Il est indispensable de mettre en place des politiques sociales intégrales pour amortir les effets d’un éventuel malaise social, en particulier lorsque les réponses gouvernementales ne sont pas à la hauteur face aux impacts négatifs de la crise. Ces politiques doivent s’étendre au-delà des réseaux de protection sociale traditionnels qui existaient avant la crise et qui se limitaient souvent à des subventions pour les aliments et l’électricité, des virements en numéraires et un soutien aux plans de microfinancement. Les politiques sociales intégrales doivent également comprendre le secteur informel qui emploie d’ores et déjà un segment important de la population dans les pays arabes et qui, en raison de la crise, va encore certainement se développer.

Manque persistant de coordination et élaboration de politiques intégrales

Les différentes capacités et la nature des économies des pays arabes impliquent que les réponses apportées à la crise varient ainsi que les marchés temporaires. Au niveau régional, aucun plan de coopération ou réponse commune n’a été entrepris. On ne note, en général, aucun critère d’urgence, pas même une vision globale qui veillerait spécialement aux politiques sociales.

Les réponses des pays du CCG (Conseil de Coopération du Golfe) sont apparues plus rapidement et de façon plus étendue. Au niveau sous-régional, ils ont décidé de coordonner leurs politiques fiscales, monétaires et financières et de mettre en place des mesures afin d’améliorer les taux d’intérêts interbancaires et d’ajouter de nouvelles régulations à leurs bourses de valeurs. Au niveau national, on a pu observer un assouplissement de la politique monétaire et l’instauration de politiques fiscales plus expansives dans certains secteurs. Dans d’autres pays de la région, les réponses ont été plus lentes, de nombreux gouvernements ont insisté pendant les premiers mois de la crise sur le fait que leurs pays resteraient isolés des impacts. Vu que les politiques fiscales laissaient peu de marge de manœuvre, ces pays ont été prudents au moment de la prise de décision sur les politiques expansionnistes et leurs interventions n’ont pas été planifiées, elles se sont concentrées sur la stabilisation à court terme.

Regarder vers l’avant : considérations politiques pour faire face à la crise

Il est évident que les gouvernements arabes doivent donner la priorité aux changements structurels à long terme et aborder les besoins à courts termes à la lumière de la crise. En procédant de la sorte, ils peuvent gagner de la valeur (1) en travaillant  ensemble et en capitalisant leurs compétences et la coopération régionale pour faire face à la crise, (2) en protégeant davantage les droits économiques et sociaux des communautés pauvres et vulnérables et (3) en encourageant la création d’espaces pour la participation active des différents acteurs sociaux dont la société civile et les groupes de femmes en vue de l’élaboration de cadres économiques et de gouvernance.

Ceci devrait représenter une chance permettant d’examiner les hypothèses qui sous-tendent les processus d’élaboration de politiques liées à la réforme sociale et économique, comprenant une révision des rapports existant entre économie, finances et modèles de consommation et de production. Il est donc nécessaire de donner la priorité au développement durable et à l’équité sociale, au travail décent, à l’égalité hommes-femmes et à la durabilité environnementale. Est également inclus le soutien à la croissance stable à long terme des secteurs de production et au développement de politiques intégrales destinées à éradiquer la pauvreté. La création d’emploi devrait être le noyau des politiques à court et long terme avec une approche des opportunités de travail décent dans des secteurs de production durables.

Étant donné que la crise économique est liée à la crise alimentaire et climatique, les réponses doivent les prendre en ligne de compte toutes les deux. Au cours de la période antérieure aux discussions de Copenhague de décembre 2009, les gouvernements arabes devraient assumer un rôle plus efficace et proactif en coordination avec d’autres pays en voie de développement. Sur l’ensemble des discussions visant à réformer le mode de développement, il faudrait inclure les nouvelles formes de production et de consommation ainsi que le commerce durable pour l’environnement.

 Concernant les politiques sociales

Les priorités sociales, comprenant le renfort des éléments de stabilisation macroéconomiques automatiques et des systèmes d’assurance sociale, devraient être fixées grâce à la participation et à la représentation des différents groupes engagés, comme les organisations de la société civile. Les systèmes d’assurance sociale devraient encourager les personnes à travailler ou à avoir une reconnaissance pour leur travail au sein du foyer, auprès de la famille et de la communauté. Les programmes de politiques sociales ciblés devraient s’employer à limiter les impacts du chômage croissant et de la pauvreté grandissante sur de nombreuses communautés.

Concernant  le commerce

Il est nécessaire d’évaluer et, si nécessaire, d’analyser les résultats de la libéralisation entreprise suite à l’adhésion à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et aux accords de libre échange régionaux et bilatéraux. Les politiques commerciales devraient être menées dans le contexte de stratégies de développement intégrales, bâties sur des évaluations de durabilité et d’impacts sur les droits de l’homme. Les gouvernements devraient assurer que l’application du programme de l’OMC de Doha garantisse un traitement particulier et différent aux pays en voie de développement, comprenant un plus grand accès aux marchés des pays développés par la baisse des subventions.

De plus, les gouvernements des pays arabes devraient prendre en ligne de compte des mesures afin d’examiner les accords de commerce et d’investissement qui limitent l’espace des politiques et peuvent empêcher leur capacité à répondre efficacement à la crise, surtout dans le domaine des flux de capitaux et de libéralisation des services financiers.

La coopération commerciale et économique intra-régionale devrait en général être menée sur la base d’un traitement et d’options spéciales et différentielles par les pays ; les limites et barrières qui empêchent la coopération commerciale et économique entre les pays arabes devraient être supprimées, résultant de la participation superposée de ces pays en blocs économiques régionaux multiples. Ceci englobe la coordination et l’harmonisation urgente des politiques d’intégration économique.

Concernant l’aide et l’IED

Les gouvernements devraient déterminer des politiques claires permettant d’orienter l’aide et l’IED vers les domaines et secteurs qui contribuent directement à éradiquer la pauvreté, vers une augmentation des créations d’emploi, l’égalité hommes-femmes et les priorités du développement humain.

Par ailleurs, les ressources financières régionales doivent être mobilisées en faveur du développement durable, en particulier l’accès à l’infrastructure économique et sociale de base et de qualité. Les pays arabes devraient donc œuvrer pour augmenter les liquidités par des canaux régionaux. Les accords régionaux de coopération peuvent s’avérer particulièrement efficaces en raison d’une meilleure reconnaissance des externalités frontalières et leur plus forte sensibilité par rapport aux conditions particulières des pays voisins.

Comment aborder la diminution  des recettes du gouvernement

Les Gouvernements arabes pourraient augmenter leurs recettes stables par un système d’imposition juste, efficace et progressif à compléter par des systèmes pratiques de gestion des finances publiques efficaces, transparentes et responsables mis en place par des mécanismes participatifs. L’évasion fiscale devrait être abordée en apportant un soutien pour plus de transparence sur les paiements d’impôts, un standard d’information pays par pays pour les corporations multinationales et un accord réellement multilatéral pour l’échange automatique d’informations fiscales.

Concernant la coopération régionale

La crise étant mondiale, aucun pays ne peut faire face aux différentes formes de cette crise de façon individuelle d’où la nécessité de fournir un effort collectif sur la région, tant au niveau gouvernemental que privé. Repenser la coopération régionale comme une solution à la crise peut donner un puissant coup d’accélérateur à la construction d’un projet de développement alternatif davantage durable et équitable. Une telle coopération permettrait d’améliorer la coordination des politiques du travail, entre autres priorités. Dans ce contexte, il est nécessaire de décider des mécanismes de mise en place avec des délais fixés pour mener à bien les décisions prises lors du Sommet Arabe de Développement Économique et Social20.

A la lumière d’une telle orientation, il est nécessaire de revoir et réformer les mandats et mécanismes des institutions régionales existantes, entre autres les banques de développement régionales. Une telle réforme devrait servir à établir des liens plus forts entre les finances et les besoins de l’économie réelle.

En conclusion, les Gouvernements de la région arabe devraient renforcer leur coordination, permettre aux citoyens de participer à l’élaboration des priorités de développement et orienter leurs politiques sociales vers une diminution durable et équitable de la pauvreté. La convergence actuelle de la crise est l’occasion de revoir les politiques anciennes et d’encourager les actions empêchant que la crise ne se transforme en une catastrophe humaine dans la région.

1 Cet article est une version abrégée d’un document politique développé par les deux organisations à l’occasion de la Conférence de Haut Niveau de l’ONU sur « La crise économique et financière et son impact sur le développement ».

2 Iqbal, F. Sustaining Gains in Poverty Reduction and Human Development in the Middle East and North Africa. Washington DC: Banque Mondiale, 2006.

3 D’après Jacques Diouf, directeur général de la FAO, dans son discours prononcé devant le forum préparatoire du secteur privé et de la société civile pour la Conférence de Haut Niveau de l’ONU, du 19 juin 2009.

4 Organisation Internationale du Travail. Global Employment Trend Brief. Genève : OIT, 2007. Le rapport souligne la forte hausse de la main d’œuvre dans la région arabe, avec une moyenne de 3,7 % par an entre 2000 et 2005. En 2005-2007, le chômage a dépassé les 13 %, alors que les taux de chômage chez les jeunes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord étaient parmi les plus élevés au monde, l’OIT les évaluait à 25,7 % en 2003 (allant de 46 % en Algérie à 6,3 % aux Emirats Arabes Unis). Il est probable que ces données supplémentaires officielles sous-estiment le taux de chômage général et qu’elles dissimulent des taux plus élevés dans les pays les plus pauvres comme l’Egypte où un taux de 20 % équivaut à 10 millions de citoyens au chômage et à la recherche d’un travail.

5 Khan, A., Abimourched, R. y Ciobanu, R. O. “The Global Economic Crisis and the Impact on Migrant Workers”. Global Job Crisis Observatory, OIT, 2009. Disponible sur : <www.ilo.org/public/english/support/lib/financialcrisis/featurestories/story11.htm>.

6 Allisa, S. “The Challenge of Economic Reform in Arab World: Toward More Productive Economies”. Carnegie Endowment for International Peace, 2007. Disponible sur : <www.carnegieendowment.org/publications/index.cfm?fa=view&id=19147>.

7 Al-Jourchi, S. “Economic and Social Rights: Preliminary Review of International and Regional Initiatives”. Document préparé pour le Réseau Arabe d’ONG de Développement, 2008.

8 La Banque Mondiale a signalé dans plusieurs rapports que la croissance du PIB dans les pays arabes où les revenus sont faibles et la main d’œuvre abondante a été motivé par les importants flux de revenus issus du tourisme et des remises et par l’augmentation de l’IED.

9 Saif, I. y Choucair, F. “Arab Countries Stumble in the Face of Growing Economic Crisis”. Carnegie Endowment for International Peace, mai 2009. Disponible sur :
<www.carnegieendowment.org/files/economic_crisis_wc_english.pdf>.

10 Mahjoub, A. “Official Development Assistance in Arab Countries”. Document préparé pour le Réseau Arabe d’ONG de Développement en vue de sa présentation lors de la Conférence de Doha pour la Révision du Financement pour le Développement, 2008.

11 Un autre grand bénéficiaire de l’aide dans la région est l’Égypte, de 2000 à 2006, ce pays a reçu 10 % de l’AOD destinée aux pays arabes de la part du Comité d’Assistance au Développement.

12 Ibid.

13 Cette section se base sur des chiffres fournis par la Banque Mondiale (2007). Economic Developments and Prospects:Job Creation in an Era of High Growth. Washington DC : Banque Mondiale.

14 Fonds Monétaire Arabe. Joint Arab Economic Report 2006. Disponible sur (seulement en arabe) : <www.amf.org.ae>.

15 A l’heure actuelle, six pays arabes sont en voie d’accès à l’OMC. Même si cette entrée présente des avantages indéniables en termes d’accès aux marchés multilatéraux et de protection réglementée, les termes d’accès actuellement en cours de négociation minent les perspectives de développement. On a exigé de la majorité des pays pour lesquels l’entrée à l’OMC est en cours de discussion, davantage de libéralisation et la mise en oeuvre des engagements que les membres originaux de l’OMC ont dû effectuer.

16 Banque Mondiale, op. cit.

17 Ibid.

18 Saif et Choucair, op. cit.

19 Même dans un pays comme la Tunisie où le fond de sécurité sociale est considéré comme un modèle, le gouvernement se heurte à des problèmes pour répondre aux besoins des nouveaux chômeurs à la suite de la crise. Saif et Choucair, op. cit.

20 Ceci comprend la mise en place de projets convenus comme le programme d’urgence de sécurité alimentaire et les programmes sur les chemins de fer communs, la sécurité en eau, un projet d’électricité commun, la limitation du chômage, la mise en place des Objectifs de Développement du Millenium dans les pays les moins avancés de la région, l’éducation et l’accès aux soins.

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Region: 
left

La crise économique mondiale et les pays les moins avancés : préoccupations des citoyens

Publication_year: 
2009
RAPPORT ANNUEL : 
Yes
Summary: 
Ce sont les pays les moins avancés (PMA) qui souffrent le plus des conséquences de la crise économique mondiale. Celle-ci se traduit en effet par une crise alimentaire, énergétique, climatique, politique, de la dette et du développement. L’architecture financière mondiale est à remodeler dans son intégrité puisque pour les nombreuses personnes qui vivent dans la pauvreté dans les PMA, le modèle actuel de croissance économique n’a pratiquement pas fait avancer les choses. Il faut saisir l’opportunité – de cette crise économique mondiale pour susciter une véritable transformation du système mondial de façon à ce que toutes et tous aient plus de chances de mener une vie pleine de sens en toute sécurité.

Arjun Karki
LDC Watch

Ce sont les pays les moins avancés (PMA) qui souffrent le plus des conséquences de la crise économique mondiale. Celle-ci se traduit en effet par une crise alimentaire, énergétique, climatique, politique, de la dette et du développement. L’architecture financière mondiale est à remodeler dans son intégrité puisque pour les nombreuses personnes qui vivent dans la pauvreté dans les PMA, le modèle actuel de croissance économique n’a pratiquement pas fait avancer les choses. Il faut saisir l’opportunité – de cette crise économique mondiale pour susciter une véritable transformation du système mondial de façon à ce que toutes et tous aient plus de chances de mener une vie pleine de sens en toute sécurité.

Quarante-neuf pays sont actuellement désignés par les Nations Unies comme étant  « les pays les moins avancés » (PMA)1, dont la population totale s’élève à environ 750 millions de personnes. La vague croissante de la globalisation néolibérale menace sans cesse la vie et les moyens de subsistance des gens qui vivent dans les PMA. Le plus souvent, l’économie de ces pays se caractérise par une dette toujours plus importante, l’effondrement de l'économie, la faim, la violation des droits humains, notamment l’injustice entre les genres, les conflits armés, la faiblesse de la gouvernance, et la vulnérabilité inhérente liée à l’environnement.

La crise économique mondiale actuelle n’a pas ébranlé uniquement les fondations des économies les plus puissantes, les marchés boursiers et les institutions financières les plus influentes du monde ; elle a également mis en danger les petites économies des PMA déjà si fragiles, et a entraîné des millions de femmes, d’hommes et d’enfants dans la pauvreté et les privations accrues. Bien que la crise économique soit le résultat de la faillibilité des pays riches, industrialisés et développés, les PMA sont les premiers à en souffrir les pires conséquences. Dans les PMA, la crise économique a également engendré une crise alimentaire, énergétique, climatique, politique, de la dette et du développement.

Crise alimentaire

La crise alimentaire sans précédent provoquée par l’impressionnante hausse des prix a engendré des «émeutes de la faim» qui ont ébranlé plus de 30 PMA dans lesquels les travailleurs et les habitants des campagnes ne peuvent plus acheter les aliments de base pour survivre. On citera notamment les mouvements de protestation pour le prix des céréales au Cameroun, en Côte d'Ivoire, en Ethiopie, à Haïti, à Madagascar, en Mauritanie, au Mozambique, au Sénégal et dans d'autres pays d'Afrique, ainsi que les marches d'enfants affamés au Yemen2. Selon l’Organisation des Nations-Unies pour l’agriculture et l'alimentation (FAO), 22 pays seraient particulièrement vulnérables face à la récente augmentation des prix des denrées alimentaires, en raison de leur pauvreté et de leur dépendance aux importations de denrées alimentaires. En 2008-2009, l'Erythrée n'a produit qu'à peine 30 % de ses besoins alimentaires. L’Unicef a averti que la hausse des prix dans le monde pourraient affecter près de 2 millions d’Erythréens, soit plus de la moitié des habitants du pays. Les agences de l’ONU prévoient que 1,3 million de personnes vivant sous le seuil de pauvreté seront celles qui souffriront le plus. La FAO a averti que la hausse des prix « a provoqué une crise alimentaire » dans 36 pays. Selon le Programme alimentaire mondial de l'ONU, 12 des 16 pays qui souffriront le plus de la faim font partie des PMA (l’Afghanistan, Djibouti, l’Ethiopie, la Guinée, Haïti, le Libéria, la Mauritanie, le Népal, l’Ouganda, le Sénégal, la Somalie, et le Yémen)3.

Étant donné que dans les PMA, la plupart des personnes pauvres dépensent de 70 à 80 % de leurs revenus en alimentation, la hausse radicale du prix des aliments de base a eu de très graves conséquences, qualifiées par la directrice du Programme alimentaire mondial de « tsunami silencieux », entrainant notamment la misère et la sous-alimentation généralisées pour des millions de personnes. La crise alimentaire démontre que l’approche actuelle de la sécurité alimentaire orientée vers le marché et l’agro-industrie a totalement échoué pour alimenter les personnes souffrant de la faim dans les PMA. De nombreux autres facteurs, comme la promotion de l'agriculture corporative et l'introduction d'une dépendance extrême envers les produits alimentaires étrangers, le manque d'investissements productifs dans les systèmes agricoles locaux, le réchauffement de la planète, les déséquilibres commerciaux et la libéralisation commerciale ont également leur part de responsabilité dans l'insécurité alimentaire des pays en développement. Ces facteurs ont conduit à la crise actuelle et obligent des milliards de personnes à souffrir de la faim, en exacerbant la réduction radicale de la biodiversité et les ravages commis dans l’écosystème.

« Au Kenya nous avons commencé à voir les impacts de la crise fin 2008 : le tourisme a baissé, puis le chômage a augmenté. De plus, de nombreux kényans dépendent des envois de fonds des migrants établis aux États-Unis. À cause de la crise, le nombre de familles qui ne peuvent envoyer leurs enfants à l’école augmente. Les investisseurs étrangers retirent leurs projets du pays. Beaucoup de terres ne sont pas cultivées et l’eau a manqué l’année dernière. Tous ces facteurs, associés à la grande inégalité des revenus et à la corruption préexistantes, ont crée la recette idéale pour la catastrophe dont souffrent l’économie et la population du Kenya. »

Edward Oyugi (SODNET, Kenya)

L’alimentation a été déclarée un droit humain de base lors de plusieurs sommets mondiaux sur l’alimentation et par des accords internationaux, notamment dans la Déclaration universelle des droits humains, le Préambule de la Constitution de la FAO et le Pacte international des droits économiques, sociaux et culturels. Pendant presque vingt ans, au cours de réunions de haut niveau auxquelles participaient des chefs d'Etat et de gouvernement, la communauté internationale a réaffirmé à plusieurs reprises sa volonté d’éradiquer la malnutrition et d'assurer la sécurité alimentaire pour tous. La Déclaration de Rome sur la sécurité alimentaire mondiale de 1992, le Plan d'action du Sommet mondial sur l'alimentation adopté en 1996 et réaffirmé au cours de la conférence de révision cinq ans plus tard en 2002, ont promis de concentrer les efforts sur l’éradication de la faim comme première étape essentielle, et ont fixé comme objectif la réduction de moitié du nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde d’ici 20154. Lors du Sommet du millénaire (2000) et au cours d’une série de réunions de suivi, les engagements ont été réaffirmés en matière de sécurité alimentaire et de bonne nutrition pour tous. Pourtant, malgré tous les engagements assumés par les dirigeants mondiaux concernant l'urgence de la réduction de la faim et de la malnutrition, les progrès envers les objectifs et indicateurs établis par les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) ont été fort décevants, malgré de grandes avancées dans certains pays. Pour le moment, le droit humain à l'alimentation continue d'être nié, et les denrées alimentaires sont considérées davantage comme des articles commercialisables que comme un bien essentiel à la survie.

Crise climatique

La préoccupation des PMA pour les denrées alimentaires, l’eau et la sécurité énergétique s’intensifie en raison de la crise climatique qui met en péril les objectifs de croissance économique inclusive et durable du point de vue environnemental. Les PMA, qui souffrent déjà de la pauvreté, de catastrophes naturelles, de conflits armés et de limitations géophysiques, courent maintenant le risque d'impacts dévastateurs en raison du changement climatique, notamment l'augmentation de la désertification et l’élévation du niveau de la mer, des précipitations plus abondantes, une probabilité plus grande d'inondations et d'ouragans qui perpétueront les cycles de pauvreté, de manque de denrées alimentaires et d’énergie, de conflits, d’inégalité, d’endettement et de sous-développement. Si les habitants des PMA sont ceux qui souffrent le plus du changement climatique, il est rare que leurs préoccupations soient entendues voire abordées au cours des négociations officielles à quelque niveau que ce soit. Il est donc essentiel de présenter les plaintes des victimes du changement climatique des PMA lors des prochaines négociations sur le climat, notamment à la Conférence sur le changement climatique (COP15) des Nations Unies qui aura lieu à Copenhague en décembre 2009, où l’on espère aboutir à un accord sur les principes pour un nouveau traité qui pourra substituer le Protocole de Kyoto.

L’aide publique au développement (APD)

Il est également prévu une réduction des flux de l’aide publique au développement (APD) vers les PMA car les gouvernements des pays développés détournent les fonds alloués à l’APD pour relancer leurs propres économies et continuer à renflouer les institutions financières qui ont été au cœur de la crise économique. Étant donné le fort endettement des PMA, la perspective d'une réduction des flux de l’aide oblige les gouvernements des PMA à maintenir un équilibre entre l’investissement pour le développement et le remboursement des prêts, entraînant une diminution des ressources destinées aux besoins du développement. Pour les PMA, il s’avère donc de plus en plus difficile de subvenir aux besoins économiques de base et aux droits sociaux et culturels de leurs populations.

Envois de fonds et emploi à l'étranger

Les envois de fonds vers les PMA de la part de ceux qui travaillent dans d’autres pays sont également en diminution, les travailleurs migrants ayant perdu leurs emplois en raison de la récession économique dans les pays où ils résident. Le FMI prévoit une chute d'entre 4 et 8 % pour 2009. Les envois de fonds sont particulièrement importants pour des pays comme Haïti, le Lesotho et le Népal, où ils représentent plus de 15 % du revenu national brut (RNB). De même, les industries d'exportation des PMA, comme l'industrie vestimentaire, réduisent voire stoppent leur production en raison de l’effondrement économique.

La diminution des envois de fonds s’est également fait sentir dans les PMA du Pacifique, comme Samoa, Tuvalu et Kiribati, en raison du ralentissement du marché du travail et de l'augmentation du chômage dans les pays d'accueil, en particulier les États-Unis, la Nouvelle-Zélande et l'Australie. Le taux déjà élevé de chômage dans les PMA augmentera probablement encore dans un avenir proche, ce qui aura pour conséquences des conflits socioéconomiques et un malaise politique. Dans le cas des PMA qui ont investi dans la mise en place de marchés financiers offshore comme source de revenu du gouvernement, comme à Tuvalu et Kiribati, la valeur des fonds d’investissement établie devrait diminuer tant que les bourses mondiales resteront instables.

Au Sénégal, un des PMA africains, les envois de fonds représentent jusqu’à 10 % du PIB. En 2008, ils ont été estimés à près d’un milliard d’euros (635.600 millions de francs CFA), soit plus de 11 % du PIB pour cette année-là. La diminution des envois de fonds réduit la consommation des foyers dans de nombreuses régions, sans oublier le nombre de travaux publics et de projets de construction en pleine récession. De plus, les réductions des services du gouvernement engendrent plus de privations et de difficultés pour les femmes et les enfants, notamment en termes de santé, d'éducation, de moyens de subsistance et de sécurité alimentaire.

Exportations

En Afghanistan, les principaux produits d’exportation, comme les tapis et les peaux de mouton, sont durement touchés par la crise financière. Les exportations de tapis ont chuté de 25 % et les peaux de mouton soyeuses connues sous le nom de Karakul ont chuté de 20 %, selon l’Agence afghane de l'aide à l'investissement (une agence de promotion des exportations). Les moyens de subsistance de plus de 50 % de la population dans les provinces du Nord dépendent de la production de tapis. L’industrie de la peau de mouton a déjà souffert des conséquences d’une année de sécheresse, et la charge financière augmente pour les agriculteurs avec la baisse de la demande pour ce produit à niveau international.

En Éthiopie, les revenus des importations ont diminué cette année de 803 milliards de dollars. Le ministère de l’Industrie et du Commerce a confirmé que la crise économique mondiale actuelle a touché le marché des exportations des produits éthiopiens, notamment le café et les graines oléagineuses. Les principaux producteurs sont le plus souvent de petits agriculteurs qui seront directement affectés.

Les perspectives d’avenir

Cette situation qui appauvrit et rend encore plus vulnérables des millions de personnes des PMA exige des actions immédiates et urgentes. Pour surmonter la crise économique mondiale et créer un environnement propice au développement dans les PMA, il s'avère essentiel que la communauté internationale et les gouvernements des PMA se mettent d’accord pour combattre ensemble les impacts de la crise économique dans ces pays.

Cela ne sera possible qu’avec une transformation fondamentale de l’architecture financière mondiale. Le terrible échec du système actuel a montré non seulement ses faiblesses, mais il met également en évidence l’échec des efforts actuels pour le développement. Pour de nombreux habitants des PMA qui vivent dans la pauvreté, le modèle actuel de croissance économique n'a pratiquement rien apporté. Dans cette recherche de solutions aux problèmes créés par la crise économique, les actions détaillées ci-dessous s’avèrent absolument cruciales.

1. Ouverture des marchés des pays développés aux exportations des PMA sans conditions. Il s’agit d’une mesure nécessaire pour la promotion d’un commerce juste et pour soutenir les économies des PMA afin que celles-ci puissent se régénérer et s’accroître. Selon le rapport du groupe de travail ONU-ODM-Gap 2008, seules 79 % des exportations des PMA peuvent accéder hors taxes aux marchés des pays développés. Selon la Déclaration ministérielle 2005 de l’OMC, les exportations des PMA (hormis les armes et le pétrole) doivent être exonérées d’impôts à hauteur de 97 % des lignes tarifaires.

2. Il est urgent de transformer et de restructurer la gouvernance des Institutions financières internationales (IFI) afin de promouvoir la reddition de comptes dans le secteur public ainsi que la transparence, selon les besoins des PMA. De plus, pour assurer un système financier plus équitable, démocratique et durable, la participation démocratique de tous les pays aux négociations avec les IFI et les institutions monétaires, les Nations Unies restant au centre, est essentielle.

3. Afin d’affronter la crise économique dans les PMA, il faut annuler immédiatement, sans conditions et irréversiblement l’ensemble des dettes. Pour faciliter ce processus, il est urgent de mettre en place un mécanisme qui procède de façon intégrale, et qui soit à la fois applicable à niveau international, transparent et impartial.

4. De la même façon, la mobilisation équitable des ressources financières nationales et internationales est essentielle pour parvenir à un développement durable dans les PMA, notamment pour ce qui concerne l’accès à l’infrastructure économique et sociale de base et à la protection sociale. Il convient de mettre en œuvre sans plus attendre les recommandations du CAD de l’OCDE de 2001 sur le déliement de l’aide aux PMA5.

5. Il est urgent d’augmenter les flux de l’aide aux PMA afin de leur permettre de faire face à la crise économique et de promouvoir le développement. Malgré le Consensus de Monterrey de 2002 sur le Financement pour le développement, qui exigeait aux pays développés de faire de toute urgence des « efforts concrets pour atteindre l’objectif de 0,7 % du produit national brut (PNB) alloués à l'APD pour les pays en développement », et consacrer pour 2010 entre 0,15 % et 0,20 % de leur PNB aux PMA, conformément aux accords de la Plate-forme d'action de Beijing, quelques pays semblent avoir ignoré ces objectifs ou ont échoué dans leur tentative pour les atteindre.

6. Les PMA ont besoin d’un ensemble de mesures spéciales de relance sous forme de subventions pour pouvoir combattre les impacts de la crise économique. Si aucune mesure n'est prise, on assistera à une augmentation des atrocités et des violations aux droits humains dans ces pays. Dans un tel contexte, les recommandations émises par la Commission d’experts établie par le président de l’Assemblée générale des Nations Unies (connue sous le nom de « Commission Stiglitz ») concernant la réforme du système monétaire et financier international sont les bienvenues. En outre, il est nécessaire d’inclure dans une réforme fondamentale de l’architecture financière internationale la création d’un système mondial de réserves ainsi que d’un conseil mondial de coordination économique au sein de l’ONU. De même, les engagements internationaux doivent immédiatement être respectés afin de pouvoir aborder les causes sous-jacentes de la crise économique mondiale, et respecter les objectifs de développement convenus au niveau international, et notamment le Programme d’action de Bruxelles, les OMD et l’Agenda d’Accra pour l’Action sur l’efficacité de l’aide aux PMA. Il serait pertinent d’attirer l’attention de la communauté internationale sur le fait qu’un échec dans l’atteinte des objectifs des OMD dans les PMA signifierait leur ruine complète.

Conclusion

Le monde globalisé dans lequel nous vivons exige de nouvelles approches globales. Si nous prétendons atteindre les objectifs auxquels nous proclamons aspirer, nous devons nous assurer que ce que nous faisons pour remédier aux conséquences dévastatrices de la crise économique mondiale actuelle serve également à obtenir une véritable transformation du système mondial, et que tous les habitants de la planète puissent mener une vie pleine de sens et en toute sécurité. Le succès dépendra de la façon dont nous aborderons les besoins des populations confrontées aux plus grands défis, en particulier de celles qui vivent dans les PMA.

1              Critères d’identification des PMA : Lors de la révision de 2006 de la liste des PMA qui a lieu tous les trois ans, le Comité des politiques de développement (CPD) des Nations-Unies a utilisé les trois critères suivants pour identifier ces pays :
 (i) Un critère de faibles revenus, calculé d'après une estimation moyenne du revenu national brut (RNB) par habitant sur trois ans (le seuil d'inclusion est de 745 USD et le seuil de radiation de la liste est de 900 USD)
(ii) Un critère de l’état du capital humain, mesuré par un Indice du capital humain (ICH) calculé à l’aide de quatre indicateurs: (a) nutrition : le pourcentage de la population qui souffre de malnutrition, (b) santé : le taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans, (c) éducation : le ratio brut de scolarisation au niveau secondaire et (d) le taux d’alphabétisation des adultes
 (iii) Un critère de vulnérabilité économique, mesuré par un Indice de vulnérabilité économique (IVE) qui est calculé à l’aide de  : (a) la taille de la population, (b) le degré d'isolement, (c) la concentration des exportations de marchandises, (d) la part de l’agriculture, de la sylviculture et de la pêche dans le PIB, (e) le nombre de sans-abris à la suite de catastrophes naturelles, (f) l'instabilité de la production agricole, et (g) l'instabilité de l'exportation de biens et services.
Pour être ajouté à la liste, un pays doit satisfaire les trois critères. En outre, comme la notion fondamentale de PMA – la reconnaissance de faiblesses structurales – exclue les grandes économies, la population ne doit pas dépasser 75 millions. Pour être radié de cette liste, un pays doit atteindre les seuils de radiation prévus pour deux des trois critères, ou son PIB par habitant doit atteindre au moins le double du niveau seuil, et la probabilité de durabilité du niveau de PIB par habitant doit être élevée. Voir : <www.un.org/ohrlls>.
En ce qui concerne l'examen triennal de 2006, le CPD a émis la recommandation d’inclure la Papouasie Nouvelle-Guinée dans la liste et d’en radier le Samoa. Il a été envisagé pour la première fois de radier de la liste la Guinée équatoriale, Kiribati, Tuvalu et Vanuatu. Lors de récentes résolutions (59/209, 59/210 et 60/33), l’Assemblée générale avait décidé de radier le Cap Vert fin 2007 et les Maldives en janvier 2011. Fin 2007, le Cap Vert est devenu le deuxième pays radié du groupe des PMA depuis sa mise en place en 1974. Le Botswana avait abandonné le groupe en 1994.

2             Martin Khor, “Global Trends,” The Star Online, 14 avril 2008; voir “LDC Watch: Food Crisis: Defending food sovereignty in LDCs,” 2008. Disponible sur : <www.ldcwatch.org>.

3             Voir PAM, “Cash roll-out to help hunger hot spots”, Rome, 12 août 2008. Disponible sur : <wfp.org/english/?ModuleID=137&Key=2899> ; “UN System Response to the World Food Security Crisis (septembre 2008)”. Disponible sur : <www.un.org/esa/sustdev/publications/trends_Africa2008/indx.htm>.

4             Voir FAO, “Conférence internationale sur l’alimentation”, Rome, 1992 ; FAO, “Plan d'action du Sommet mondial de l'alimentation”, 1996 ; FAO, “Déclaration du Sommet mondial de l’alimentation : cinq ans après”, 2002. Disponible sur : <www.fao.org/worldfoodsummit/french/index.html>.

5              Les Recommandations du CAD de 2001 sur le déliement de l’APD aux PMA ont été amendées le 15 mars 2006, et plus récemment en juillet 2008, avec l’extension du champ d’application des Recommandations aux pays de l'initiative PPTE (pays pauvres très endettés) ne faisant pas partie des PMA. Voir : <http://www.oecd.org/cad/deliement >.

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Region: 
left

Les obligations des entreprises transnationales envers les droits humains et le rôle de la société civile

Publication_year: 
2009
RAPPORT ANNUEL : 
Yes
Summary: 
Les organisations de la société civile utilisent diverses méthodes pour que les corporations se responsabilisent envers leurs obligations relatives aux droits humains et à l’emploi. Ces initiatives et mécanismes prétendent, à divers degrés d’efficacité, promouvoir et protéger les droits humains et du travail les plus fondamentaux. Quand bien même il ne s’agirait que d’une première tentative pour aborder les faiblesses inhérentes au modèle unilatéral et volontaire de la Responsabilité sociale de l’entreprise, la seule solution réellement efficace consisterait en une modification de paradigme, tant dans le cadre des droits humains pour les corporations qu'au sein du modèle économique en général.

Jana Silverman,
Social Watch
Álvaro Orsatti,
Confédération syndicale des Travailleurs et Travailleuses des Amériques

Les organisations de la société civile utilisent diverses méthodes pour que les corporations se responsabilisent envers leurs obligations relatives aux droits humains et à l’emploi. Ces initiatives et mécanismes prétendent, à divers degrés d’efficacité, promouvoir et protéger les droits humains et du travail les plus fondamentaux. Quand bien même il ne s’agirait que d’une première tentative pour aborder les faiblesses inhérentes au modèle unilatéral et volontaire de la Responsabilité sociale de l’entreprise, la seule solution réellement efficace consisterait en une modification de paradigme, tant dans le cadre des droits humains pour les corporations qu'au sein du modèle économique en général.

La crise financière et économique qui frappe actuellement le monde n’est pas simplement une nouvelle récession cyclique de caractère endémique du système capitaliste. Celle-ci incarne en fait un effondrement spectaculaire du modèle économique néolibéral. La mise en œuvre de ce modèle, qui imposait la dérégulation du secteur financier, la libéralisation commerciale et la privatisation des entreprises et des organismes de l’Etat, a entrainé, outre la déstabilisation des marchés mondiaux, l'instauration d'un sévère déséquilibre mondial de pouvoir entre les travailleurs, les entreprises privées et les Etats.

En pleine période de croissance du néolibéralisme, de nombreuses entreprises ont profité du progrès des communications et de l'infrastructure des transports, des réglementations nationales laxistes et de la vente des actifs lucratifs de l'Etat pour se transformer en de gigantesques conglomérats transnationaux présents dans le monde entier, obtenant dans le même temps des bénéfices sans précédent. Leur pouvoir économique leur a donné une influence politique énorme dans les pays en développement qui convoitaient les investissements directs étrangers. Ces pays ont tenté de rendre leurs territoires « plus attractifs » pour les multinationales, renforçant la législation sur la protection des investissements et affaiblissant les lois du travail et de l’environnement. Si bien que, outre les conséquences économiques, la prolifération des investissements des entreprises multinationales dans les pays en développement a également, au cours de ces dernières décennies, profondément touché le domaine social et environnemental, à tel point que certaines multinationales se sont rendues complices de graves violations des droits fondamentaux : humains, sociaux, environnementaux et du travail.

Corporations transnationales et obligations en matière de droits humains

En règle générale, les entreprises – en particulier les compagnies transnationales – sont des entités privées non gouvernementales, soumises uniquement aux lois nationales du pays dans lequel se trouve leur siège central ou à celles qui régissent les pays dans lesquels elles ont effectué des investissements. Même si ces compagnies ont parfois une présence significative dans de nombreux pays, techniquement elles ne sont pas considérées comme des personnes morales sur le plan international – statut qui se limite aux Etats et à quelques organisations intergouvernementales comme l'Union européenne ou l'ONU. Cela signifie globalement que les entreprises ne sont pas assujetties aux droits et obligations de la loi internationale, y compris la loi internationale sur les droits humains.

Cependant, dans la pratique, on revient progressivement sur cette interprétation. Des universitaires contemporains plaident pour concéder aux entreprises transnationales des droits néo-féodaux ou corporatifs1. Plusieurs traités internationaux – notamment les accords bilatéraux et multilatéraux sur le commerce et les investissements – octroient aux entreprises transnationales des droits spécifiques qui peuvent être réclamés devant les tribunaux du pays d’accueil ou les tribunaux internationaux d’arbitrage2. Par exemple, les dispositions du chapitre 11 du Traité de libre commerce d’Amérique du Nord permet aux investisseurs de porter plainte directement contre les Etats participants pour violation présumée des conditions d’investissement du traité. De la même façon, de nombreux traités d’investissement bilatéraux comprennent des mécanismes qui permettent aux compagnies de porter plainte contre les Etats signataires devant des tribunaux d'arbitrage, comme le Centre international pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements, pour expropriation, pertes dues à des perturbations civiles et restrictions sur le rapatriement de capitaux et autres3. Les implications de ces clauses sont profondes. Depuis 1995, plus de 370 traités commerciaux bilatéraux et multilatéraux ont été signés et plus de 1500 traités d’investissement bilatéraux conclus, concernant pratiquement toutes les principales économies du monde4. Ces accords confèrent aux corporations des droits supranationaux, sans concéder pour autant les droits respectifs aux personnes affectées par leurs actes.

Aujourd’hui, les obligations se référant à la promotion et la protection des droits humains commencent à être effectives, tant dans la théorie que dans la pratique, plus explicites pour les acteurs non publics – comme les entreprises commerciales. Par exemple, le préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme appelle à ce que « chaque individu et chaque organe de la société » défende et œuvre pour les principes contenus dans la Déclaration. Selon les experts légaux, cette obligation inclut l'ensemble des personnes et des entités légales telles que les entreprises5. D’autres standards internationaux dans le domaine de la « loi douce » imposent directement aux entreprises des obligations sur les droits humains, notamment la Déclaration tripartite de l’OIT, formulée en 1977, et les lignes directrices de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur les entreprises multinationales (adoptés en 1976 et révisés en 2000).

« Les impacts de la crise se manifestent par des licenciements massifs dans les banques étrangères, telles que la BBVA, la banque Santander et la HSBC. Nos droits en tant que travailleurs nous ont été retirés. Les personnes endettées ont aussi senti les impacts et le sentent encore. On leur retire leur logement quand ils sont incapables de payer. On emploie pour cela les forces militaires de l’État dont le rôle est d’assurer la sécurité, pas celui de jeter à la rue une pauvre et humble famille qui possède un toit mais qui n’a pas de quoi payer ».

Janio Romero, Leader syndical de l’Union Nationale des Employés de Banque, Colombie

De plus, un nombre croissant de compagnies conçoivent et mettent en pratique des politiques spécifiques sur les droits humains. Selon le Centre d'information sur les entreprises et les droits humains6, plus de 240 entreprises ont stipulé leurs propres directives et plus de 5200 compagnies font partie des membres actifs du Pacte mondial de l’ONU7, une initiative multisectorielle qui engage les entreprises à respecter les principes universels relatifs aux droits humains, environnementaux et du travail, ainsi qu’aux pratiques d'anticorruption.

Société civile et Responsabilité sociale des entreprises (RSE)

La modification de la relation entre entreprises et droits de l’homme est étroitement liée à l'apparition de la RSE, définie par la Commission européenne comme un « concept dans lequel les entreprises intègrent les préoccupations sociales, environnementales et économiques dans leurs activités commerciales et dans leurs interactions avec d’autres agents intéressés, sur une base volontaire »8. Bien que depuis au moins les années 1950, certaines compagnies aient mis en pratique des programmes philanthropiques au profit de leurs employés, des communautés locales et de la société en général, le concept actuel est différent. Il encourage l’incorporation des droits humains, sociaux et environnementaux comme partie intégrante des stratégies des entreprises, non dans le but de répondre à un impératif moral ou éthique sinon tout simplement en tant que bonne pratique d'entreprise pouvant minimiser les risques et améliorer les performances de la compagnie.

Ce changement dans le concept et la pratique de la RSE n'est pas apparu suite à un changement spontané d’opinion au sein de la communauté patronale. C’est le résultat du travail de journalistes et d’organisations de la société civile qui ont révélé les graves violations envers les droits, commis directement ou non par les acteurs des entreprises, entraînant des protestations généralisées et demandant un plus grand contrôle social des entreprises. Parmi les premières initiatives de la société civile exigeant que les entreprises responsables d'abus envers les droits rendent des comptes, nous pouvons mentionner les campagnes innovantes du début des années 1990 faisant trait à la faute professionnelle commise par Nike en Indonésie et dans d'autres pays du sud-est asiatique, ou encore à la complicité de la Royal Dutch Shell dans l'exécution de Ken Saro Wiwa et d'autres activistes des droits humains au Nigéria. On peut mentionner parmi les campagnes les plus récentes les dénonciations contre Coca-Cola au sujet de la participation supposée de son personnel d’embouteillage à l’assassinat de dirigeants syndicaux en Colombie.

La réaction typique des entreprises sous examen a été, dans de tels cas, d’essayer d'atténuer les dommages envers leurs travaux d’exécution et leur image en établissant des principes et des pratiques telles que des « codes de conduite » et « rapports de durabilité » pour éviter que de tels faits ne se reproduisent. Beaucoup d’entreprises n’ayant été que peu affectées par ce type de campagne ont tout de même adopté des mesures similaires. Ainsi en 2008, plus de 1000 compagnies ont publié des rapports détaillés sur leur performance sociale et environnementale, appliquant les directives de la Global Reporting Initiative9.

Malgré la diversité d’initiatives de ces dernières années, elles ont pour la plupart été volontaires, unilatérales et sans mécanismes obligatoires qui puissent être utilisés pour invoquer des sanctions réelles et non seulement morales, en cas de complicité de l'entreprise dans la violation des droits. C’est pour cela qu’un large segment de la société civile, y compris les syndicats, les organisations de droits humains et les groupes écologistes, tend à considérer ces initiatives de responsabilité d'entreprise avec scepticisme, en tant que mécanismes permettant d'améliorer l'image publique des entreprises mais sans aborder les problèmes de fond, dérivés de leurs pratiques sociales et environnementales. Ceci dit, de nombreux groupes de la société civile utilisent le concept de responsabilité des entreprises en ce qui concerne leurs obligations en matière de droits humains, environnementaux et de travail, comme définies dans les normes internationales et les lois nationales.

Les organisations de la société civile doivent relever des défis fondamentaux lorsqu'elles tentent d'obtenir des réparations pour violation des droits humains soutenue ou fomentée par les corporations multinationales, notamment le manque de mécanismes légaux dans la juridiction du pays d’accueil aux lois nationales laxistes, des systèmes de justice inefficaces, un manque de volonté politique pour poursuivre en justice les investisseurs, ou une combinaison de tous ces obstacles. Malgré tout, depuis 1992, de nombreux procès civils ont été intentés contre les corporations transnationales avec la disposition peu utilisée d’une loi des États-Unis appelée Alien Tort Claims Act (ATCA), qui a été invoquée et réaffirmée dans les années 1980 pour un cas qui impliquait des individus10, et l’approbation ultérieure de la Loi de protection des victimes de torture11. Si on se base sur le précepte de juridiction universelle pour les délits concernant la « loi des nations », cette législation donne aux tribunaux des États-Unis le droit de prononcer un jugement en cas de violations graves aux droits humains, indépendamment de l’emplacement et de la nationalité des auteurs et de leurs victimes. Entre 1993 et 2006 plusieurs ONG, comme International Labor Rights Fund, Earthrights International et Center for Constitutional Rights, ont intenté 36 procès basés sur l’ATCA contre des entreprises multinationales dans les tribunaux fédéraux des Etats-Unis, dénonçant la complicité supposée des entreprises dans des cas de violation des droits humains.

Cependant, pour le moment, aucune entreprise n’a été jugée coupable en vertu de l’ATCA. Sur les 36 cas présentés, 20 ont abouti à un non-lieu12, certains parce que les délits commis n’entraient pas dans le domaine légal (qui ne s’applique que pour les violations de normes « spécifiques, universelles et obligatoires » comme la torture, le génocide, les délits de lèse humanité et les exécutions sommaires), et d’autres pour des raisons liées à l’existence d’une loi de prescription applicable pour ces cas ou l’impossibilité de présenter des preuves suffisantes associant l’entreprise au délit commis. Plusieurs entreprises, notamment Drummond Mining et Chevron, ont été jugées non coupables par le jury. Pour les autres cas, les entreprises ont abouti à un accord à l’amiable ou bien le procès est actuellement en cours.

L’aspect positif de cette situation est que les accords privés effectués à l’amiable, comme dans le cas mentionné ci-dessus du procès contre Shell pour l'assassinat des activistes nigérians, se sont avérés exemplaires : l’entreprise a accepté de payer 15,5 millions d’USD aux familles des victimes13. En règle générale, même si l’ATCA n’a pas encore créé de véritable effet dissuasif dans les corporations potentiellement impliquées dans les abus des droits humains, elle a tout de même établi un précédent important pour l'utilisation de mécanismes légaux innovateurs basés sur la juridiction extraterritoriale qui pourraient ouvrir la voie à la création de nouvelles instances comme un « Tribunal criminel international » qui apporteraient des réponses aux victimes de violations graves des droits humains commises par des entreprises commerciales.

Syndicats et instruments de RSE

L’expérience des syndicats dans l’utilisation d’instruments de RSE provient d’une stratégie définie par la Confédération syndicale internationale (CSI) dans le domaine international. Selon cette stratégie, les compagnies ont « une responsabilité interne » envers leurs employés qui devrait être réglementée et de caractère obligatoire. Les mécanismes de mise en œuvre comprennent la Déclaration tripartite de l’OIT, les lignes directrices de l’OCDE sur les multinationales et les accords-cadres internationaux (ACI) issus des négociations entre les Fédérations syndicales internationales et les entreprises multinationales.

« J’ai commencé à travailler dans une grande compagnie de production cinématographique et de publicité, qui a ouvert une filiale ici en Argentine en 2007. Quand la crise a éclaté, tout a commencé à se compliquer. Le travail a beaucoup diminué et on a même passé un mois sans rien filmer. En janvier, ils m’ont prévenu qu’ils allaient me licencier. J’ai reçu l’indemnisation correspondante et je me suis mise à chercher du travail. Depuis ce temps je n’ai rien trouvé de correct. Le peu qu’il y a, c’est pratiquement du travail d’esclave de 8 ou 9 heures pour un salaire dérisoire. Mes économies fondent et je vis seule dans un appartement en location, je dois donc trouver quelque chose au plus vite. Que devenir sinon ? ».

Jeune travailleuse de Buenos Aires, Argentine

On estime que les Fédérations syndicales internationales ont signé environ 70 ACI, bien qu’il n’existe aucun registre centralisé et actualisé14. Ces accords sont fondés sur la « responsabilité sociale interne » des entreprises, et ont un lien étroit avec les normes de l’OIT. La Fédération syndicale internationale des organisations de travailleurs de la métallurgie (FIOM), le Syndicat mondial des compétences et des services (UNI), la Fédération internationale des syndicats de travailleurs de la chimie, du pétrole, des mines et des industries diverses (ICEM selon son sigle en anglais) et l’Internationale des travailleurs du bâtiment et du bois (IBB) sont celles qui participent le plus – à hauteur de 80 % du total – aux négociations pour ces accords. Les Fédérations syndicales internationales participent également à d'autres types de travail avec des entreprises et des instituts coparrainés par des organisations d'entreprises, comme ce qui est fait avec la Fédération internationale de journalistes (FIJ), et avec les forums multisectoriels, notamment celui sur la production de café auquel participe la Fédération internationale de producteurs agricoles (FIPA). Au niveau sous-régional, d’autres accords-cadres ont également été convenus.

Une fois signés, les ACI peuvent être utilisés de différentes façons. Les compagnies tendent à les utiliser comme preuve de leur engagement envers la responsabilité de l’entreprise, d’autant que leur signature et leur respect sont à caractère volontaire. Le mouvement syndical et plusieurs universitaires européens remettent en question cette perspective, avec pour objectif l'élaboration d'une stratégie qui rende les contenus des accords-cadres inaliénables. En attendant, les plaintes syndicales de pratiques d’entreprises qui violent les clauses d’un accord cadre obligent quelquefois les entreprises multinationales à modifier leurs politiques, leur faisant par exemple accepter la formation de syndicats dans leurs filiales étrangères.

Les 30 pays membres de l’OCDE ont adopté les Lignes directrices pour les entreprises multinationales, ainsi que neuf pays observateurs, notamment l'Argentine, le Brésil, le Chili et le Pérou en Amérique latine. Cet instrument inclut un mécanisme de plaintes explicite qui peut être activé lorsqu’une violation envers l’esprit et la lettre d’une clause des Lignes directrices est identifiée. Celles-ci couvrent un large éventail de sujets : outre les droits du travail, les clauses recouvrent l'environnement, les droits des consommateurs, les sciences et technologies et la concurrence. Les plaintes sont déposées devant des « points de contact nationaux » que les États doivent obligatoirement mettre en place. Les Lignes directrices demandent aux entreprises de se conformer à leurs exigences de façon volontaire, ce qui signifie qu'elles peuvent ignorer les efforts de médiation des États face aux plaintes déposées par une des parties intéressées. Cependant, une fois le processus terminé, le point de contact national peut rendre publiques les actions négatives de l’entreprise et les critiques émises à son encontre. Par conséquent, le recours au mécanisme de plaintes des Lignes directrices est très similaire au jugement rendu par la Commission d'experts de l'OIT. Si les employeurs affirment souvent que ce mécanisme va largement au-delà de son concept de RSE, il est largement reconnu non seulement par les organisations de la société civile mais aussi par les Etats des pays de l'OCDE.

A l'heure actuelle, environ 200 plaintes ont été déposées devant les points de contact nationaux, dont 80 % ont été déposées par des syndicats. Selon la Commission syndicale consultative (CSC ou TUAC selon son sigle en anglais), les demandeurs ont obtenu des résultats satisfaisants dans presque la moitié des cas. Fin 2008, en Amérique latine, on comptait 24 plaintes déposées par des syndicats et 10 autres par des ONG. La proportion de plaignants ayant obtenu satisfaction a été similaire à celle obtenue à niveau mondial.

La Confédération syndicale de travailleurs et travailleuses des Amériques (CSA), créée en mars 2008 et dont le siège se trouve à Sao Paulo, a élaboré une stratégie explicite concernant la RSE qui se base sur celle de la CIS. Elle travaille avec les fédérations de Syndicats mondiaux et le TUAC sur des questions liées aux accords cadre internationaux et aux normes de l'OCDE, en apportant notamment son soutien aux organisations syndicales en testant les mécanismes de plaintes de ces instruments. Elle a également offert à l’OCDE Watch de coordonner le travail sur les Normes. De plus, elle a organisé des campagnes de réponse au concept de responsabilité sociale lancé par la Banque interaméricaine de développement. La CSA, avec la collaboration des fédérations de Syndicats mondiaux, la Fondation Friedrich Ebert en Amérique latine et quelques ONG du secteur, a créé un Groupe de travail sur les Entreprises transnationales pour développer de nouveaux concepts et de nouvelles stratégies envers les perspectives syndicales.

Le besoin d’un changement de paradigme

Bien que les mécanismes présentés ci-dessous n'aient pas tous la même efficacité pour protéger et encourager les droits humains et les droits du travail fondamentaux que les entreprises ont l'obligation de préserver, ils ont au moins le mérite de s'intéresser aux faiblesses inhérentes au modèle unilatéral et volontaire de la RSE. S'il est vrai qu'on peut soutenir que c’est la génération d'initiatives entreprises par les compagnies suivant ce modèle qui a favorisé l’introduction des sujets des droits humains dans la culture des entreprises, pour la société civile, ces mesures ne se substituent en rien à des lois de droits humains irrévocables au niveau national, qui soient cohérentes avec les normes internationales et soient accompagnées par les systèmes judiciaires solides, indépendants permettant aux victimes d'obtenir des compensations concrètes. Malheureusement, de nombreux gouvernements choisissent de ne pas entreprendre d’actions fortes pour exiger des entreprises responsables de violations de leurs obligations de droits humains de rendre des comptes, par peur de voir l’investissement étranger partir vers des pays plus permissifs envers le respect des droits humains. Cette situation engendre une « course vers le bas », une concurrence entre pays et entreprises pour réduire les normes réglementaires, avec des conséquences déplorables envers la promotion et la protection des droits humains et des normes de travail.

Malgré cette tendance, la protection des droits humains doit être un jeu à somme nulle. La solution consiste à changer les paradigmes du cadre des droits humains pour les entreprises et du modèle économique en général. Un traité international exhaustif formulé au sein du système des droits humains de l’ONU pourrait clarifier les obligations des entreprises envers les droits humains que les centaines d'initiatives de RSE des vingt dernières années ont rendues opaques, et mettre en place des mécanismes obligatoires de compensation des victimes dès lors qu'il s'avère impossible de porter devant les tribunaux les entreprises contrevenantes selon les juridictions nationales. Un pas en avant a été fait avec le cadre conceptuel proposé en 2008 par John Ruggi, Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU au sujet des entreprises et des droits humains, basé sur l'obligation de gouvernement de protéger les droits, sur la responsabilité de l'entreprise à respecter les droits, et la nécessité pour les victimes d’avoir accès à des moyens efficaces de remédier aux abus. Cependant, il faudra doter ce cadre de mécanismes efficaces favorisant sa mise en place.

De plus, il faudra une transformation plus considérable pour inverser l’impact négatif du modèle économique néolibéral imposé dans les pays en développement ces dernières années. Il convient de revitaliser le rôle de l'État en tant que modélisateur et régulateur actif des politiques économiques et sociales, élaborer des chemins endogènes vers le développement, basés sur le renforcement des marchés internes et la capacité productive nationale. Ce modèle romprait le cercle de dépendance des investissements de multinationales peu scrupuleuses. La crise économique et financière actuelle remet en question la « générosité » du secteur privé et souligne les défauts inhérents au modèle néolibéral. Cela pourrait devenir une opportunité historique pour établir un pacte social entre les entreprises, les travailleurs, les consommateurs et l’État, générant ainsi un nouveau modèle économique basé sur les droits humains et le développement durable. Il est de notre devoir de ne pas laisser passer une telle opportunité.

 

 

1 Voir : Teitelbaum, Alejandro (2007). Al margen de la ley: Sociedades transnacionales y derechos humanos, Bogota : ILSA, p. 31.

2 Ibid.

3 Damrosch, Lori (ed.) (2001). International Law, St. Paul, USA: West Publishing, pp. 809-12.

4 Adlung, Rudolph et Molinuevo, Martín (2008). Bilateralism in Services Trade: Is There Fire Behind the (BIT) Smoke? Genève : Organisation Mondiale du Commerce, pp. 1-2.

5 Avery, Christopher, Short, Annabel et Tzeutschler Regaignon, Gregory (2006). “Why all companies should address human rights”. Disponible sur : <www.cca-institute.org/pdf/averybusiness%26humanrights.pdf>.

6 Voir : <www.business-humanrights.org/Documents/Policies>.

7 Voir : <www.unglobalcompact.org/ParticipantsAndStakeholders/search_participant.html>.

8 Comission européenne (2009). “What is CSR?”. Disponible sur : <ec.europa.eu/enterprise/csr/index_en.htm>.

9 Global Reporting Initiative. “Number of Companies Worldwide Reporting on their Sustainability Performance Reaches Record High, Yet Still a Minority”. Disponible sur : <www.globalreporting.org/NewsEventsPress/PressResources/PressRelease_14_July_2006_1000GRIReports.htm>.

10 Filartiga v. Pena-Irala, 630 F.2d 876 (Segundo Distrito, 1980).

11 Loi de protection des victimes de la torture, approuvée le 12 mars comme Loi publique No. 102-256, elle prévoit le jugement de toute personne qui en soumet une autre à la torture, une fois épuisées toutes les instances locales. Voir : <www.derechos.org/nizkor/econ/TVPA.html> y <www.derechos.org/nizkor/econ/ACTA.html>.

12 Baue, Bill. “Win or Lose in Court” en Business Ethics, Summer 2006, p. 12.

13 Kahn, Chris (2009). “Settlement Reached in Human Rights Cases against Royal Dutch Shell”. Disponible sur: <www.globalpolicy.org/international-justice/alien-tort-claims-act-6-30/47879.html>.

14 Voir : <www.global-unions.org/spip.php?rubrique70>.

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enterprises2009_fran.pdf83.91 KB
Region: 
left

L’égalité de genre et la crise financière

Publication_year: 
2009
RAPPORT ANNUEL : 
Yes
Summary: 
L’égalité entre femmes et hommes doit être un élément essentiel dans le développement de mesures et de politiques pour lutter contre la crise financière alors que celle-ci commence à s’installer dans les secteurs où dominent les femmes et que le taux de violence contre les femmes augmente. Une analyse de genre est nécessaire afin de comprendre la profondeur et la portée de la crise et de pouvoir élaborer les réponses adéquates. Cependant, bien que la crise oblige à relever ces défis, elle représente aussi une occasion de renforcer le pouvoir et le leadership des femmes, comme cela s’est déjà vu dans certains pays où celles-ci ont surgi comme dirigeantes.

Nancy Baroni
Canadian Feminist Alliance for International Action
Mirjana Dokmanovic, PhD
Association Technology and Society, Serbia y Women in Development Europe (WIDE)
Genoveva Tisheva
Bulgarian Gender Research Foundation y Bulgarian-European Partnership Association
Emily Sikazwe
Women for Change

L’égalité entre femmes et hommes doit être un élément essentiel dans le développement de mesures et de politiques pour lutter contre la crise financière alors que celle-ci commence à s’installer dans les secteurs où dominent les femmes et que le taux de violence contre les femmes augmente. Une analyse de genre est nécessaire afin de comprendre la profondeur et la portée de la crise et de pouvoir élaborer les réponses adéquates. Cependant, bien que la crise oblige à relever ces défis, elle représente aussi une occasion de renforcer le pouvoir et le leadership des femmes, comme cela s’est déjà vu dans certains pays où celles-ci ont surgi comme dirigeantes.

L’inégalité de genre n’est pas un phénomène nouveau ; cependant, la crise économique a aggravé les inégalités de genre partout dans le monde. Comme la récession mondiale persiste, les gouvernements et l’industrie discutent des sauvetages et des prêts de capitaux ; de plus en plus de services publics sont privatisés pour « protéger » les fonds gouvernementaux et les impôts corporatifs sont réduits au profit des grandes entreprises et des riches. Il est de plus en plus clair que les femmes sont profondément touchées par la récession mondiale et par les réponses nationales à la crise.

D’après l’ONU, si au début le chômage augmentait plus rapidement chez les hommes que chez les femmes, le taux masculin est  maintenant en train de ralentir alors que pour les femmes il continue à augmenter ; le taux mondial de chômage pour les femmes pourrait atteindre 7,4 % par rapport à 7,0 % pour les hommes1. Mais bien que la crise financière aux États-Unis et en Europe ait d’abord touché les secteurs financiers et industriels, composés surtout par des hommes, ses effets commencent à s’aggraver dans les secteurs où les femmes sont majoritaires, comme l’industrie des services et le petit commerce.

Les femmes des pays en développement sont les plus touchées par la crise financière. Leur contrôle sur la propriété et les ressources est plus faible, elles sont majoritaires dans les travaux les plus vulnérables ou au forfait, elles gagnent moins et leur protection sociale est plus faible ; c’est pourquoi les femmes, et leurs enfants, sont les plus vulnérables face à la crise. En conséquence de quoi elles se trouvent dans une situation sociale et économique beaucoup plus faible que celle des hommes pour faire face à la récession. Elles doivent généralement travailler davantage d’heures et trouver du travail supplémentaire, tandis qu’elles continuent à s’occuper des responsabilités primaires du ménage.

« La crise économique a manifestement frappé le Bénin. Aujourd’hui de nombreuses familles ne peuvent se permettre qu’un repas par jour. Les mariages forcés ont augmenté car les familles vendent leurs filles pour faire face à la crise. Les progrès réalisés pour éliminer la violence envers les femmes en sont réduits à néant. Les impacts de la crise creusent les écarts entre les sexes, par exemple, l’inscription scolaire des filles baisse, de même que la présence de la femme sur le marché du travail formel. Les femmes sont les premières à perdre leur emploi, et doivent généralement s’occuper de leur famille sans aucune aide sociale.»

Sonon Blanche (Social Watch Bénin)

Le Groupe de travail des femmes sur le financement du développement a signalé que la crise financière offre une occasion cruciale de modifier la structure financière mondiale avec pour objectif d’adhérer à des principes équitables et fondés sur les droits. Le groupe demande une alternative à la décision du G-20 de repositionner le Fonds monétaire international. Cette décision ne ferait que perpétuer les échecs des politiques économiques néolibérales, aggraverait les inégalités structurelles du passé et augmenterait l’endettement des pays en développement. Cette situation maintient l’approche dépassée et injuste selon laquelle un petit nombre de nations riches décident pour beaucoup de nations qui se trouvent dans des situations différentes. Le Groupe de travail des femmes exige des solutions et des mesures pour  la crise financière qui soient issues d’un large processus, consultatif et inclusif, dans le cadre des Nations Unies ­– et non pas dans celui du FMI – où les droits humains des femmes sont préservés et où chaque état membre a une voix à la table des débats2.

« Le Gouvernement bulgare a admis récemment que le pays a été touché par la crise en février de cette année. Jusqu’à cette date, 44.000 personnes, dont 96 % sont des femmes, ont perdu leur emploi à cause de la crise. Beaucoup d’industries affectées – telles que l’habillement, la chaussure, la restauration et l’administration publique –emploient essentiellement des femmes. La crise a aussi un impact sur la violence envers les femmes. Normalement, dans ma ville, de 17 à 19 cas par an en moyenne sont saisis par les tribunaux ; depuis le début de l’année, 42 ont déjà été saisis. Dans bien des cas les hommes abandonnent leurs femmes et enfants quand celles-ci perdent leur travail ; ces familles doivent donc survivre avec les 50 EUR ou moins des allocations chômage. Parmi les femmes interrogées beaucoup avaient été harcelées au travail et avaient des difficultés à se faire embaucher dans le secteur formel. »

Milena Kadieva (Gender Research Foundation, Bulgarie)

Les approches gouvernementales pour lutter contre la crise économique et financière ne sont en général pas fondées sur les principes d’égalité ou des droits humains. Beaucoup de pays du Nord ont négocié d’énormes renflouements pour les principales industries en utilisant les deniers publics. Beaucoup de pays investissent aussi dans des projets d’infrastructure destinés principalement à des activités qui emploient surtout des hommes (la construction, les transports, etc.), au lieu de le faire dans les secteurs qui traditionnellement favorisent les femmes (les soins médicaux, le soin des enfants, les allocations familiales, etc.). Les programmes d’assurance chômage, là où ils existent, couvrent généralement les travailleurs à temps complet et rarement ceux qui travaillent à temps partiel, qui le plus souvent sont des femmes. Le nombre de rapports sur la violence exercée sur les femmes augmente ; en raison du manque de sécurité économique et sociale, elles ont plus de difficultés pour échapper à des situations de violence.

Le rapport du Département d’état des États-Unis3 qui vient de paraître sur le trafic humain, signale que la crise économique mondiale contribue au trafic du travail et au trafic sexuel, puisque l’augmentation du chômage et de la pauvreté rend les personnes plus vulnérables face aux trafiquants et qu’il existe une demande croissante de biens et de services bon marché. Le rapport prévoit que la crise économique provoquera le passage à l’irrégularité de nombreuses activités afin d’alléger la charge fiscale et d’éviter les lois de protection du travail en embauchant de la main d’œuvre non syndicalisée, ce qui augmentera le travail forcé, bon marché et le travail des enfants par les entreprises multinationales en manque d’argent.

Pour Amnesty International, la crise économique aggrave les problèmes des droits humains existants et certains problèmes très importants – comme la pauvreté, les droits reproductifs et la violence exercée sur les femmes – ne trouvent pas l’attention et les ressources nécessaires. Les gouvernements investissent pour redresser les marchés, mais ceux-là ne tiennent pas compte des problèmes des droits humains. Dans le passé les gouvernements utilisaient la sécurité comme excuse pour diminuer l’importance des droits humains ; maintenant que la crise impose aux gouvernements d’autres priorités, les droits humains sont à nouveau ignorés.

Les réactions face à la crise économique supposent la réduction du financement pour les mécanismes d’égalité de genre et  la mise en pratique des lois sur la matière, ce qui mettra en danger les réussites obtenues et renforcera inévitablement les stéréotypes existants. En  même temps le soutien aux organisations de femmes, partie essentielle du mouvement mondial des femmes, diminue.

Lors d’une conférence de la Commission européenne sur l’« Egalité entre les hommes et les femmes en période de changement » (les 15 et 16 juin 2009) certaines tendances régionales de l’impact de genre de la crise économique ont été identifiées. Ces problèmes sont similaires aux tendances mondiales : en Europe les femmes sont majoritaires dans les emplois incertains, à mi-temps et à court terme, en grande partie à cause de leurs responsabilités disproportionnées pour la charge du ménage. En dépit des normes de l’Union européenne sur l’emploi et l’égalité de genre, les problèmes de salaires inégaux et du besoin d’équilibrer le travail avec la vie en famille sont toujours d’actualité. Bien que la crise en Europe ait touché autant les femmes que les hommes, elle l’a fait de façon différente.

Entre autres choses, la conférence a conclu que : davantage de mesures d’encouragement sont nécessaires pour que les femmes participent au marché du travail, que l’égalité entre les femmes et les hommes doit être un élément essentiel dans le développement de mesures et de politiques pour lutter contre la crise, que la participation des femmes dans les postes cadres du secteur privé doit être encouragée, que les entreprises doivent adopter des politiques qui tiennent compte des familles, qu’il est essentiel d’investir dans leur éducation et leur formation continue. De plus, l’importance des lois et des mécanismes d’égalité de genre en période de crise ont été soulignés.

Renforcer les droits des femmes en période de crise

Récemment, le directeur général de l’Organisation Internationale du Travail, Juan Somavia, a annoncé une initiative importante : la création urgente d’un pacte mondial pour l’emploi, élaboré pour promouvoir une politique coordonnée en réponse à la crise mondiale du travail et à l’augmentation du chômage, des travailleurs pauvres et des emplois vulnérables4. Cette réponse cherche à éviter la récession sociale mondiale et à diminuer ses effets sur les gens. Le pacte permettra d’aider les plans de relance extraordinaires, entre autres politiques gouvernementales, à aborder en profondeur les besoins de ceux qui sont en manque de protection et de travail afin d’accélérer en même temps la récupération économique et l’emploi.

Récemment, Amnisty International a lancé une campagne dénommée « Exigeons la dignité » pour lutter pour les droits menacés par la crise économique et pour ceux qui ont été ignorés dans les réponses à la crise. La question fondamentale est de renforcer le pouvoir des pauvres. La campagne a pour but de renforcer leurs voix et aussi la transparence et la responsabilité publique des gouvernements, afin que les gens puissent exiger que les engagements sur l’égalité de genre et des droits de la femme soient tenus et puissent participer aux décisions qui touchent leur vie. La campagne insiste spécialement sur les droits et la participation des femmes dans les décisions qui les regardent.

En plus de ces initiatives, il faut spécialement fixer l’attention sur les défis et les occasions qu’offre la crise mondiale pour le renforcement du pouvoir et le leadership des femmes. Nous sommes témoins d’exemple positifs de femmes qui accèdent à des postes de haute responsabilité comme résultat de la crise économique et financière mondiale ; les cas les plus remarquables sont ceux de la première ministre d’Islande et de la présidente de Lituanie, qui ont été élues principalement en raison de la frustration des électeurs face aux échecs des politiques économiques qui ont contribué aux effets de la crise dans ces pays.

La crise en Europe de l’Est : les impacts de genre

Les tendances globales de l’impact de la crise mondiale sur les femmes caractérisent aussi les pays de l’Europe de l’Est, comme le montrent les rapports nationaux compris dans cette publication. En République Tchèque, par exemple, les réformes des finances publiques, ainsi que la diminution des impôts pour les plus riches et  la hausse de la taxe à la valeur ajoutée (TVA) pour les articles de base, ont taxé les plus pauvres y compris les femmes. Il en est de même avec l’introduction des tarifs des services et l’intention de diminuer les impôts sur l’assurance sociale, spécialement pour les contribuables les plus riches. Même avant la crise les salaires inégaux  et la discrimination de genre et d’âge étaient des points importants. Les nouveaux problèmes d’égalité de genre en République Tchèque sont dûs à la politique conservatrice du gouvernement et au manque de soutien aux institutions consacrées à l’enfance. La crise a également eu comme conséquence l’exacerbation de la discrimination contre les étrangers, en particulier de provenance asiatique.

En Hongrie, un des pays de l’Europe de l’Est les plus touchés par la crise, le gouvernement a engagé un plan qui comprend le recoupement des pensions, des primes pour le secteur public, le soutien à  la maternité, les subventions hypothécaires, énergétiques et du transport public comme conditions du plan de sauvetage du FMI pour confronter l’impact de la crise. Toutes ces mesures affecteront les femmes de manière négative et augmenteront leurs responsabilités familiales ; il en sera de même avec certaines mesures additionnelles proposées qui comprennent la réduction des allocations et des bénéfices familiaux ainsi que l’aide aux jeunes couples avec enfants.

En Pologne, la diminution des revenus des ménages comme conséquence de la crise menace d’appauvrir des groupes sociaux entiers, particulièrement les classes moyenne et basse. Il est fortement probable que ceci ait à la fois un impact plus significatif sur les femmes, puisqu’elles ont traditionnellement la responsabilité de la famille. Pour certains analystes la crise pourrait également étendre l’économie polonaise informelle, puisque beaucoup d’entrepreneurs, surtout les petits, essayeront de minimiser les charges sociales et d’éviter le paiement d’impôts, ainsi que les autres coûts associés à l’emploi formel. En conséquence de quoi il est vraisemblable que l’augmentation de l’économie informelle touchera davantage les femmes puisqu’elles travaillent le plus souvent mal payées, surtout dans le secteur privé des services (par exemple le petit commerce). Les autres problèmes de l’égalité de genre sont : la contraction du secteur du vêtement, majoritairement féminin, et la limitation de la mobilité du marché du travail à cause de la hausse des loyers, surtout dans les zones défavorisées des petites villes.

En Bulgarie les ONG et les syndicats ont été en désaccord avec ce qu’ils considèrent un changement de politique du gouvernement vers l’acceptation du besoin de réduire les charges sociales en temps de crise. Ces charges étaient déjà faibles lorsque le contrôle monétaire a instauré et toute autre réduction pourrait briser la paix sociale dans le pays. Le chômage augmente (il faut signaler que le nombre de chômeurs non inscrits est égal – voire même supérieur – à celui des inscrits) et touchera surtout les plus jeunes qui manquent d’expérience de travail, les travailleurs non qualifiés, les plus âgés, les handicapés et les femmes.

En Serbie les syndicats ont accepté de repousser la mise en place du contrat collectif général et de différer certaines obligations financières des patrons envers les travailleurs, parmi elles le paiement des avantages des travailleurs, « pour aider le secteur privé à sortir de la crise ». Les droits des travailleurs sont ouvertement bafoués avec comme excuse le maintien de la stabilité économique, alors que les grandes compagnies et les magnats sont libres de ne pas payer d’impôts, de salaires et autres bénéfices. Il a été annoncé récemment que le maintien du nouvel accord stand-by avec le FMI, pour une somme de 3,96 milliards USD, produira le recoupement des pensions, de l’éducation et des soins de la santé, aggravant davantage la position sociale de la femme.

En Slovaquie malgré les premiers pronostics qui épargnaient le pays de la crise, les évaluations officielles du chômage dépassent les 30.000 personnes en avril 2009. Dans ces conditions, la discrimination contre les femmes sur le marché du travail persiste.

En général, dans tous les pays de la région les femmes constituent le plus grand nombre de travailleurs à temps partiel, saisonniers et embauchés ainsi que les non qualifiés, qui en général ne possèdent pas d’assurance chômage formelle ou de protection sociale. Ainsi que l’indique la mise en garde du rapport de juillet 2009 de Development & Transition, il est probable que la crise touche les femmes dans les secteurs de l’emploi et des réseaux de protection sociale, des tâches non rémunérées, de l’éducation, de la migration et de la violence de genre. Par exemple, au Kazakhstan, l’accès limité aux ressources financières nécessaires pour les activités économiques formelles pousse la population vers les activités commerciales indépendantes et à petite échelle dans le secteur informel. La vulnérabilité des femmes pourrait bien s’approfondir au fur et à mesure que la crise avance. L’ampleur de la migration des femmes à la recherche de travail n’est pas connue exactement ni non plus l’impact sur les familles qui dépendent de leurs salaires pour subsister. Par ailleurs, les femmes pourraient se trouver dans une situation plus vulnérable à leur retour au foyer, rejetées par leurs communautés et leurs familles qui les considéreraient comme des prostituées7.

 

Les impacts de genre de la crise en Afrique subsaharienne

Alors que les pays industrialisés ont renfloué leurs entreprises, dans le Sud la crise a conduit à l’augmentation des privatisations et à la chute des revenus des investisseurs étrangers. Dans beaucoup de pays d’Afrique subsaharienne, les entreprises ont profité de la situation et ont bloqué les salaires, licencié les effectifs, voire même fermé leurs portes avec l’excuse de réduire leurs frais généraux. En Zambie, par exemple, pour lutter contre les effets de la crise, le gouvernement a d’abord éliminé les impôts sur les bénéfices éventuels de l’industrie minière, pour essayer d’éviter que les investisseurs du secteur ne cessent leurs activités. Toutes ces mesures ont limité la perception de revenus. En conséquence de quoi les gouvernements du Sud continuent de recouper les services sociaux tel que l’éducation et la santé.

La diminution des dépenses pour la santé a augmenté la charge des femmes pour les soins des malades, spécialement pour ceux atteints du VIH/SIDA ; les femmes continuent à être les premières au chômage et sont de plus en plus restreintes aux activités informelles de vente de légumes à petite échelle comme moyen de subsistance. De même l’augmentation du chômage produit davantage de cas de violence de genre.

L’absence de la voix des femmes est ce qui inquiète le plus dans la résolution de la crise. Pour la résoudre, les décisions continuent à avoir une tournure masculine qui priorise les intérêts des hommes. Il est donc nécessaire d’augmenter la voix et la participation des femmes dans les prises de décisions afin que leurs problèmes soient compris dans les mesures nationales envisagées pour surmonter la crise.

D’après le Groupe de travail des femmes sur le financement  du développement, une réponse à la crise fondée sur les droits requiert, inter alia, la réforme immédiate de l’architecture financière mondiale afin de gérer efficacement le manque de liquidité et les déséquilibres de la balance des paiements et de garantir que les réponses politiques ne transfèrent pas la charge du bien-être familial et  la prestation de services à l’économie des soins. Le Groupe de travail des femmes agit pour établir des mesures et des processus nationaux, régionaux et internationaux qui respectent l’espace de la politique nationale et qui soient compatibles avec les normes et les engagements internationaux, y compris ceux concernant les droits de la femme et l’égalité de genre. Les politiques et  les accords commerciaux devraient permettre aux pays d’éviter les déséquilibres du régime de l’OMC et de l’échec du cycle de Doha. En plus, ces mesures devraient être accompagnées de l’annulation des dettes illégitimes des pays en développement et de la création d’un mécanisme de restructuration des dettes avec la participation des gouvernements débiteurs, les groupes des droits de la femme et d’autres organisations de la société civile.

Lors de la conférence de haut niveau de l’ONU sur la crise financière et économique mondiale et son incidence sur le développement (24-26 juin 2009), le Groupe de travail des femmes a rappelé aux états membres de l’ONU que les femmes ne peuvent plus attendre et que c’est le moment d’agir sur la réforme fondamentale de l’architecture financière mondiale5. En dépit de l’appel à l’action unanime des organisations de la société civile, le document final de la conférence n’a pas comblé les attentes. Afin de sauvegarder un consensus fragile, les états membres n’ont montré qu’un engagement faible sur la réforme de la structure financière, alors que le rôle central de l’ONU (dénommée le « G-192 ») dans la gouvernance économique s’est presque évaporé.

Les défenseurs des droits de la femme ont apprécié dans le document la reconnaissance du fait que les femmes doivent faire face à « une plus grande insécurité financière et doivent assumer des responsabilités familiales plus lourdes » (point 3) et que les femmes et les enfants se sont particulièrement appauvris en raison de la crise (point 7). Le document reconnaît aussi que les réponses à la crise doivent contenir une perspective de genre (point 10), que les mesures de soulagement doivent prendre en compte, entre autres, l’égalité de genre (point 21) et que les désignations de postes dans les Institutions financières internationales (IFI) doivent considérer l’équilibre de genre (point 49). La grande déception a été le manque d’un engagement ferme pour le suivi de la question. La référence constante tout au long du texte à un « système des Nations Unies pour le développement » représente une limitation du rôle de l’ONU en faveur de l’aide humanitaire et de la coopération au développement. Les groupes de la société civile sont arrivés à la conclusion que le document final représente une tentative claire d’exclure le G.192 du système de gouvernance économique mondial.

Cependant, pour l’avenir, le groupe de travail des femmes insiste sur le fait qu’elles continueront d’exiger la justice économique et de genre au sein de l’ONU, en dépit de la résistance persistante des IFI et du G-20 à centrer le développement sur les gens au lieu de le faire sur les bénéfices. Malgré l’échec démontré de leurs recettes politiques néolibérales et du système de gouvernance financière irresponsable, le FMI et la Banque mondiale continuent de promouvoir leurs politiques viciées et d’imposer leurs conditions aux pays en développement, en agissant non pas comme des agences spéciales de l’ONU sinon comme si l’ONU était leur agence spéciale. Dans le système de l’ONU, dans lequel tous les états membres devraient être égaux, certains   –maintenant élargis à 20 –  sont plus égaux que le reste des 172 autres. La déclaration du Groupe de travail des femmes affirme sa forte opposition à ces agissements et exige que tous les états membres aient le même pouvoir de vote, les mêmes droits et les mêmes obligations dans la prise de décisions.

Les organisations de la société civile, y compris les organisations et les réseaux de femmes, demandent une approche du développement fondée sur les droits. Une révision de la mise en œuvre de cette approche par les agences de l’ONU montre qu’elle pourrait être efficace pour l’éradication de la pauvreté, le développement de la démocratie et des droits humains et le soutien aux groupes les plus vulnérables, en particulier les femmes, pour qu’elles participent dans les prises de décisions6. L’application de cette approche contribue à ce que les états membres tiennent les engagements issus de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et de la plateforme d’action de Beijing.

Cependant il est nécessaire d’améliorer cette approche afin d’aborder efficacement les besoins des femmes et d’améliorer les rapports d’égalité de genre. Il existe plusieurs défauts dérivés de la généralisation excessive, des faibles mécanismes de mise en oeuvre et de l’application insuffisante du concept des droits humains. L’approche du développement fondé sur les droits se base sur les principes de participation, de responsabilité, de non-discrimination, d’égalité, d’attention spéciale aux groupes vulnérables, de renforcement de pouvoir, de rapport aux normes des droits humains, de non régression et de l’état de droit. Cependant cette approche de développement ne vise pas au démantèlement des rapports sociaux, économiques et politiques fondés sur la discrimination et la distribution inégale de la richesse, du pouvoir et des ressources. Le cadre des droits humains est insuffisant en lui-même pour changer l’idéologie néolibérale qui ruine considérablement la réalisation des droits humains et de la femme, puisque la plupart des normes des droits humains ne sont pas obligatoires et qu’il n’existe jusqu’à présent pas de mécanismes qui obligent les états à tenir leurs engagements.

Une étude de genre montre que cette approche suppose l’élaboration d’instruments d’analyse appropriés pour comprendre les inégalités inhérentes aussi bien à l’économie de marché néolibérale qu’aux rapports de genre. Les économistes féministes ont analysé les inégalités de genre dans l’élaboration des politiques macroéconomiques et ont développé des instruments tels que des indicateurs spécifiques, un budget et des statistiques sensibles au sujet du genre pour être utilisés conjointement avec une approche fondée sur les droits, renforçant le pouvoir des femmes dans le processus de développement et permettant d’exiger la responsabilité corporative des IFI.

 

1 Voir: Organisation internationale du travail. Global Employment Trends for Women. Genève: OIT, 2009.

2 Le Groupe de travail des femmes sur le financement du développement est coordiné par Development Alternatives with Women for a New Era (DAWN) et comprend les organisations et les réseaux suivants: African Women’s Development and Communication Network (FEMNET), Arab NGO Network for Development (ANND), Association for Women’s Rights in Development (AWID), Feminist Task Force-Global Call to Action against Poverty (FTF-GCAP), Global Policy Forum (GPF), International Counsil for Adult Education (ICAE), International Gender and Trade Network (IGTN), International Trade Union Confederation (ITUC), Network for Women’s Rights in Ghana (NETRIGHT), Red de Educación Popular entre Mujeres para América Latina y el Caribe (REPEM), Third World Network-Africa (TWN-Africa), Women’s Environment and Development Organization (WEDO), et Women in Development Europe (WIDE).

3 Département d’Etat des États-Unis. Trafficking in Persons Report. Washington DC, 2009. Disponible sur: <www.state.gov/g/tip/rls/tiprpt/2009>.

4 Les projections de l’OIT sur les travailleurs pauvres dans le monde entier montre qu’il existe 200 millions de travailleurs qui  risquent de faire partie des personnes vivant avec moins de 2 USD par jour entre 2007 et 2009. Voir : OIT. Global Employment Trends Update”, mai 2009.

5 Groupe de travail des femmes sur le financement du développement. “Time to Act: Women Cannot Wait. A call for rights based responses to the global financial and economic crisis”. Juin 2009.

6 Inter-Agency Standing Committee (2002). Growing the Sheltering Tree ;UNICEF. Protecting Rights through Humanitarian Action, Programmes & Practices Gathered from the Field ; Moser, C. y Norton, A. (2001). To Claim Our Rights: Livelihood Security, Human Rights and Sustainable Development. Londres: Overseas Development Institute ; OECD (2006). Integrating Human Rights into Development: Donors approaches, experiences and challenges ; OHCHR (2002). Draft Guidelines: A Human Rights Approach to Poverty Reduction Strategies. ONU, le 10 septembre.

7 Sperl, L. “The Crisis and its consequences for women”, en Development & Transition, No. 13, 2009.

 

 

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left

Une réponse à la crise financière et économique envisagée sous l’angle des droits de l’homme

Publication_year: 
2009
RAPPORT ANNUEL : 
Yes
Summary: 
Bien que l’héritage que laisse l’actuelle crise financière soit sombre, il y aura un autre leg : les idées capitales sur les droits de l’homme ne pourront plus être rejetées. La crise offre une occasion historique – et une responsabilité générationnelle – pour repenser les prises de décision en matière de politiques économiques. Une approche fondée sur les droits de l’homme exige une réforme des structures de gouvernance pour assurer que toute la politique économique soit mise en œuvre en concordance avec le régime des droits de l’homme. Cela garantira la participation à tous les niveaux, de sorte que les décisions soient à chaque étape soumises au scrutin public, à la transparence et à l’obligation de rendre des comptes. 

Aldo Caliari1
Center of Concern (COC)

Bien que l’héritage que laisse l’actuelle crise financière soit sombre, il y aura un autre leg : les idées capitales sur les droits de l’homme ne pourront plus être rejetées. La crise offre une occasion historique – et une responsabilité générationnelle – pour repenser les prises de décision en matière de politiques économiques. Une approche fondée sur les droits de l’homme exige une réforme des structures de gouvernance pour assurer que toute la politique économique soit mise en œuvre en concordance avec le régime des droits de l’homme. Cela garantira la participation à tous les niveaux, de sorte que les décisions soient à chaque étape soumises au scrutin public, à la transparence et à l’obligation de rendre des comptes.  

La crise qui a commencé, pendant l’été 2007, dans le secteur des crédits hypothécaires à haut risque (subprime) aux États-Unis s’est transformée en crise mondiale, considérée comme la pire crise depuis la grande dépression.

L’ampleur de la crise dévoile un aspect tout à fait nouveau sur les conséquences de l’approche traditionnelle des droits de l’homme et de la régulation de la finance. Ce modèle impose aux défenseurs des droits de l’homme la vision que les questions de régulation financière sont strictement techniques et doivent rester entre les mains des experts, et que les politiques et les inquiétudes liées aux droits de l’homme doivent être envisagées indépendamment des questions de régulation financière ou simplement réduites au point de vue des experts de la finance sur ce sujet. Cependant, la crise a montré les défauts de cette approche et renforce une critique de la régulation financière, fondée sur les droits de l’homme. Bien qu’il y ait eu beaucoup d’explications sur l’origine de la crise, il y a un accord général sur l’importance de nombreux échecs dus au laxisme de la régulation et de la surveillance des marchés financiers, de leurs opérateurs et des instruments qu’ils utilisent2.

De même, il n’est pas difficile de trouver du soutien pour l’idée que, partout dans le monde, la crise aura un effet considérable sur les droits de l’homme. Par exemple, la diminution drastique de la demande mondiale accumulée a eu comme effet la propagation du chômage partout dans le monde et, pour beaucoup, la destruction de leurs moyens de vie. Après des années de diminution du chômage, et selon les pronostics de l’OIT3 il y aura en 2009 près de 20 millions de chômeurs de plus qu’en 2007. Environ 50 millions de personnes pourraient perdre leurs emplois si la crise atteignait la dimension du chômage des années 904. Cependant ces chiffres d’ensemble ne traduisent pas le fort impact que subissent les femmes, les enfants, les pauvres, les indiens, les minorités ethniques et les travailleurs immigrés. Au chômage croissant s’ajoute une sécurité sociale – qui dans beaucoup de pays dépend du fait d’avoir du travail – qui s’affaiblit. Pour ceux qui ont encore un travail, la hausse du chômage se traduit par une plus grande pression sur leurs salaires et leur couverture sociale. La sécurité sociale des plus âgés subit aussi les effets de la crise : les systèmes de retraites sont déficitaires, dans certains cas les pertes atteignent 50 %5. Le passage des systèmes de retraites du secteur public à des systèmes du secteur privé dans les dernières décennies augmente ces effets. Pour leur part, les revenus de l’état qui devaient renforcer le soutien nécessaire à la couverture sociale et des retraites ont subi une diminution considérable qui laisse les gouvernements sans marge de manœuvre. 

Il est prévu que la pauvreté augmente de 53 millions de personnes dans le monde6. Mais même ce chiffre semble être optimiste, puisqu’il est fondé sur la définition de pauvreté de la Banque mondiale que beaucoup mettent en doute, et qui sous-estime probablement la quantité réelle de pauvres7. La dégradation de l’état nutritionnel et de santé des enfants qui ont une consommation insuffisante d’aliments (soit en moindre quantité, soit en pire qualité) peut se révéler irréversible. Les évaluations suggèrent que la crise alimentaire a déjà augmenté de 44 millions le nombre de personnes qui souffrent de dénutrition8.

Il est probable que les effets de la crise entraînent aussi une augmentation de l’inégalité. L’écart entre les foyers riches et les foyers pauvres, en augmentation depuis 1990, se creusera davantage. Selon un échantillon de pays enquêtés dans un rapport de l’OIT publié en 2008, l’écart entre les revenus de 10 % des salariés touchant les salaires les plus élevés et de 10 % des salariés touchant les salaires les plus faibles avait augmenté de 70 %9.  

Si le malaise social et les expressions publiques de désespoir et de frustration se heurtent à la répression violente des forces de l’ordre, comme cela est déjà arrivé dans certains pays, alors les droits civils et politiques seront aussi menacés par la crise. L’augmentation des manifestations xénophobes ou d’autres sortes de sentiments discriminatoires se produisant en différents endroits, pourraient également mettre en danger les droits des travailleurs étrangers et des groupes minoritaires, qui sont les plus vulnérables à la discrimination.

En raison de tous ces effets et en accord avec le consensus concernant l’origine de la crise, il faut conclure que les décisions prises concernant la régulation financière ont des conséquences tangibles pour la jouissance des droits. Le contraire est également vrai : envisager de faire respecter les normes en matière de droits de l’homme sans aborder les effets des politiques financières et des options en ce qui concerne la régulation aurait des résultats insuffisants et inefficaces.

Cependant, les conséquences évidentes de cette crise ne sont pas différentes de celles qui se sont produites lors des autres crises financières qui, au siècle précédent, ont périodiquement touché divers endroits du monde – particulièrement l’Asie de l’Est à la fin des années 1990. Elles ont toutes entraîné des privations et de graves souffrances pour les citoyens ordinaires, surtout pour les plus vulnérables et les marginalisés, alors que ceux qui se sont enrichis par la spéculation financière ne sont pas tenus de rendre compte de leurs actions. Par exemple, pendant les dernières années, non seulement la tendance à une augmentation de l’inégalité de revenus s’est maintenue mais il y a eu aussi une croissance du volume des richesses contrôlées par les « super-riches »10. Les stratégies agressives d’investissement – c’est à dire la spéculation – favorisées par les flux sans restriction des capitaux, ont permis l’apparition de ces phénomènes11. Cependant, ce sont les groupes aux revenus les plus faibles, et non pas ceux qui se sont enrichis lors de l’expansion économique préalable à la crise, qui seront démesurément touchés par la récession post-crise.

Sur ce point, la crise remet aussi en question la croyance que les richesses engendrées par le marché se « répandraient » sur le reste de la population. Récemment, le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz a déclaré que les marchés financiers – et de fait la croissance du PIB tel qu’il est mesuré actuellement – ne sont pas un but en eux-mêmes mais qu’ils existent pour favoriser le bien-être des personnes. Ce qui est bon seulement pour les finances ou pour la croissance du PIB, ne l’est pas nécessairement pour le bien-être économique de tous. Cet effondrement du système exige que les gouvernements nationaux assument un nouveau rôle dans l’élaboration des politiques économiques, aussi bien au niveau national et de plus en plus, au niveau international. 

Une réponse axée sur les droits de l’homme: les principes  

Une réponse à la récession financière et économique qui se centre sur les droits de l’homme n’est pas seulement une question de justice, mais elle permettra aussi que les réformes du système financier et économique soient plus durables et résistent mieux aux crises futures. 

Une réponse fondée sur une politique axée sur les droits de l’homme ne suppose pas à priori un système économique déterminé. Cependant, elle prend comme point de départ un encadrement clair et universellement reconnu – un ensemble de normes fondées sur les instruments essentiels de la loi internationale sur les droits de l’homme – pour guider la conception et l’application de politiques et de programmes économiques visant à résoudre la crise. Les droits de l’homme non seulement permettent de limiter l’oppression et l’autoritarisme, mais ils imposent aussi aux états des obligations positives pour défendre les droits économiques, sociaux et culturels. Les états ont le devoir de respecter et de protéger les droits de l’homme à tout moment, ainsi que de s’y conformer, surtout en période de crise.

Les gouvernements doivent assurer prioritairement la jouissance des droits sociaux et économiques minimums essentiels ; ils ont aussi l’obligation spécifique et constante de travailler avec toute la célérité et l’efficacité possible pour atteindre leur pleine application. Les normes en matière des droits de l’homme exigent que les gouvernements ne prennent aucune mesure délibérément régressive – par exemple, l’élimination de programmes essentiels – à moins que ceci soit absolument justifié pour la totalité des droits garantis dans les principaux traités sur les droits de l’homme et dans le contexte de la pleine utilisation du maximum des ressources disponibles. Même avec des deniers publics limités, les états doivent réunir le maximum de ressources disponibles pour assurer que les droits économiques et sociaux s’exécutent pleinement de façon progressive dans le court et le long terme.

En plus, le principe de non discrimination requiert que les états assurent que toutes les mesures prises en réponse à la crise n’aient pas d’effets disproportionnés et que soient établies des mesures délibérées et ciblées afin d’assurer une égalité à l’accès aux services de base dans tous les pays et parmi tous les groupes démographiques. Les membres les plus démunis doivent être protégés de façon prioritaire, même lorsque la limitation des ressources est sévère.

Bien que les obligations primaires des états en matière de  droits de l’homme tombent sous leurs juridictions, il faut aussi – dans l’esprit de la charte de l’ONU et des lois internationales applicables – qu’elles contribuent à la coopération internationale pour la pleine réalisation des droits de l’homme. En agissant dans les forums internationaux tels que l’ONU, la Banque mondiale et les réunions ad hoc du Groupe des 20 (G-20), les états doivent assurer que leurs politiques soient cohérentes et qu’elles conduisent à la réalisation des droits de l’homme. Dans ce sens, les états qui ont joui d’une position plus puissante dans la prise de décisions sur les politiques économiques mondiales ont une responsabilité plus grande d’avoir causé, par leurs actions ou omissions, cet effondrement mondial. Par conséquent ils ont aussi une plus grande responsabilité pour en atténuer les effets et prendre les mesures nécessaires pour assurer une issue juste et durable. Conformément à la loi internationale, les gouvernements doivent aussi assurer que les normes en matière de droits de l’homme soient prioritaires par rapport aux engagements commerciaux, des investissements ou financiers. 

Les principes fondamentaux en matière de droits de l’homme incluent la participation sociale, la transparence, l’accès à l’information, la protection juridique et la responsabilité publique. Les gens doivent pouvoir participer dans la vie publique et interagir de manière significative dans le développement des prises de décisions les concernant, leur permettant ainsi de contester les processus qui touchent leurs vies. De plus, les états doivent assurer que personne ne soit au-dessus de la loi. Les personnes dont les droits ont été atteints doivent disposer de solutions accessibles et efficaces pour exiger leur réparation. Les responsables des préjudices causés, même si ce sont des acteurs privés, doivent être traduits en justice, et les activités futures qui portent atteinte aux droits de l’homme doivent être interdites.  

Réforme du procédé de prise de décisions en matière de politiques économiques

La crise actuelle fournit une occasion historique et, de fait, une responsabilité générationnelle de repenser la façon dont les décisions en matière de politiques économiques ont été prises jusqu’à présent. Une approche des droits de l’homme exige une réforme des structures de gouvernance afin d’assurer que toute la politique économique au niveau national et international soit effectuée conformément au contenu juridique offert par le régime des droits de l’homme. .

Trop souvent les décisions officielles sur la régulation des flux des capitaux financiers, par exemple, – ou bien le besoin de s’en passer – sont prises par quelques «experts», parmi lesquels figurent en général les propres représentants des industries du secteur privé. Essentiellement, ce procédé entrave la participation publique dans les discussions politiques et légales fondamentales qui touchent tout le monde, avec des effets sur les plus vulnérables et les marginaux en particulier. Une réponse fondée sur une politique des droits de l’homme transformerait ce procédé, en assurant la participation à tous les niveaux et en soumettant les décisions à un examen public,à la transparence et à l’obligation de rendre des comptes à chaque étape.

La responsabilité publique et la participation dans la politique économique sont aussi entravées par l’ingérence des institutions financières internationales et des bailleurs de fonds imposant des conditions en matière de politiques ou par les règles inflexibles contenues dans les accords commerciaux et d’investissement. Les états devraient avoir le pouvoir d’assurer que leurs obligations en matière de droits de l’homme soient prioritaires par rapport aux engagements économiques ou aux droits des investisseurs.

Ces mêmes principes en matière de droits de l’homme doivent être diffusés internationalement, puisque la coopération pour la réalisation de ces droits est une obligation de tous les états, surtout pour les responsables des dommages causés. En dépit des conséquences à grande échelle des mesures des politiques financières, les organismes intergouvernementaux qui établissent l’agenda et définissent les reformes financières, tels que le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire, le Forum de stabilité financière et le G-20, limitent la participation de la plupart des pays. De leur côté, le FMI et la Banque mondiale sont toujours gouvernés par des principes en matière de prise de décisions qui laissent un rôle marginal aux pays en développement et qui limitent la transparence. De même, dans ces forums sont exclues de l’élaboration les réponses politiques d’autres organisations internationales qui ont pour mandat la protection des droits de l’homme.

L’ONU, en tant que gardien du cadre légal international, est le forum le plus adéquat et légitime pour débattre les réformes nécessaires à la restructuration du système économique et financier international sur la base des droits de l’homme. Son rôle serait énormément renforcé par l’établissement d’un Conseil de coordination économique mondial, tel qu’il a été recommandé par la Commission d’experts de l’ONU12. Ce Conseil, qui fonctionnerait sous le principe de la représentation équitable et au même niveau que l’Assemblée générale et que le Conseil de sécurité, pourrait apporter une plus grande efficacité, représentation et transparence dans l’élaboration de stratégies pour envisager les politiques économiques lorsqu’elles concernent les priorités de développement, au-delà du champ d’application limité des ministères des finances ou de l’économie.

La régulation du secteur bancaire et financier

Un aspect frappant de la crise est la manière dont les institutions financières ont réussi à transférer aux secteurs les plus vulnérables de la société la charge de leur irresponsable prise de risques. Ce sont les politiques spécifiques du gouvernement, conçues pour déréguler le système financier en entier, qui ont permis cela. Par conséquent, les gouvernements – au niveau national et international – doivent adopter des mesures pour protéger les droits de l’homme de leurs populations par le biais d’une solide régulation du secteur bancaire et financier. Ils doivent aussi renforcer la responsabilité et l’état de droit avec un strict contrôle des actes délictueux. Bien qu'à l’heure actuelle certains actes ne sont pas considérés comme des délits (par exemple, « l’évasion fiscale » dans certains pays) ou comme des infractions entraînant des responsabilités légales, une législation appropriée doit être adoptée et appliquée à ce sujet. Et plus encore, les gouvernements doivent agir avec sérieux pour garantir aux individus et aux pays touchés sans responsabilité aucune, une indemnisation.

«Les afro-américains et les indigènes partagent un passé d’exploitation et de conquête et ils subissent à l’extrême les effets de la crise. Notre empire américain s’est forgé sur le fameux rêve américain, mais on voit qu’on a utilisé des terres usurpées et du travail volé pour construire ce pays, le pays le plus riche qu’on ait jamais vu dans le monde. Depuis le début, les institutions financières ont employé tous les moyens possibles et imaginables pour aider et encourager les spéculateurs qui essayaient de bâtir l’empire. Nous devons rejeter la théologie néolibérale et édifier des théories théologiques plus progressistes»

Jean Rice (Picture the Homeless, New York)

De toutes les institutions du secteur financier, les banques sont les plus réglementées. Cependant, leur conduite est de plus en plus gouvernée par des principes de contrôle qui relèvent de leurs propres mécanismes de gestion des risques, au lieu de l’être par des normes extérieures développées par une institution de contrôle au niveau national. En réponse à la pression des pays industrialisés, beaucoup de pays pauvres ont progressivement adopté ces mêmes principes, en partie séduits par la possibilité d’attirer des banques internationales. Ils ont également permis, pour la même raison, que ces banques déplacent des capitaux sans restrictions. Cependant, la dérégulation pour attirer des banques étrangères n’a pas toujours produit les bénéfices désirés. Les preuves empiriques démontrent qu’il n’existe aucun rapport entre la libéralisation des comptes de capitaux et l’augmentation de la croissance économique. L’accès au crédit, surtout pour les groupes les plus marginalisés, ne s’est pas beaucoup amélioré, alors que les grandes banques internationales ont eu tendance à éliminer le secteur bancaire national dont dépendent les plus défavorisés. Aujourd’hui les pays qui sont vulnérables et qui dépendent des banques étrangères sont les plus touchés par la crise financière, parce que ces institutions rentrent vers leurs pays d’origine et refusent d’octroyer des prêts aux économies devenues fragiles.

Les réformes du secteur bancaire devraient aménager des espaces libres pour que les gouvernements nationaux puissent réguler les services offerts par les banques afin d’assurer un accès plus large au crédit et aux autres fonctions sociales clés. Si l’on considère que les banques nationales sont le meilleur moyen de garantir les droits, elles devraient être pleinement soutenues.

Les hedge fund (fonds d’investissement spéculatif),  les fonds de capitaux propres privés et les agences de notation financière ont leur propre schéma d’autorégulation. Dans beaucoup de pays il a été permis que les hedge funds deviennent le mécanisme principal pour le dépôt de l’épargne des citoyens ordinaires, ceci mettant en danger l’accès des citoyens à la sécurité sociale. Les hedge funds et les fonds de capitaux propres privés ont aussi provoqué une brusque montée du chômage et autres violations des droits du travail en raison de leur influence excessive sur les procédés de prise de décisions pour la restructuration des entreprises dans le monde entier. L’obtention de bénéfices extraordinaires a aussi été encouragée moyennant des stratégies à effet de levier basées sur des exonérations fiscales sur le financement des dettes, compromettant les sources des recettes fiscales. Ceci a limité les possibilités d’expansion fiscale de nombreux gouvernements au moment même où ils en ont le plus besoin pour stimuler la création d’emplois et renforcer les mesures de protection sociale.

En admettant que les activités de ces acteurs financiers ont des effets profonds et mesurables sur les droits de l’homme, l’état ne doit pas abandonner son devoir de protection. Les gouvernements devraient travailler de manière conjointe à la mise en place de mesures nécessaires pour éviter que les hedge funds, les fonds de capitaux propres privés, les instruments dérivés et les agences de notation financière aient des effets négatifs sur l’application des droits de l’homme.

La libéralisation du capital et la création de paradis fiscaux impénétrables ont rendu plus difficile l’application d’impôts progressifs sur les flux de capitaux et ont érodé encore davantage la base imposable des pays, aussi bien au Nord qu’au Sud, en facilitant le transfert des bénéfices des pays où ils ont été obtenus vers des pays où l’on paye très peu ou pas du tout d’impôts. Ceci a des conséquences négatives sur les recettes fiscales, pourtant cruciales pour que les gouvernements puissent remplir leurs obligations en matière des droits de l’homme. Les gouvernements doivent être à la hauteur de leurs devoirs envers leurs citoyens et protéger les revenus publics de façon transparente et responsable. Ils doivent pour cela interdire les paradis fiscaux et prendre des mesures appropriées pour contrôler le mouvement du capital et renforcer les comptes fiscaux.

De même, les banques centrales sont des organismes publics et, en tant que parties intégrantes du gouvernement, elles ont des obligations en matière des droits de l’homme. Le principe de « l’indépendance de la banque centrale » a souvent signifié l’indépendance par rapport aux intérêts sociaux et aux droits de l’homme. Toutefois cela ne signifie pas être libéré de l’ingérence des lobbyistes financiers privés. Les banques centrales doivent reconnaître que l’indépendance ne signifie pas absence de responsabilité envers les intérêts de la société entière. Elles doivent trouver un équilibre entre le besoin de parvenir à une inflation faible et stable et leurs obligations de lutte contre l’inégalité des revenus et de stabilisation de l’emploi et la subsistance de la population grâce à divers instruments de crédit et de contrôle.

La crise et les droits de l’homme dans le Sud

La mesure dans laquelle la crise met en péril la réalisation des engagements pour les droits de l'homme se fait sentir plus dramatiquement dans le Sud. Pendant longtemps on a dit aux pays en développement qu’ils devaient avoir confiance en la croissance axée sur les exportations et les politiques de libre marché. Et maintenant ce sont ceux qui souffrent le plus à cause de la chute de la demande extérieure produite par la crise. On devrait accorder à ces pays une flexibilité spéciale pour qu’ils puissent tenir entièrement leurs engagements en matière des droits de l’homme et pour qu’ils puissent développer des politiques commerciales afin de pouvoir faire face à la crise et prévenir leur vulnérabilité au regard de futures exportations. La ligne et la stratégie des exportations choisies par un pays, ainsi que l’équilibre entre les exportations et les besoins du marché intérieur, devraient être soigneusement orientés en fonction de leurs obligations en matière des droits de l’homme, en particulier la nécessité de garantir la non-discrimination et la réalisation progressive des droits.

Le niveau d’endettement est aussi sur le point d’augmenter dans les pays en développement. La crise ne détériorera pas seulement leur situation commerciale et financière, les obligeant à s’endetter, mais il est aussi probable qu’une réponse efficace face à la crise, ne faisant pas appel à des dépenses déficitaires pour accélérer la récupération, détériore les niveaux de base minimum de bien-être. Cependant on ne peut pas ignorer les conséquences et les effets que les futurs prêts auront sur les droits de l’homme. Une partie de l’augmentation de la dette est due à la prolifération des lignes rapides de crédit favorisées par les institutions multilatérales de crédit, comme la Banque mondiale, qui sont censées aider les pays en développement à faire face à la crise. Ces lignes de crédit déboursent d’énormes sommes d’argent avec peu ou aucune possibilité de contrôle citoyen et de responsabilité publique et il existe un risque réel qu’elles éludent complètement les garanties sociales et environnementales. Une partie de l’augmentation des niveaux d’endettement est lié au besoin de refinancer la dette dans les marchés de capitaux privés en difficulté ne comptant qu’avec très peu de fonds, alors que les pays en développement essayent vainement de faire concurrence aux pays industrialisés afin de recomposer leur secteur bancaire déficitaires et de mettre en œuvre des plans de relance.

Bien qu’à court terme ces lignes de crédit puissent être nécessaires pour permettre aux gouvernements de stabiliser leurs dépenses, les principes des droits de l’homme sont essentiels pour déterminer (1) les prêts strictement nécessaires qui doivent être demandés, (2) les demandes qui devraient être satisfaites grâce à un financement concessionnel plus que des prêts, et (3) les principes de responsabilité publique et de transparence qui assureront que les nouveaux prêts soient contractés de façon responsable, avec un contrôle social approprié, pour éviter de produire davantage de dettes illégitimes que les générations futures seront obligées de payer.

Certains annoncent que les réductions budgétaires produites par la crise et le transfert de fonds aux plans de relance fiscale conduiront les pays donateurs à diminuer leur aide au développement. Compte tenu du fait que la jouissance des droits de l’homme de nombreuses personnes est en danger en raison de la crise financière, les gouvernements donateurs ne doivent en aucune façon revenir sur leurs obligations d’aide internationale en recoupant l’aide au développement.

 

Plans de relance économique axés sur les droits de l’homme

Les lignes directrices d’une approche de la crise basée sur les droits de l’homme ne seraient pas complètes sans une référence au rôle très particulier que les normes en matière de droits de l’homme devraient jouer dans les plans de relance économique nationaux. Les principes de non-discrimination, de transparence, de responsabilité publique et de participation, déjà mentionnés, sont particulièrement importants à ce sujet.

Les plans de relance économique ne doivent en aucune façon discriminer. Les gouvernements devraient analyser les conséquences de leur distribution dans la société pour garantir l’équité des bénéfices que ce soit du point de vue du genre, de l’ethnie, de l’orientation sexuelle ou de la classe sociale. Des mesures supplémentaires seront certainement nécessaires afin de favoriser une égalité substantielle dans les groupes historiquement marginalisés et spécialement vulnérables. Les politiques de genre, par exemple, requièrent la participation de femmes dans la conception et la mise en œuvre des plans de relance. Les décisions, pendant la durée du plan de relance, doivent rester ouvertes aux questionnements et doivent être fondées sur la participation et la transparence pour renforcer la responsabilité publique.

La stabilisation et le renforcement des systèmes de protection sociale pour tous les citoyens, particulièrement les plus vulnérables, doivent être spécialement prioritaires lors de  l’élaboration des plans de relance par les gouvernements. Le droit à la sécurité sociale est reconnu dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans de nombreux traités internationaux sur les droits de l’homme; tous les états ont l’obligation d’établir immédiatement un système de protection sociale de base et de l’étendre au fur et à mesure des ressources disponibles. Le renforcement de ces systèmes respecte les engagements à court terme de protéger les personnes d’une récession économique et favorise la priorité économique à plus long terme d’investir dans les individus.

Cependant, à l’heure actuelle le recours aux plans de relance économique pour éviter des mesures régressives en matière des droits et pour relancer les économies nationales, n’est pas accessible à tous les pays. Tout en garantissant que ces plans de relance tiennent compte des standards en matière de droits de l’homme au niveau interne, ils devraient également maintenir leurs obligations avec la coopération internationale en diminuant l’écart financier global avec le Sud.

Il est important que, dans un effort pour stabiliser l’emploi et les moyens de vie, les plans de relance n’augmentent pas la demande vers des modèles de consommation désuets et non viables aussi bien dans les pays riches que dans les pays pauvres. Maintenir une économie qui consomme beaucoup de carbone, épuisant les ressources de la Terre et augmentant les émissions de gaz à effet de serre, ne fera que multiplier les défis auxquels de nombreux pays doivent déjà faire face pour défendre les normes en matière de droits de l’homme.

Conclusions

On devrait s’attendre à un sombre héritage laissé par cette crise financière, beaucoup plus sombre que celui laissé par n’importe quelle autre crise que cette génération ait connue. Mais ceci s’accompagne d’un héritage d’idées importantes qui ne peuvent plus être négligées et qui devraient être le centre de la restructuration du système économique mondial. L’une de ces idées est l’importance indiscutable que revêtent, pour les différentes options de politiques économiques et financières, les engagements en matière de droits de l’homme que la communauté internationale a soutenu dès 1948. L’humanité ferait bien de ne pas oublier à quel prix se sont forgés les instruments modernes des droits de l’homme.

 

1 Une version préliminaire de cet article a servi de base pour une déclaration publiée par le Réseau international pour les droits économiques, sociaux et culturels (Réseau-DESC) en consultation avec de nombreuses organisations de droits de l’homme. L’auteur remercie Nicolas Lusiani, qui a aidé à compléter la déclaration, et les nombreuses organisations de droits de l’homme pour leurs commentaires et leurs contributions au document. La responsabilité pour d’éventuelles erreurs revient, évidemment, uniquement à l’auteur.

2 Pour une étude détaillée des principales sources officielles (FMI, Banque des règlements internationaux, Forum de stabilité financière) qui montrent les remarquables similitudes dans la compréhension des causes de la crise financière, voir Caliari (2009), “Assessing Global Regulatory Impacts of the U.S. Subprime Mortgage Meltdown : International Banking Supervision and the Regulation of Credit Rating Agencies”, document préparé pour le Symposium sur le marché financier et le risque systémique : la répercussion mondiale de l’effondrement des crédits hypothécaires sub-prime aux États-Unis, co-organisé par le Journal of Transnational Law and Contemporary Problems à la faculté de droit de l’Université d’Iowa et le Centre pour les finances internationales et le développement de l’Université d’Iowa.  

3 OIT. “The Financial and Economic Crisis : A Decent Work Response”. Document de débat GB.304/ESP/2, 2009.

4 Ibid.

5 Banque mondiale. The Financial Crisis and Mandatory Pension Systems for Developing Countries. Washington DC : Banque mondiale.

6 World Bank News, le 12 février 2009.

7 La classification arbitraire de la Banque mondiale dans laquelle les personnes qui vivent avec moins de 2 USD  par jour sont pauvres et celles qui vivent avec moins de 1 USD par jour sont extrêmement pauvres a été critiquée maintes fois parce qu’elle ne représente pas la réalité de la pauvreté dans les différents pays, avec des seuils de pauvreté nationale très différents, et le panier de biens que ces revenus permettraient d’acheter dans des pays différents. En 2008, la Banque a mis à jour son calcul de la parité de pouvoir d’achat (PPA) déjà très périmé ; sur cette base, le nombre de personnes que la Banque définit comme extrêmement pauvres (à présent, celles qui vivent avec moins de 1,25 USD par jour) a été recalculé à la hausse à 1,4 milliards, presque 50 % de plus que l’estimation précédente d’1 milliard (voir le Rapport 2009 des Objectifs du millénaire pour le développement de l’ONU : 4-7).

8 Banque mondiale (2009). Swimming Against the Tide : How Developing Countries Are Coping with the Global Crisis. Washington DC : Banque mondiale.

9 OIT. World of Work Report 2008 : Income Inequalities in the Age of Financial Globalization. Genève : OIT.

10 D’après une analyse effectuée en 2007 par Merill Lynch y Capgemini, « Le nombre de personnes avec
1 million d’USD ou plus à investir a augmenté de 8 %, atteignant 9,5 millions l’année dernière, et la richesse qu’ils contrôlent s’est étendue à 37,2 billions d’USD. Environ 35 % est entre les mains d’à peine 95.000 personnes avec des actifs de plus de 30 millions d’USD  ». Voir Thal Larsen, P. “Super-rich Widen Wealth Gap by Taking More Risks”. Financial Times, le 28 juin 2007.

11 Thal Larsen, ibid, cite l’un des directeurs de Merill Lynch qui a dit que la différence entre les riches et les super riches reflétait « la volonté du très riche de prendre de plus grands risques ».

12 Assemblée générale des Nations Unies. “Recommandations de la Commission d’experts du Président de l’Assemblée générale sur la réforme du système monétaire et financier international”. A/63/838, le 29 avril 2009.

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